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De quoi se mêle la société ?

par El Yazid Dib

Est-elle concernée par l'autoroute dans son volet judiciaire, par Sonatrach dans ses déboires ou par la Constitution dans ses concupiscences éternellement changeantes ?

Tout est en marche au même moment où tout s'arrête de fonctionner normalement. Quelle fourniture nous livre l'actualité, sinon les scandales, le jeu de coulisses ou la remise en état d'otage préalable du devenir national. La vertu s'évertue publiquement à venir se compartimenter aisément et sans truc de conscience au sein même de nos méninges. Boites à conserver les contrariétés et les joies, les intrigues et les coups bas ; les cœurs n'ont plus de fibres sensibles. Ils domestiquent l'ennui journalier comme la mauvaise méthode asservit l'initiative et la bonne intuition. Nous sommes dans l'estomac d'un cycle déréglé.

La sincérité quant à elle, s'est abstenue de faire résurgence. Car elle ne se reconnait plus dans le talent ni dans la distinction. Elle est cette denrée rare, qui hagarde, se mesure à la petitesse des gens qui encore la gardent vaillamment à leurs dépens. Le mensonge s'est érigé en une norme de gestion même dans les décisions des gestionnaires. Chacun va de son pouvoir pour en faire un record de longévité. Des gens pourvus uniquement d'une audace seront les premiers à servir et se servir de la rente et se feront obligeamment élire parmi l'aréopage censé guider le devenir. Mais au fait quelle est la stratification qui tisse le canevas social algérien ?

Les classes n'existent plus, mais elles sont en voie de se réinventer. A la base, en 1962 l'unique classe était celle des indigènes. Ces algériens qui créchaient dans les taudis, dans les chaumières, ou pour les plus munis dans de menues chambres installées dans de grosses maisons appelées Hara. Du moins pour les citadins. L'autre, qui n'est pas la notre était en face dans les villas, les pâtés de maison, les fermes, et les maisons de maitres. Européenne métissée, elle ne pouvait résister à l'élan d'indépendance que revendiquait la première. Des années durant, le fil communautaire s'est détissé silencieusement au son de l'enchantement d'un socialisme spécifique pour certains et bénéfique pour les autres.

Ainsi débutait crescendo l'apparition au grand jour des deux extrémités pointant d'un bout à l'autre les contours d'une société en voie de reconstruction. Quant à la classe la plus utile pour les deux ; elle est comme un tampon. Une espèce de bouclier séparant les deux. Un cloisonnement thermique et sonore. Les sociologues la qualifient de classe moyenne sans pour autant lui attribuer la quintessence morale et l'esprit petit-bourgeois qui sont censés l'animer tel que fut le cas vers la fin du siècle dernier. Cette frange qui, ayant reçu un minimum de confort social se sent fortement concernée par le maintien de l'ordre établi. A sa charge, cet agencement sociétal se pratique par elle et non pour elle. Elle en tire certes des dividendes, un peu d'apparat et point final. Pas d'opportunités de pouvoir gagner du terrain sur la parcelle de sa marraine. Comme elle refuse à son tour de se voir faire grignoter son espace par des ratatouilles. Pense-t-elle. Bien lotie dans sa tête de large fonctionnariat, de commerçants débutants, de nouveaux portefeuilles, elle fait à son tour graviter à ses alentours pour les mieux pignonnés, des sous-traitants du deuxième cercle de la première classe.

Mais en tout et pour tout c'est au nom de cette vaste société que les mentors semblent agir. Dans son intérêt, tiennent-ils à rassurer ou à la rassurer. Mais les guichets de banque, les lots industriels et autres trouvailles du genre ont grandement participé à la mutation, parfois contre-nature de l'échelle des valeurs. Il suffit d'un rien pour qu'un rien puisse devenir une somme. C'est tout à fait vrai que le sens des affaires fait partie d'une science bien établie. Mais à voir des affaires se faire sans science des affaires, que faudrait-il déduire, sinon le bourguignon, la rapine et la diablerie. Alors que l'argent s'accumule par la force de travail, chez certains dans d'autres créneaux il se ramasse par subventions. Les partis politiques et leur différent personnel sont aussi ces émargeurs à la soupe populaire. Ils piochent juste pour une figuration ou un jeu de rôle précaire et révocable dans la cagnotte collective en veillant bien à assumer la mission dévolue. Berner, faire semblant, paraitre.

Alors qu'à chaque occurrence jugée vitale pour le maintien voire la survie d'une approche systémique, le système floue l'image des gouverneurs et amadoue l'entièreté de la société. La constitution ? Si l'on en parle c'est que l'on est à bon escient tombé dans le piège. Cette constitution que va-t-elle apporter de nouveau, non pas dans ses dispositions légales mais sur le terrain des libertés, des droits, de l'égalité ? Toute constitution assure la protection et l'épanouissement du citoyen, sinon elle n'est en finalité faite que pour lui. Mais voilà 4 constitutions et autant d'amendements n'ont pu refaire le paysage quotidien, tel qu'idéalisé par tout un chacun. La constitution ainsi conjurée, triturée est un ordre de passage, un type de laissez-passer pour un chemin, pour un accès vers un autre accès et ainsi de suite. Personne ne pense que c'est par elle que l'on va pour arriver à incruster une mentalité de Droit. L'espoir est cependant à garder pour la génération postérieure qui devra lutter encore pour une meilleure visibilité des choses. Idem pour Sonatrach et pour l'autoroute. Si la première n'est qu'un tiroir sur le flanc d'un puits, la seconde aide à écouler le produit du puits. Et si le puits est insuffisant ; l'asphalte, le bitume, l'enrobé peuvent en faire office, par son importation. Le chinois n'est plus devenu un casse-tête. Un grand casse-croute. Donc il ne faut y voir que de l'appât et de l'effet de mirage. En fait d'autoroute, nonobstant un léger mieux ; l'automobiliste n'est toujours pas en phase d'acquérir le repos dans ces aires qui somnolent dans des études interminables. Ce qui se trouve derrière, lui ne s'en plaint pas. Il veut une ombre, un confort, une sécurité. Par ailleurs on quoi est-il concerné le simple badaud de l'Algérie d'en bas, si un tel ou un tel demeure impliqué au sein d'un imbroglio voulant de surcroit n'être que judicaire ? En fait de justice ; la justice peut contenir quelquefois dans ses lourds dossiers des relents à sensation purement politique. Chakib Khallil, le pauvre ! Il prend sur son dos tous les maux de la mauvaise gouvernance ou comme Sisyphe, condamné à porter le globe et ses frasques corruptionnelles ; il est tout désigné pour supporter le mal algérien. Il devient une triste icône de la gabegie dans la manipulation des deniers publics. Que la justice dans une independance, fasse son travail, loin des envies revanchardes des uns ou des autres. Des Chakib, il y en a un peu partout. Clairsemant le paysage sous des cieux personnels, sauf qu'ils portent d'autres patronymes, assurent d'autres fonctions. Ils ne sont pas mis au devant de l'actualité en mouvance, tant que leur « travail » ne constitue pas encore une monnaie d'échange dans une opération de règlement de compte. Ici, sur cette terre, dans ces années d'incertitude et de perpétuelle suspicion, lorsque l'on ne peut toucher la cible, on tâtonne dans son environnement. C'est comme pour abattre un immeuble, l'on commence par creuser d'abord dans ses abords, étendre par la suite la sape dans ses alentours et attendre calmement sourire sous cape, l'effondrement automatique de l'édifice préalablement visé. Une destruction silencieuse opérée à distance. Un truc d'architecte. Une spécialité de démolisseurs professionnels quoi ! Le but ? Mener et gérer une bataille par personnes et étais interposés. Alors, que vient-elle faire là, dans cette confiture pensionnaire, intime, égocentrique, calculatrice et licencieuse cette société civilement nationale ?



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