Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le parangon de la haine tombé en disgrâce. Et après ?

par Benabid Tahar*

Le bougre d'andouille a tellement vociféré de méchancetés et d'inepties que le ciel lui est tombé sur la tête, ou presque. Imbu de sa petite personne, chauffé, à blanc, par une sur-médiatisation tendancieuse xénophobe, il ne s'est pas un instant avisé que ça pouvait lui arriver.

On dit que le bon Antéros, dieu de l'amour partagé et frère d'Eros (dieu de l'amour), l'aurait puni de ses nauséabondes envolées oratoires outrancières à l'endroit des immigrés, des musulmans en particulier. Fortement désavoué par les urnes dès le premier tour des présidentielles françaises de 2022 - avec à peine 7,1% des suffrages exprimés ? il fut, sans doute, plongé dans une profonde détresse dès l'annonce des résultats. Le néo-Napoléon autoproclamé, sauveur de la France et faiseur de sa future gloire, est sorti de la compétition électorale par un trou de souris. L'acerbité étant semble-t-il contagieuse, je n'en dirais pas d'avantage pour présenter l'oiseau de mauvais augure qu'est cet exécrable marabout du racisme, tant adoré par l'extrême droite française. Lui, tout le monde l'aura deviné, c'est l'innommable Eric Zemmour, notre cher cousin éloigné, qui déborde d'affection pour nous et nous le témoigne tous les jours que dieu fait. Se considérant plus français que le plus authentique des français de souche, il est devenu au fil de ses exécrables «homélies», ressassées dans les médias et autres forums, toutes semblables mais plus virulentes les unes que les autres, notre ennemi juré. Grisé par son succès médiatique, porté par la haine viscérale qui l'habite - sentiment d'essence pervers - et surtout pour plaire à l'électorat de droite et à ses nombreux adulateurs des mouvements identitaires racistes, il n'hésite pas à traiter ses propres ancêtres de sauvages, sauvés de leur ignorance et de leur misère par la colonisation bénie. Rien que ça mon grand ! Tout de même, on ne peut plus mesquin ! Dans la course effrénée à l'échalote xénophobe, il se distingue par un discours tellement radical que même certains de ses fidèles amis et admirateurs, à l'instar de Robert Ménard, ont préféré se démarquer de lui. Ses thèmes de prédilection sont, bien entendu, l'immigration et l'islam. Leitmotiv de la droite en général, ces sujets sont devenus un puissant ciment pour l'extrême droite, toutes sensibilités confondues. Au demeurant, pour les pieux du nationalisme rigoriste, hérauts du fantasmatique retour à une francité pure, blanche et chrétienne, la moindre indulgence vis-à-vis de l'autre, surtout s'il est musulman, confine au sacrilège. Afin de mobiliser les troupes et donner un semblant de cohérence au discours politique sur n'importe quel sujet, on évoque avec insistance les immigrés et les musulmans, qu'on met systématiquement en bijection avec les maux de la société française. Sans la moindre retenue, on leur impute tous les fléaux possibles et imaginables : la délinquance, la criminalité, le chômage, l'insécurité, le déclin de la France, la perte de son identité, et que sais-je encore. Enfin, pour conjurer le déclin de la patrie, nous dira-t-on, il suffit d'arrêter l'immigration et de jeter hors du pays les musulmans, les arabes et les africains. En somme, la panacée des difficultés de la vie et de ses vicissitudes pour le peuple de France et ses dirigeants. C'est ainsi que l'on prétend redresser la France de son apathie politique et de sa décadence socioéconomique. Ma foi, l'être sensé y perd son latin ! Et pour couronner le tout et se distinguer du lot, Zemmour brandit la menace du «grand remplacement». Trempant sa langue et sa plume dans le vitriol, ce pervers accompli mêle dans ses réquisitoires, à l'endroit de ses victimes expiatoires, infamie, diatribes, impudents mensonges et autres vilenies. Sans aucune stature, disgracié par la nature ce crapaud des eaux stagnantes troubles, qui suinte l'animosité, rêve de monter un jour sur le trône de France en marchant sur les corps des immigrés. Autrement dit, cette espèce de diseur de bonnes aventures, ou de mauvaises, espère recevoir la magistrature suprême en guise de rétribution en stigmatisant une importante frange de la société qui ne répond pas à l'utopique modèle sociétal qu'il veut pour la France. En d'autres termes, tous ceux qui ne rentrent pas dans son étroit moule puant sont infréquentables, non intégrables et sont sommés de quitter le pays. Prétendre par exemple que l'islam est opposé aux valeurs républicaines ou que les mineurs en situation irrégulières sont des voleurs et des assassins, relève, si ce n'est de l'ignorance, au moins de la malhonnêteté intellectuelle assimilable à de l'hérésie manichéenne. Pardieu, au lieu de passer leur temps à proférer des insanités, Zemmour et compères devraient voir ce qui se passe ailleurs dans le monde, écouter d'autres sons de cloche et s'ouvrir aux idées et opinions des autres nations. Entre autres, voyons ce que dit Hillary Clinton dans son ouvrage mémoires intitulé «Le temps des décisions» (Edition Fayard 2014) : «Il existe dans le monde entier des partis politiques confessionnels ? hindous, chrétiens, juifs, musulmans ? qui respectent les règles démocratiques, et il est dans l'intérêt des Etats-Unis d'encourager tous les partis et tous les leaders politiques religieux à adhérer à la démocratie et à rejeter la violence. Laisser entendre que les musulmans ou les adeptes de quelque autre religion ne peuvent pas vivre en démocratie est insultant, dangereux et déplacé. Ils le font chaque jour dans notre pays.». Voilà pour la bonne gouverne des détracteurs de l'Islam !

Les médias, la chaine de télévision CNEWS en tête, ont conféré outrageusement le statut de grand esprit à un piètre polémiste dont le seul mérite est de dévorer force ouvrages et d'apprendre par cœur des citations qu'il déverse à profusion en toute occasion. A ce titre on peut l'affubler de ?CD rom humain'. En tout cas, n'en déplaise à ses admirateurs, on ne peut raisonnablement pas considérer ce faux-jeton comme un intellectuel digne de ce nom. Il lui manque farouchement les qualités basiques telles que le sérieux, l'honnêteté intellectuelle, l'esprit d'analyse, le discernement, la vision et autres valeurs qui distinguent cette catégorie de personnes. Si besoin est, rappelons ici quelques faits qui renseignent sur la fausseté de cet énergumène, on ne peut plus fourbe et cynique. Lui qui se targue de défendre les valeurs morales, il est accusé d'agressions sexuelles par huit femmes. Le journal ?Mediapart' a publié, le 08 mars 2022, une vidéo montrant le témoignage des victimes présumées. Sur un autre registre, ce tartuffe, qui prône la laïcité et se déclare opposant farouche au communautarisme, ne s'est pas gêné, la veille des élections présidentielles du 10 avril 2022 (48 heures avant la tenue du scrutin) d'envoyer des SMS aux français de confession juive pour les inviter à voter en sa faveur. En effet, des milliers de personnes, juives pour la plupart, ont reçu sur leur téléphone portable un message signé d'Eric Zemmour, dont voici le contenu : «Bonjour, j'ai écrit un texte pour vous : Pourrons-nous vivre en paix encore longtemps en France ? Lisez-le sur EZ2022.fr. Vos enfants comptent sur vous !». Le texte en question, édité sur la page web du parti ?Reconquête', est intitulé : «Message d'Eric Zemmour aux français de confession juive». Entre autres, dans le texte, ciblant les musulmans, on peut lire : «Les racailles qui pourrissent la vie des juifs». Plusieurs personnalités médiatiques ou politiques ainsi que des citoyens français, juifs ou non, se sont offusqués publiquement d'une telle dérive. Marc Knobel, historien, chercheur au conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et président de l'association ?J'accuse !' Action Internationale Pour la Justice (AIPJ), a déclaré à ce propos, je cite : «Nous avons un texte extrêmement violent qui est une mise en accusation de l'Islam et des musulmans». Sur plainte de l'Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) et de l'association ?J'accuse !', une enquête pénale a été ouverte à Paris. Il est à noter que le sieur Zemmour n'est pas à sa première affaire en justice et qu'il a été déjà condamné pour incitation à la haine. Notre héros est tellement doué qu'il n'attend pas que ses adversaires lui opposent les arguments ad hominem. Cet idiot de service de l'extrême droite se les inflige lui-même, et s'en enorgueillit !

Revenons à l'actualité qui tient ces jours-ci des milliers de français en haleine, et qui est par ailleurs largement suivie sur le continent africain. Marine Le Pen a franchi avec succès le premier tour de l'élection présidentielle de 2022, en réalisant un score historique de 23,1%. Elle avait obtenu 21,3% des suffrages en 2017 ; ce qui était déjà appréciable en ce temps. Revigorée par cette prouesse, elle se fait sérieusement menaçante pour le second tour, prévu pour le 24 avril 2022. Par simple arithmétique, en exploitant les résultats obtenus au premier tour par les deux chefs de file les plus en vue de l'extrême droite, Zemmour et Le Pen, elle est déjà assurée de dépasser les 30%. Si l'on ajoute le report des voix des anti-macronistes et autres déçus de la droite et de la gauche qui pourraient voter pour elle, il est à parier qu'elle sera probablement au sommet du podium le jour ?J'. Une chose est sûre, elle n'a jamais été aussi près de se hisser sur le siège présidentiel, pour au moins cinq longues années. Fort heureusement, des voix s'élèvent, tant à gauche qu'à droite du spectre politique français, pour lui faire barrage. Parmi elles, deux anciens présidents, en l'occurrence Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont appelé à voter pour Emmanuel Macron. Lors d'une émission sur TF1, Hollande a déclaré : «Si Marine Le Pen arrivait à l'Elysée, il y aurait une remise en cause de nos principes, de nos valeurs, de ce qu'est la France (...), puisqu'elle envisage de changer le quart de la constitution française sur les questions de nationalité, les questions de discrimination, les questions même d'identité...». Il a évoqué par ailleurs les positions hostiles de la candidate vis-à-vis de l'Union Européenne et de l'OTAN. Ce qui nous conforte dans la certitude qu'avec l'extrême droite la France se mettrait dans une situation, pour le moins, critique à tout point de vue, tant sur le plan national qu'international. Mieux encore, la position de l'extrême droite sur l'échiquier politique français risque de se renforcer lors des prochains rendez-vous électoraux. Il suffit de suivre l'actualité et d'observer de près la société française pour se rendre à cette évidence. Polémistes, chroniqueurs, personnalités politiques, intellectuels, citoyens lambda ne s'encombrent plus de retenue, encore moins de morale, pour manifester ouvertement, sinon leur obédience, au moins leur sympathie pour cette mouvance. L'hydre aux multiples têtes venimeuses n'a pas dit son dernier mot et pourrait même se voir pousser d'avantage de tentacules, les mois et les années à venir. Et c'est là où réside le drame, pour la société française en général et pour les immigrés en particulier. Les musulmans de France seront inexorablement les premiers à en pâtir. Stigmatisés à brides abattues, ils ne pourront même plus jouir normalement des droits et libertés que leur confère la constitution, notamment en matière de travail, de logement social ou de pratique religieuse. Ils seront mis en demeure de vivre leur foi dans l'extrême discrétion, voire en cachette. Du reste, il leur est conseillé, plutôt suggéré, de «Christianiser leur Islam» pour être acceptés, peut-être assimilés, au bon vouloir de la police de la foi bien entendu. Leur pays sera d'ailleurs le seul au monde où le port du foulard islamique est interdit dans l'espace public. Consternant est l'état de cette contrée où vit le jour la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en 1798 et dont s'est inspirée la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948, encore en vigueur de nos jours. La France devrait urgemment faire une introspection : où va la mener la montée de la droite radicale? La réponse coule de source : Avec ce mouvement, il y a incontestablement de quoi plonger l'hexagone dans une épaisse grisaille socioéconomique qu'il lui sera difficile de surmonter. Les historiens, les historiographes et les chroniqueurs de toutes les époques vous le diront, sans hésitation : là où l'extrême droite, porteuse de haine et de radicalisme - qu'ils soient religieux ou politiques - passe, la liberté, la paix et la quiétude trépassent. L'éveil des bonnes consciences et la mobilisation citoyenne, en particulier chez les français de confession musulmane ou d'origine non occidentale, sont plus que jamais nécessaires, voire vitaux.

*Professeur - Ecole Nationale Supérieure de Technologie



Télécharger le journal