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Réforme du statut général de la fonction publique et digressions assimilées (1ère partie)

par Boudina Rachid*

« Les conséquences de ce qu'on ne fait pas sont les plus graves » Marcel Mariën, écrivain

Lors de la clôture de la réunion Gouvernement-walis de septembre dernier, le Premier ministre, ministre des Finances Aïmen Benabdarrahmane avait promis, très sobrement, qu'il allait procéder à l'ouverture prochaine d'ateliers devant réfléchir sur la révision du statut général de la fonction publique.

Ceci-dit, il n'a laissé filer aucune précision, ni livré aucune piste pouvant renseigner sur les changements envisagés. Il est vrai que c'est une matière qui présente plusieurs angles d'attaque, nécessitant carrément une méta-analyse pour en saisir sa problématique pleine et entière. Voudrait-on d'une réforme profonde, que les moyens d'observation et d'étude seront certainement différents de ce que requiert un changement à la marge, qui se suffirait de quelques modifications textuelles ou d'un rattrapage de pure forme. Par contre, lorsqu'il s'agit de vouloir mettre en œuvre une réforme radicale, on parlera alors d'un renouveau de la conception même de l'Etat qui serait en ligne de mire. Dans cette dernière occurrence, le défi serait de taille : il n'est pas facile d'imaginer en effet que l'on veuille toucher au cœur même du modèle actuel, basé sur une fonction publique de carrière, qui est censé, du moins dans l'imaginaire collectif, privilégier l'intérêt général sur les intérêts particuliers et garantir, du moins en théorie, l'indépendance et la neutralité de l'administration. Il faut croire en effet qu'il n'est pas aisé de modifier un système qui sévit de longue date et répond à une logique qui n'est pas facile de bousculer.

C'est dire qu'en l'état, on ne voit pas l'opportunité de miser sur un changement brutal. Vouloir s'aventurer dans cette direction, c'est au moins être sûr que le rapport actuel des forces vous soit favorable. C'est en cas tout visible et lisible que l'administration algérienne n'est pas en état de s'imposer une solution qui se voudrait radicale. Les prérequis, tant politiques, sociaux que techniques d'une telle option semblent assurément loin d'être réunis. C'est pourquoi, on peut d'ores et déjà parier que si demain le Gouvernement voulait réformer le statut de la fonction publique, comme il le laisse entendre, il devrait se contenter de retoucher et de réarranger l'actuel système, que de prendre le risque d'étrenner un système offensif pour aller chercher par exemple à implanter une fonction publique d'emploi. A la charge du système de carrière, il faut reconnaitre qu'il a mal vieilli et qu'il n'arrive plus à suivre les progrès du monde extérieur. Le pire des maux qui l'affecte est qu'il se complait dans une addiction mortifère qui lui fait privilégier le respect des normes, des formes et des procédures, au détriment de son but ultime qui est de servir. Les vertus qui lui étaient reconnues de longue date ont tendance aujourd'hui à se dissoudre et à se déliter, au point que le fonctionnaire, bardé de ses garanties statutaires, a plus ou moins perdu le sens même du service public.

Il est donc bien normal que l'Etat doit réagir pour requalifier et restaurer le statut de son personnel, en vue de le rénover, en tout cas pour le débarrasser de ses lourdes scories. C'est d'autant plus pressant que l'Etat commence à prendre conscience que, de plus en plus, il connait un certain glissement de sa qualité de puissance publique vers un rôle de simple employeur. Le fait d'avoir confié certains de ses services publics à des organismes publics autonomes, comme les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), les établissements à statut dit spécifique, les entreprises publiques sous statut, ou plus radicalement les entreprises en forme de société par actions (Algérie Télécom par exemple), ne suffit plus à lui donner souplesse et capacité d'adaptation. Une bonne partie de ses gestionnaires se satisfont de suivre leur habitus d'origine qui consiste à demander plus et de se soucier seulement de se reproduire au gré des dotations budgétaires qui leur sont allouées, sans se préoccuper de s'approprier les règles du management public.

De leur côté aussi, les agents de l'Etat cherchent, sans le dire, à vouloir s'installer dans un rapport de salariés à employeur avec l'Etat, mais sans pour autant renoncer aux privilèges du modèle actuel ultra protecteur, qui les met à l'abri de plein de vicissitudes. C'est comme de vouloir le beurre et l'argent du beurre.

Ce n'est pas vraiment une surprise. Le problème c'est qu'à force de vouloir se démarquer du statut actuel, ils finiront par s'installer dans un système de contractualisation et, comble de l'ironie, par l'adouber sans l'avoir vraiment souhaité. En fait, on vit une situation transitoire, qui voit les syndicats de la fonction publique, trop intégraux, corporatistes, trop peu professionnels, pas très inspirés pour débattre d'égal à égal avec le gouvernement, ne sachant pas prioriser leurs revendications et mêlant tout à la fois des revendications professionnelles et d'autres intéressant toute la société, ne cessant pas de se déclarer autonomes, alors même que leur regroupement devait plutôt être encouragé.

Faire la grève en ordre dispersé et de manière improvisée, sans presque jamais se s'inquiéter, ou très peu, des exigences du service public, est devenu l'apogée pour le syndicat d'aujourd'hui. En fait, tout cela fait le jeu des autorités qui font le dos rond à leurs exigences, qui n'étant ni structurées ni hiérarchisées, ne peuvent aboutir qu'à faire pourrir la situation, jusqu'à ce que le temps fasse son œuvre. En plus, rien n'interdit de penser que l'Etat, excédé par le train de ces grèves immodérées, puisse s'autoriser à en prendre prétexte, pour resserrer les modalités d'exercice du droit de grève dans le service public, sans considération du reste pour la nature du service, de sa dénomination, ou de la qualité du lien qui unit l'agent au service.

1-Un modèle de statut général indifférent au modèle d'Etat.

Il existe une large opinion qui pense que c'est l'idée même qu'on se fait de l'Etat qui oriente in fine le choix du modèle du statut. Il n'est pas sûr que nos de jours cette assertion soit totalement avérée. On peut voir en effet que si le statut de carrière s'imbrique bien dans le modèle d'Etat providence, dont la vocation est de maximiser le bien-être de ses populations, il s'imbrique tout aussi bien avec un modèle d'Etat, qui s'inscrit clairement dans une perspective libérale. Rien n'empêche d'un autre côté que le système de l'emploi puisse très bien s'adapter autant à l'Etat providence qu'à l'Etat libéral ou déclaré comme tel.

Cette dichotomie n'est que formelle, parce que dans les faits, on a affaire le plus souvent à une formule intermédiaire qui concilie les deux modèles d'Etat. Il suffit d'user d'un dosage à géométrie variable pour répondre à la variété de toutes les situations qui peuvent se présenter. Même la France, qui donne l'apparence de l'idéal-type d'une fonction publique de carrière, s'emploie, par doses homéopathiques, à dupliquer de manière déguisée le régime de fonction publique d'emploi. Ceci s'explique, selon Bourdieu, par le fait que le régime capitaliste français se distingue comme étant « vivant un équilibre instable entre des logiques symboliques contradictoires capitalistes et non capitalistes ».

Ceci pour dire que qu'il n'est pas démontré que le système de carrière ait les faveurs de la majorité des pays. Bien au contraire, de plus en plus de pays optent dorénavant pour le système de fonction publique d'emploi, ou plus simplement dit de la contractualisation, qui a acquis depuis un moment déjà la réputation qui, selon ses pratiquants, procure souplesse et efficacité.

Ce dont il faut être sûr, c'est que les différences qui existent entre les uns et les autres de ces systèmes ne sont pas nécessairement d'ordre idéologique. En fait, ce sont pour la plupart du temps des systèmes contrastés, qui tiennent de l'histoire et d'autres considérations qui sont propres à chaque pays.

Par exemple, l'argument le plus couru en matière de fonction publique de carrière spécule que l'administration publique, étant permanente, son personnel doit être permanent, comme s'il peut exister des pays qui n'ont pas une administration permanente.

En réalité, de plus en plus de dirigeants publics en sont arrivés à croire à l'idée qu'une réforme de l'administration doit conduire à faire mieux avec moins de moyens. D'où leur propension à suspecter le régime de carrière d'être la source de l'explosion des effectifs et conséquemment de la mise à mal des équilibres budgétaires. Aussi, et à défaut de s'en remettre à des formules extrêmes, dont ils ne peuvent pas connaître par avance les aboutissants, ils préfèrent commencer par réduire la taille de leur fonction publique (sans toucher à l'ensemble de l'emploi public, qui intègre plus amplement les agents publics émargeant sur le budget de l'Etat, directement ou indirectement, sans tenir compte des personnels des services publics marchands, qui sont censément rémunérés sur les recettes propres, mais qui vivent le plus souvent de subventions publiques).

D'autres dirigeants, plus radicaux, militent franchement pour une fonction publique d'emploi, s'imaginant ou croyant sérieusement que ce système apporterait d'emblée facilités, flexibilité et possibilité de recruter plus librement leurs personnels. C'est justement cette croyance, toutes choses égales par ailleurs, qui a dû encourager les promoteurs de l'actuel statut de tenter d'expérimenter, ne serait-ce que partiellement, le modèle de l'emploi à la faveur du décret présidentiel n°07-308 du 29 septembre 2007, répondant à l'article 19 au statut général. On verra plus bas les conséquences néfastes de cette péripétie invraisemblable.

2- Focus sur le statut général actuel

2-1 Un statut de mise en conformité

Avant l'actuel statut général, fixé par l'ordonnance n°06-03 du 15 juillet 2006, la fonction publique algérienne était régie par le décret n°85-59 du 23 mars 1985, portant statut-type des travailleurs des institutions et administrations publiques, qui lui-même résultait de la loi n°78-12 du 5 août 1978, portant statut général du travail (SGT). Cette loi posait en son article 2 que les institutions et administrations publiques représentent un secteur d'activité comme un autre. En conséquence, leurs agents sont des travailleurs comme les autres. C'était clairement une vision qui se voulait socialisante avec en toile de fond la charte nationale de 1976, qui symbolisait et servait de cadre indépassable à toute la vie politique et institutionnelle du moment.

Dans les faits, le décret 85-59, cité ci-dessus, a permis, par d'habiles détours, de conserver le noyau du modèle de fonction publique de carrière, dont était grosse l'historique l'ordonnance n°66-133 du 2 juin 1966. Pour bien décrire l'anachronisme de cette situation, nous emprunterons ici à Mohamed Brahimi, chargé de cours à l'université d'Alger, en ce moment-là, les propos par lesquels il affirmait, dans une de ses publications éditée par l'Office des publications universitaires (OPU), « que le décret n°85-59 du 23 mars 1985, intervenu en application du SGT représentait moins un moyen de rupture qu'un texte produisant du vieux avec du neuf. (...) il sauvegarde l'essentiel du système mis sur pied en 1966. (...). Autant dire que les auteurs dudit statut ont usé d'artifices ingénieux et néanmoins prémédités, faisant en sorte que le décret n°85-59 conserve l'essentiel du statut de carrière (voir notamment l'article 5 dudit décret, qui pose que « le travailleur (...) est vis-à-vis de l'institution ou de l'administration dans une situation statutaire et règlementaire », ou encore les dispositions de l'article 58 du même décret, qui dictent que « la confirmation au poste de travail est consacrée par l'établissement d'un acte règlementaire ou d'un contrat de travail ».

Bien évidemment, il était nécessaire que la réforme du statut général puisse advenir. Ce fut l'objet de l'ordonnance n°06-03 du 15 juillet 2006. Non pas pour améliorer l'existant, mais plus sur un plan formel, parce qu'il fallait mettre fin au décret n°85-59 du 23 mars 1985. Cette issue ne pouvait qu'intervenir du fait de la césure produite par la Constitution de 1989, plus justement dite révision constitutionnelle adoptée par référendum du 23 février 1989. Cette Constitution à forte teneur libérale exigeait que nombre de dispositions législatives ou réglementaires de l'époque antérieure et bien évidemment le statut de la fonction publique se devaient de se conformer au nouveau texte constitutionnel.

Cette mise en concordance a pris du temps pour être concrétisée. Il a fallu quasiment dix-sept ans pour qu'elle survienne à la faveur de l'ordonnance n°06-03 citée plus haut. L'étonnant, c'est qu'il y avait largement le temps pour y procéder par la voie législative, qui aurait donné lieu à débat au Parlement, plutôt que de passer par le mode de l'ordonnance, compte tenu qu'aucune urgence ne pouvait être alléguée. A tel point que certaines mauvaises langues n'hésitaient pas à déclarer que le décret 85-59 du 23 mars 1985 faisait tellement bien l'affaire que l'autorité s'en trouvait rassurée et ne voyait pas l'utilité d'un nouveau statut.

En outre, ce qui peut être reproché à cette version, indépendamment du fait qu'elle soit intervenue formellement par voie d'ordonnance, c'est qu'elle ait abusé de dispositions qui relèvent du simple règlement, pour ne pas dire de la simple circulaire, frustrant l'exécutif de la part de prérogatives qui lui reviennent de droit en ce domaine.

2-2 Un statut peut en cacher un autre

L'ordonnance, dont il s'agit, fait étalage dans son chapitre 4 du titre I, d'un intitulé inscrit ainsi « les autres régimes juridiques de travail », titre anodin qui n'éveillait pas, dans sa première lecture, le moindre soupçon, même chez les analystes les plus avertis de la fonction publique. Il n'y avait et il n'y a toujours rien à dire au sujet des articles 20, 21 et 25. Ils sont dans l'ordre des choses en ce qu'ils se destinent à prévoir les cas de recours à des contractuels en vue de permettre à l'administration de faire face à des situations particulières et ou urgentes. Ce qui l'était moins par contre, c'est l'énoncé de l'article 19 dudit chapitre qui interpelle sur son véritable but. Ce qui n'a pas été compris sur le moment et qui n'est pas compris jusqu'à ce jour, même par des praticiens avertis du droit, c'est que désormais un certain nombre d'emplois de la fonction publique seront occupés par des contractuels, non plus à titre dérogatoire, mais de manière permanente.

A suivre

*Enarque