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Constantine: «Du savoir et de la résistance anticoloniale» (Suite et fin)

par Boudjemâa Haïchour*

  Elles se sont organisées dès le XIIe siècle, chez nous, et ont pris de l'importance en donnant au soufisme un encadrement social. Les «ziaras» visites pieuses et la «baraqa» (la bénédiction) des Awlyias Essalihines donnaient à ses rencontres une sorte de cérémonial religieux où les offrandes telles les «nachras» à Sidi Mohamed Ghorab, les danses initiatiques au rythme du tbel, du bendir, des naghrates offraient un spectacle à la grâce divine. La Grande Mosquée, construite sur les fondations d'une église par les Hammadides, est le plus ancien édifice religieux islamique connu à Constantine. Elle représente l'évolution religieuse durant trois périodes différentes.

Époque hafside: l'édifice était la mosquée populaire de la cité, tenue par cheikh al-islam. Époque ottomane: elle conserve le rite malékite et reste sous la tutelle d'une famille autochtone pro-ottomane et coloniale: le pouvoir colonial a transformé sa façade.

La mosquée Souk-El-Ghozel, dont la construction a commencé en 1703 et s'est achevée en 1730, fut transférée au culte catholique en 1838. Parmi les autres mosquées historiques : Hassan-Bey, Sidi-Ghofrane et Sidi-Lakhdar, construites par les différentes confréries religieuses et dynasties que le Maghreb a connues.

La mosquée de l'Émir Abdelkader date des années mille neuf cent quatre-vingt et fait partie de l'université islamique des sciences.

La géographie de la ville est unique, sa situation a nécessité la construction de nombreux ponts sur le Rhummel. À la fin du XIXe siècle, Guy de Maupassant décrit «Huit ponts jadis traversaient ce précipice. Six de ces ponts sont en ruines aujourd'hui. ». Le pont d'El-Kantara est l'un des plus anciens, construit à l'époque romaine et restauré par Salah Bey au XVIIIe siècle et en 1863. En outre, les ponts de Sidi M'Cid et de Sidi Rached, qui doivent leur nom aux mausolées voisins des marabouts de même nom, ont été inaugurés en 1912. À l'entrée des gorges, se situe le pont du Diable qui doit son nom au bruit « diabolique » que font les eaux dans cet endroit et à leur extrémité, le pont des Chutes, situé au début de la plaine de Hamma. Parmi les autres ponts, la passerelle Mellah-Slimane, anciennement Perrégaux, est réservée uniquement aux piétons. Sa particularité est d'être accessible, côté «Rocher» par un ascenseur et un escalier qui ramène les piétons au niveau de la rue trik ejdida (« rue neuve»). Il y a également le pont d'Arcole, un pont de fer, aujourd'hui fermé.

DU VIADUC LE TRANSRHUMELSALAH BEY AU ZENITH AHMED BEY

Un nouveau pont à haubans, le viaduc Trans-Rhumel ou pont Salah Bey est ouvert à la circulation le 26 juillet 2014, baptisé au nom du gouverneur de Constantine Salah Bey de 1771 à 1792. D'une longueur de 1 119 m et conçu selon le design de Dissing + Weitling Architecture, il permet de faire la jonction, au-dessus du Rhummel, entre la place de l'ONU, au centre-ville et les hauteurs de la ville Tiddis, située à une trentaine de km au nord-ouest de la ville, est une cité numide puis romaine, appelée aussi Qsentina El Qdima (vieux Constantine).

Il faut ne pas oublier la grande salle de spectacles le Zenith baptisée Ahmed Bey qui reçoit les grandes manifestations culturelles. Cette cité antique fortifiée est bien conservée. À l'instar d'autres anciennes médinas d'Algérie telle que Tlemcen, Mostaganem et Miliana, Constantine est entourée par les jardins denses du Hamma dont la propriété reste partiellement citadine et qui contribue au ravitaillement de la ville. La forêt de Chettaba composée de pins d'Alep et de chênes verts est presque située aux portes de la ville. La commune d'El Khroub abrite un mausolée royal numide qui peut être celui de Massinissa. Constantine a été désignée Capitale arabe de la culture 2015 par l'Alesco (Organisation pour l'éducation, la science et la culture de la Ligue arabe*////).Constantine est le berceau d'une des trois écoles de musique arabo-andalouse.

La version constantinoise est appelée le malouf qui signifie « fidèle à la tradition » dont le rythme et les instruments diffèrent des noubas d'Alger et de Tlemcen. Les autres styles musicaux de la ville sont le zadjal, une musique sacrée, les fkirettes chantent soit des sérénades, soit des medh sortes de litanies religieuses à l'occasion des circoncisions ou des noces interprétées par des femmes dans le genre hawzi ou zendali Le malouf ainsi que le hawzi et le mahdjouz de style populaire et andalous constituent le récital par excellence dans les fêtes de famille. Un festival international du malouf dans la ville devenant après une tradition où chaque année cette manifestation attire des artistes de musique arabo-andalouse d'Afrique du Nord, d'Europe, de Turquie et du Moyen-Orient. L'activité artisanale demeure importante, on y pratique la broderie, la dinanderie chère à feu Si Maamar Berrachi, un interprète émérite des «sjoul» sorte de zajal local, dont sa maîtrise de fabrication de plateaux de cuivre aux motifs d'inspiration ottomane, l'avait rendu célèbre.

La chaudronnerie, la sculpture sur bois et la poterie, Constantine reste une des villes qu'on aime visiter de par l'originalité de son panorama et de ses ponts qui relient les deux bords du Rhumel dont notre ami Ahmed Benyahia qui fut notre professeur de dessin au lycée, et venant des beaux-arts à la fois d'Alger et de Paris, continue de séduire de par son antique Rocher d'ères géologiques plusieurs fois millénaires tout visiteur aimant l'exotisme et la diversité morphologique de son espace de communion et d'hospitalité. En traversant ce temps d'un rendez-vous de l'histoire, vous êtes ici chez vous sous le ciel de cette cité phénomène, que décrivait Guy de Maupassant en 1890 dans ce paragraphe «Au soleil» comme «étant étrange gardée par le Rhumel semblable à un serpent qui se roulerait à ses pieds, au fond d'un abîme rouge, ce fleuve jaloux et surprenant, qui fait une île de sa ville. Il l'entoure d'un gouffre terrible et tortueux, aux rocs éclatants et bizarres, cette cité aux murailles droites et dentelées, domine les vallées admirables, pleines de ruines romaines, d'aqueducs aux arcades géantes, pleines aussi de merveilleuses végétations. » Plus aérien et plus vertigineux dira Louis Bertrand dans Afric en 1933, que la chute du Rhumel, qui au pied de la Casbah, se précipite en cascades, à la sortie des gorges. Mais aujourd'hui en ce temps-là, regardant cette ville étrange avec ses ponts suspendus, n'avons-nous pas l'impression de vivre dans un espace comme dira Zhor Ounissi dans son roman :

«Jasr lil bouh wal akhar lilhanin» (Un pont d'aveu et l'autre de nostalgie), que ce pont est une force de l'avenir, le nouement d'une relation, le prolongement de la vie, la continuation d'une vision, d'une pensée, d'un rêve». C'est cet attachement à cette ville qui nous donne une autre raison de vivre car « sa ville est un poème, une couleur, une musique en parlant de Constantine.

Pourrions-nous continuer à vivre cette nostalgie en évoquant ce morceau chanté dans le mode « djarqa » Ya Assafi ?ala ma madha, ?ala zamane inqada (Quelle fut ma peine pour une époque désormais révolue) ? Venez donc profiter d'un instant de félicité, entre rameaux en bourgeons et jasmin ; au son des douces mélodies qu'entonnent les oiseaux et le rossignol si éloquent. « Aghnam ya malih sa'a hanyia » en profitant d'un instant de bonheur.

*Dr et Chercheur Universitaire

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