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Finances islamiques en Algérie : comment et pourquoi ? Acte III (1ère partie)

par Zerouali Mostefa*

«Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles». Sénèque (1)

La taille de l'industrie des finances islamiques n'a cessé de croître depuis des décennies, et ce, à pas sûrs et de façon pérenne. Mais elle s'est réellement affirmée comme une véritable industrie financière systémique ayant ses propres ressorts et son écosystème spécifique à partir de la crise financière de 2008. Ses normes, ses valeurs, ses objectifs économiques et sa pertinence ont fait d'elle un moyen suffisamment solide, pérenne et stable pour l'accompagnement sécurisé de toutes les activités économiques sans avoir à se détourner de l'économie réelle, comme ce fut le cas pour la finance conventionnelle.

Cette dernière, via ses activités de «l'ombre (2) » qui a développé des mécanismes, des outils et des instruments toujours plus complexes, plus volatiles, plus éloignés de l'économie réelle, plus rentables certes, mais plus risqués, plus spéculatifs, moins régulés, moins contrôlables et in fine, uniquement dans le but de générer des revenus et d'engendrer des profits toujours plus importants sans aucune conscience des répercussions potentielles et des retombées en cascades en cas de crash. L'Algérie n'a pas vu d'utilité ni d'opportunité dans le développement de la finance islamique, dès le début, malgré sa qualité de membre fondateur à l'O.C.I (3) et son appartenance à la B.I.D. (4) et malgré les moyens dont elles disposaient, depuis 2000 et jusqu'en 2015 pour adapter et diversifier son système bancaire en toute aisance et sans avoir à sacrifier d'autres priorités économiques et financières. Dommage pour ce ratage regrettable et en particulier pour toutes les opportunités ratées de 2008 à 2010 (5) où cette forme de finance fut unanimement et réellement reconnue, à travers le monde, comme un outil efficace et stable de financement de l'économie réelle et un secteur solide et à l'abri des crises cycliques.

Mais, rien n'est jamais définitivement perdu ni totalement raté même si les conditions se durcissent et l'environnement bancaire et financier islamique international devient compétitif et rigoureusement contraignant, voire même très sélectif de ses marchés prioritaires. Les nouvelles autorités politiques et les nouveaux hommes des pouvoirs publics franchissent, à nouveau, un palier dans ce domaine et prennent le taureau par les cornes.

D'abord en 2018 en rédigeant un premier règlement 18-02 du 04/11/2018 qui sera publié dans le Journal Officiel, mais qui n'a jamais été vraiment suivi de textes d'application et d'accompagnement adéquat pour sa mise en application par les banques et établissements financiers, même si certaines banques privées en ont profité pour ouvrir des fenêtres de finances dites participatives en s'appuyant sur ce règlement. Quant aux banques publiques, l'attente des instructions applicatives et pratiques de ce texte était accompagnée de déclarations, de rencontres et de forums réguliers sans que l'une d'entre elles ose réellement mettre en place une gamme de produits, des procédures, des produits détaillés et des activités frappées de ce label, à l'exception, peut-être, de la CNEP (Idjara immobilière commerciale, sauf erreur ou omission !) et de la BDL (Tas-hilat Ramadan, facilités octroyées aux salariés sans intérêts, sauf erreur ou omission !). Ensuite, les autorités monétaires ont récemment promulgué un nouveau règlement qui abroge le règlement susmentionné et institue, pour la première fois, la notion de «finances islamiques». Ce nouveau règlement «définissant les opérations de banque relevant de la finance islamique et les conditions de leur exercice par les banques et établissements financiers» publié le 24/03/2020 dans le Journal Officiel algérien, porte la référence «20-02 du 15 mars 2020».

La présente contribution vise à faire une première lecture des dispositions et modalités que ce nouveau règlement apporte aux Algériens d'abord, aux banques et établissements financiers publics et privés ensuite, et aux autorités et pouvoirs publics enfin. Elle aura également comme objectif d'expliquer certains de ses contours, d'identifier certaines de ses insuffisances ou de ses interprétations potentiellement erronées, limitatives ou contre-productives. Mais avant cela, il me semble plus important et plus équitable de commencer par les aspects positifs et les avantages d'un tel choix de la part du régulateur national.

En premier, et c'est vraiment une nouvelle importante et très symbolique, il y a le choix de la terminologie associée à cette activité de banque et de finance spécifique. Le règlement reprend le terme adéquat, la dénomination authentique et l'appellation originelle de «finances islamiques» et abandonne le terme que nos voisins marocains ou nos amis turcs avaient adopté dans leurs jargons pour désigner cette forme de finance à savoir «finance participative». À mon avis, ce choix osé et qui risque de froisser une partie bien puissante des cercles qui exercent leur influence sur les choix politiques, économiques culturels et sociaux de l'État algérien, est motivé par des considérations factuelles et objectives.

En effet, l'utilisation du vocable islamique est plus cohérente au vu des dispositions de l'article 2 de la Constitution algérienne. Elle répond à une notion intégrée largement dans l'imaginaire populaire national comme une constante immuable de l'identité algérienne. Elle vise enfin à faire parvenir un message clair sur le plan psychologique et spirituel afin de convaincre les populations du bien-fondé de cette démarche et de les pousser à franchir le palier de l'inclusion financière. Il est vrai que le passif médiatique et politique de ce terme générique reste bien présent dans les mémoires des concernés et les risques de son association polémiste et malintentionnée à des fléaux et périls autres qu'économiques et financiers est grand. Mais, à mon avis, ce choix dénote du degré de maturité politique et de dissociation nette et définitive entre «Islam» et toute interprétation dangereuse qui lui serait associée par des cercles malveillants de part et d'autre. Le choix du terme islamique répond également à une logique externe et multilatérale, à mon avis. Ceci permettra à l'Algérie de se positionner, de façon plus simple et plus pratique, vis-à-vis des institutions internationales et multilatérales en charge du développement de l'industrie des finances islamiques, en matière de normes éthiques, d'instruments de supervision systémique et prudentielle, et in fine, de bénéficier des fonds et flux que cette finance génère dans le monde pour des opérations de financements public et institutionnel. Les codes, notions, produits, modalités et processus seraient bien mieux domptés et compris par nos acteurs et opérateurs dans le cadre de leurs formations et activités quotidiennes. Quoi de mieux qu'une relation gagnant-gagnant dans le domaine du business, des finances et de la banque pour panser les blessures du passé et réparer, tant peu soit-il, les dégâts intellectuels et culturels occasionnés aux uns et aux autres par des courants et groupes extrémistes, au mieux ignares et aux pires ayant des allégeances douteuses qui tiraient les ficelles jusqu'à il n'y a pas si longtemps. Deuxième notion importante et pratique choisie par les autorités pour encadrer et réguler un marché qui est resté longtemps entre les mains des déontologues et qui souffraient de nombreuses insuffisances juridiques et à terme constituaient un risque latent important sur le plan judiciaire, il s'agit d'avoir privilégié la régulation par «règlement» et non pas par «décret présidentiel» ou par «loi». En effet, là aussi le choix des autorités monétaires et des pouvoirs publics me semble motivé par la souplesse et la progressivité dans leur démarche de régulation.

Le règlement est promulgué d'une façon plus simple et plus pragmatique qu'un décret ou une loi dont l'élaboration, la modification et l'abrogation deviendraient trop lentes en cas d'impertinence, d'évolution des paramètres systémiques du marché ou de nouveautés, dans les pratiques et contrats de la finance islamique. Ainsi, les pouvoirs publics pourront aisément et sans trop de difficultés, procéder à l'amélioration de son contenu et de ses dispositions rapidement et/ou par des circulaires d'application ou même des instructions spécifiques, en cas de nécessité. Là, aussi, certains vont y voir une certaine hésitation de la part du législateur à aller vraiment au fond des choses où une façon de fuir ses responsabilités politiques en ne soumettant pas aux représentants du peuple un texte aussi important. Mais là encore, quoi de mieux qu'une bonne dose de pragmatisme et de chiffres positifs sur les principales problématiques économiques et financières de la société algérienne pour convaincre les plus sceptiques de la pertinence et de l'intérêt d'une telle démarche ?

D'ailleurs, à mon avis, dans l'esprit des musulmans comme dans la doctrine politique intelligente, la progressivité dans la régulation et l'amélioration des pratiques et des règles de fonctionnement est la clef de la réussite, de la stabilité et de la pérennité, de l'efficacité et de l'efficience.

Un troisième élément intéressant dans ce règlement par rapport à l'ancien, concerne cette volonté affichée à aller vers une organisation et des structures d'encadrement plus prononcées et mieux séparées en précisant que cette activité aura une supervision technique et éthique authentique. Le régulateur souhaite, à mon avis, prendre en considération la diversité de la société algérienne et des spécificités des pratiques confessionnelles qu'elle comprend.

Il vise également à garantir au maximum l'indépendance des organes de supervision afin de minimiser les risques d'erreur ou de conflits qui découleraient d'interprétations divergentes ou contradictoires de certaines notions et pratiques commerciales et financières. Enfin, il souhaite que l'industrie bénéficie de deux niveaux de contrôle de l'activité des guichets, des banques et des établissements de finances islamiques, ce qui est tout à fait pertinent sur le plan technique. Allons maintenant lire le contenu détaillé du texte, essayons d'en apporter des commentaires, des interprétations potentielles et éventuellement des propositions pour l'enrichir davantage et/ou ouvrir la voie à l'intégration d'autres aspects dans les futurs textes d'application le concernant. Le but de cette lecture n'est absolument pas de remettre en cause les intentions ni les objectifs systémiques, ni les objectifs spécifiques et encore moins les efforts déployés par nos autorités, qui prennent conscience de l'importance et de la pertinence du business-modèle et du caractère positif global de la finance islamique. Le but est, bien évidemment, de participer, en tant que professionnel de la banque, aux efforts déployés par le gouvernement pour mettre en œuvre un cadre adéquat et optimal pour l'émergence d'une activité, sans conteste bénéfique aux systèmes bancaires et aux finances publiques de l'Algérie.

Article 2 : entre une définition, des définitions et aucune définition : que choisir ?

Le règlement définit les opérations bancaires relevant de la finance islamique comme celles ne donnant pas droit à perception ou à versement d'intérêts. À mon avis, cette définition est restrictive et insuffisante sur le plan du droit pour englober tous les produits actuels et futurs de la finance islamique de façon exhaustive. Son application serait même contraignante à l'avenir. En effet, stipuler que l'absence de «perception» et/ou de «versement» des intérêts ne peut pas être la seule caractéristique spécifique ni exclusive des produits de la finance islamique. De nombreuses autres caractéristiques, beaucoup de principes et plusieurs fondements sont absents dans cette définition. Par conséquent, je pense que dans un règlement fondamental et fondateur le régulateur souhaite administrer rigoureusement ces activités ou bien il préfère une approche plutôt libérale dans son texte fondateur. Dans ce cas, la première approche impose des définitions claires, détaillées, profondes et exhaustives afin de ne laisser aucune possibilité à des interprétations diverses et potentiellement contradictoires. La deuxième approche impose le contraire, c'est-à-dire laisser les professionnels ou les entités qui supervisent cette activité professionnelle définir ces produits sans préjudice sur le droit, en dernier recours, reconnu au régulateur d'en accepter ou d'en rejeter le contenu, à tout moment.

Aussi, les produits de la finance islamique ont bien plus de caractéristiques que «l'absence de perception et de versement des intérêts». Par exemple, nous avons des caractéristiques liées aux produits eux-mêmes, aux intervenants dans les transactions sur ces produits, aux contrats objet de ces produits, aux filtrages légitimes ou licites, aux activités financées par ces produits, et à d'autres aspects que je ne peux détailler ici relatifs aux objectifs fondamentaux de la Chariâa «Maqassid Al Charia» (6).

Le règlement ici renvoie aux dispositions de la loi algérienne sur la monnaie et le crédit en vigueur, à savoir l'ordonnance numéro 03-11 du 23 août 2003 dont les articles 63 à 69 ci-dessous, définissent les modalités d'élaboration et d'adoption des règlements, ainsi que les conditions de leur validation et/ou contestation par les services du ministère des Finances ou tout autre organisme qui en serait éventuellement lésé.

Pour améliorer cette définition ou la rendre plus généralisable, je propose ce qui suit :

1. Laisser la définition des produits aux comités mixtes composés de professionnels du métier et des autorités de supervision de cette activité. Dans ce cas, il serait plus judicieux de revoir l'article en se contentant de mentionner par exemple qu'il s'agit de tout produit «ayant bénéficié ou ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché conformément aux dispositions légales et réglementaires et en vigueur» afin de laisser le champ libre à l'enrichissement de cette activité. Le principal argument pour ce choix consiste à dire que les produits sont et seront divers, différenciés, illimités, évolutifs et suivraient certainement l'évolution de la recherche, du développement et des innovations des banques concernées. A suivre

* Ex-cadre de banque, consultant et conseiller en finance islamique.

Notes :

(1) Lucius Annaeus Seneca, philosophe né à Cordoue. 4 avant J.C- 65 après J.C

(2) «Shadow» finances ou «shadow» banking traduit littéralement par finances de «l'ombre» ou activité bancaire de «l'ombre» est mise en cause par tous les économistes pour sa responsabilité de la crise financière de 2008.

(3) O.C.I. : Organisation de la Coopération Islamique, se référer au site : www.oic-oci.org

(4) B.I.D. : Banque Islamique de Développement

(5) La banque islamique a existé auparavant sur le marché algérien via la Banque Al Baraka. Mais il n'y avait pas de cadre réglementaire ni d'organisation, ni de processus, ni d'outils et d'instruments de gouvernance et de supervision dédiés. Des adaptations déontologiques de part et d'autre sont implicitement reconnues et acceptées faisaient fonctionner les banques et/ou guichets qui y opèrent.

(6) Maqasid signifie «fin», «buts» ou «objectifs»



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