Après l'intense angoisse alimentaire induite par le jeûne,
le pays revient au pays, avec des aigreurs à l'estomac. On se retrouve tous
ensemble: le peuple assis, le Président de la RADP qui regarde par la fenêtre
son destin dans les cieux, des rumeurs courantes, le même geignement national
sur les prix, la rente et les réformes. Rien de neuf à commenter. D'où ce pas
sur une analyse de l'un des aspects du «Pouvoir» en Algérie: le wife power. Le
Pouvoir des épouses. Pas les femmes algériennes créées à partir d'une côte
d'homme, selon la version créationniste locale, mais les femmes du «Pouvoir».
Le lobby des épouses de l'Etat. Explication: il y a quelques années, un haut
cadre dans une wilaya avait été muté discrètement par un wali, parce que
l'épouse de ce cadre avait fait métier de restituer les permis de conduire
confisqués aux femmes des chauffeurs sanctionnés. Les transactions se faisaient
dans les bains maures ou les salons de coiffure entre autres et sous couvert de
la discrétion que l'on devine. C'était un circuit sans faille, impossible à
pénétrer, efficace et sans trace. L'anecdote étant vraie, elle permet de
remonter vers un niveau plus supérieur. Aujourd'hui, à Alger, il est de
notoriété publique, selon les plus fins observateurs (ou les victimes qui l'ont
compris très vite), les femmes de certains ministres détiennent la moitié du
ministère de leurs époux. «Je t'ai nommé ministre toi, pas ton épouse» aurait
lancé, agacé, le grand patron de la RADP à l'un de ses ministres lors d'un
conseil. La raison ? L'évidence: il est plus efficace d'envoyer sa femme
solliciter la femme d'un ministre pour un dossier, un appel d'offres, un marché
ou une protection, que de voir l'ami le plus intime de ce ministre ou très haut
cadre de la nation. Certaines de ces épouses tiennent «portes ouvertes» sur
toute l'année, d'autres gèrent des paliers entiers de la rente sectorielle,
d'autres enfin deviennent plus efficaces que leurs maris, raconte-t-on. Le tout
sous le couvert du tabou politique le plus tenace aujourd'hui et qui veut que
l'on peut «descendre» et enterrer un haut cadre mais qu'on ne touche pas à sa
femme. On se souvient que le tabou pèse tellement lourd qu'on l'a utilisé une
seule fois, à l'époque du coup d'Etat indirect contre les hommes de Zeroual, à
l'époque de Betchine et de Adami. Ce fut la seule fois où une «campagne de
déstabilisation» a usé de journaux pour citer directement des épouses pour
mieux abattre les cadres ciblés.
Aujourd'hui donc, le wifehouses power est du domaine
public. Presque tous y recourent, expliquera-t-on au chroniqueur. Certains
l'ont si bien compris qu'ils ont fait de leurs enfants des chargés de mission
de tendresse auprès de la mère défunte du grand patron, mais bon, ne jugeons
pas les actes par les apparences, suggère la prudence. L'essentiel est à voir
dans ce glissement du Pouvoir vers les mains d'une frange supposée être passive
et peu encline à la prise de décision. Un seul fait à retenir: l'expression
«cabinet noir» ou «salon» prend désormais un sens plus large que celui que l'on
croit. On est donc loin de cette époque où pour récupérer un document ou faire actionner
une «intervention», on rendait visite au père du haut cadre dans son village
d'origine, sachant ce devoir d'obéissance que tout père garde sur son fils,
même devenu ministre.