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L'enjeu mondial du financement de l'action climatique

par Vera Songwe1, Nicholas Stern2 Et Amar Bhattacharya3

LONDRES ? Les projecteurs se sont maintenant éteints sur la conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP27) en Égypte, mais de nombreuses questions demeurent sans réponse sur le mode de financement des réductions des émissions et de l'adaptation. Le monde ne pourra empêcher le réchauffement planétaire d'atteindre des niveaux dangereux sans augmenter substantiellement les investissements dans les pays en développement. Si ces pays s'engagent sur la voie du développement en restant dépendant des carburants fossiles et des technologies polluantes, ils deviendront la plus grande source de croissance des émissions dans les prochaines décennies.

Heureusement, ces investissements peuvent non seulement réduire les émissions et renforcer la capacité d'adaptation ; mais ils peuvent également générer une forme de croissance et de développement qui est beaucoup plus attrayante que les trajectoires polluantes et destructives du passé. Il est donc dans le propre intérêt des pays développés d'aider ces pays à accélérer la transition vers des économies viables, inclusives et résilientes.

Nous avons été mandatés par la présidence égyptienne de la COP27 et la présidence britannique de la COP26 pour mener une analyse indépendante du financement dont les pays en développement (excluant la Chine) auront besoin d'ici 2030 pour réaliser les objectifs décrits dans l'Accord de Paris sur le climat. Notre rapport, publié dans la première semaine de la COP27, concluait que les investissements annuels de ces pays en interventions pour contrer les changements climatiques doivent augmenter dès maintenant, de 500 milliards de dollars en 2019 à 1 000 milliards de dollars, d'ici 2025 et à 2400 milliards de dollars, d'ici 2030. Non seulement ces investissements rejoignent les objectifs de l'Accord de Paris ; mais ils stimulent cette nouvelle forme de développement afin de faire progresser la réalisation des Objectifs de développement du Millénaire.

Nous y avons défini trois priorités d'investissement. En premier lieu, le financement devrait viser l'accélération de la transition vers les énergies vertes, notamment le déploiement des énergies renouvelables, car elle est primordiale à l'atteinte des cibles de l'Accord de Paris.

Deuxièmement, il faut accroître les investissements dans la capacité d'adaptation aux changements climatiques afin de protéger des vies et des moyens d'existence ? notamment au sein des collectivités les plus démunies ? contre les effets de plus en plus dévastateurs des changements climatiques. Seront également nécessaires des mécanismes efficaces et bien financés visant les pertes et préjudices (définis par des coûts qu'on ne peut éviter malgré les initiatives d'atténuation ou d'adaptation). Troisièmement, il est urgent de consolider la biodiversité et de conserver les écosystèmes dont tout le monde dépend. Les investissements dans la protection des milieux naturels représentent des contributions vitales au renforcement de la capacité d'adaptation et aux réductions des émissions.

Environ la moitié du financement de ces investissements pourrait être comblé par des sources publiques et privées issues des pays en développement et environ 1 000 milliards de dollars de plus pourraient provenir de ressources extérieures. Bien que les sources publiques de financement intérieures et extérieures sont essentielles, la plus grande part peut venir du secteur privé, qui investira afin d'obtenir des rendements attrayants sur le marché en plein essor des biens et services à émissions nulles et de favoriser l'adaptation aux changements climatiques, pour autant que les risques puissent être réduits et gérés.

Un partenariat plus étroit entre les secteurs privé et public permettra de dégager de nouveaux débouchés d'investissement, de gérer les risques, de réduire les coûts de capital et de mobiliser le financement nécessaire à une échelle beaucoup plus grande. Ce financement doit par contre provenir de sources appropriées, comme les fondations philanthropiques, les droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (les réserves de liquidité de l'IMF) ou la vente de crédits de carbone.

De plus, les subventions et les prêts à taux d'intérêt réduit accordés par les pays développés doivent passer de 30 milliards de dollars en 2019 à 60 milliards de dollars en 2025. Ce financement ne constituera qu'une infime portion des sommes globales nécessaires et il faudra faire preuve de discernement pour qu'il réponde à des critères qui ne risquent pas d'attirer des investissements majeurs de la part du secteur privé. Pour donner un ordre de grandeur, 60 milliards de dollars ne représenteraient qu'environ 0,1 % des prévisions de la production économique des pays développés en 2030, ou environ 0,7 % des 9 000 milliards de dollars que les pays nantis ont affecté à la lutte contre la COVID-19 ces deux dernières années.

Finalement, la Banque mondiale et d'autres banques multilatérales de développement ont un rôle essentiel à jouer dans l'atteinte des cibles de Paris. Leurs investissements annuels dans des projets d'action climatique devront tripler à 180 milliards de dollars d'ici 2025, à partir d'une base actuelle d'environ 60 milliards de dollars pour réaliser le financement conjoint avec le secteur privé à l'échelle nécessaire, jumelé au soutien pour les infrastructures publiques.

La décision à la COP27 de créer de nouveaux arrangements de financement des pertes et préjudices reconnaît que les États des pays industrialisés doivent investir davantage dans l'aide aux pays en développement pour limiter les dégâts des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents, de la hausse du niveau des océans, de la désertification et des autres problèmes découlant des changements climatiques. Tous les pays subissent déjà les pertes et préjudices découlant des changements climatiques, mais les conséquences sociales et économiques peuvent être beaucoup plus graves pour les pays en développement, qui non seulement doivent assumer les coûts de réparation et de reconstruction, mais aussi subir les réductions prononcées de la production économique, de l'emploi et des conditions de vie.

Les pertes et préjudices augmentent également le risque que les habitants des régions vulnérables et très exposées des pays en développement soient obligés d'émigrer, déstabilisant encore plus l'équilibre social et politique. Si les pays moins nantis peuvent renforcer leur capacité d'adaptation aux répercussions des changements climatiques et peuvent s'en remettre plus rapidement et plus efficacement, ils seront en mesure d'investir davantage dans des projets de développement à faible teneur en carbone. Ces pays seront également moins susceptibles de perturber la sécurité et la stabilité régionale et mondiale. Ici aussi, même si les pays en développement ont longtemps fait valoir, et avec raison, que les pays nantis devraient assurer un financement distinct aux pays en développement en guise de dédommagement pour les pertes et préjudices liés aux émissions antérieures, il est dans l'intérêt des pays nantis de le faire.

Les années 2020 constituent la décennie cruciale de la lutte contre les changements climatiques. D'autres retards nous amèneraient dans une zone extrêmement périlleuse. Même si tous les pays devront accélérer leur transition vers un bilan neutre en carbone, les pays riches doivent en faire beaucoup plus pour réduire leurs propres émissions et doivent également dégager les fonds nécessaires pour aider les autres pays les plus démunis pour les protéger d'un problème dont ils ne sont nullement responsables.



Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier

1- Sous-secrétaire général des Nations Unies

2- Ex-économiste en chef de la Banque mondiale (2000-03) - Coprésident de la commission internationale de haut niveau sur les prix du carbone, est professeur d'économie et de politique publique de l'Institut Grantham de recherche sur les changements climatiques et l'environnement à la London School of Economics and Political Science.

3- Professeur invité praticien à l'Institut Grantham de recherche sur les changements climatiques et l'environnement de la London School of Economics and Political Science