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À la défense de la diplomatie en santé mondiale

par Junaid Nabi*

BOSTON - L’une des marques d’une politique étrangère efficace est qu’elle se déroule en coulisse, ni trop bruyante ni particulièrement visible. Il est urgent que les autorités publiques adoptent une telle démarche pour endiguer le mouvement de panique dans le monde entier causé par l’épidémie de coronavirus, qui a causé jusqu’ici le décès de plus de 1 300 personnes et infecté plus de 63 000 autres.

Même si presque tous les décès et les cas confirmés ont été déclarés en Chine continentale, le virus s’est propagé dans plus d’une douzaine de pays. L’Organisation mondiale de la santé a récemment déclaré cette épidémie une urgence sanitaire mondiale.

En ce moment, la panique règne. Les géants mondiaux des technologies comme Google, Apple, Facebook et Tesla ont temporairement interrompu leurs activités en Chine et demandé à leurs employés de travailler de chez eux. La plupart des sociétés étrangères comme les compagnies aériennes, les constructeurs d’automobiles, les commerces de détail et des chaînes de divertissement ainsi que les établissements financiers ont pris des mesures semblables. Et aux États-Unis, les Américains d’origine asiatique et les étudiants des pays d’Asie sont aux prises avec une recrudescence de commentaires xénophobes à propos de leur nourriture, de leur culture et de leur mode de vie.

De plus, bon nombre de pays se sont joints aux États-Unis pour émettre des interdictions temporaires de séjour aux ressortissants étrangers qui ont séjourné récemment en Chine. Or, d’éminents experts en santé mondiale font valoir qu’il est peu probable que de telles politiques restrictives, qui sont normalement réservées aux situations mortelles vont parvenir à enrayer la propagation de ce que l’OMS a baptisé le COVID-19.

De telles mesures ont plutôt attisé la panique parmi les investisseurs. La plupart des titres chinois ont fortement reculé à la réouverture du marché après les vacances du Nouvel An chinois, avec certains indices de marché subissant leur plus forte baisse en une journée depuis plus d’une décennie. Puisque la Chine est la deuxième plus importante économie dans le monde, ces pertes financières auront des répercussions mondiales. Par ailleurs, les effets perturbateurs du COVID-19 sur les marchés du travail, le tourisme et la production manufacturière ont eu des répercussions sur les activités des multinationales qui dépendent de la puissance industrielle et des chaînes logistiques de la Chine.

La crise sert de rappel des raisons pour lesquelles les autorités publiques doivent considérer la santé comme une composante essentielle de la politique étrangère. À dire vrai, la panique actuelle aurait pu en grande partie être évitée si les dirigeants politiques avaient mené des initiatives de diplomatie en santé mondiale.

Des pays ont déjà reconnu le rôle de la santé en tant qu’outil essentiel de politique étrangère, notamment dans le cadre de la Déclaration ministérielle d’Oslo de 2007 par les ministres des Affaires étrangères du Brésil, de la France, de l’Indonésie, de la Norvège, du Sénégal, de l’Afrique du Sud et de la Thaïlande. Cela étant, ce principe est devenu de plus en plus difficile à appliquer en raison de la montée mondiale des nationalismes d’extrême droite, qui interpelle les diplomates par la difficulté d’entretenir des relations amiables avec des alliés diabolisés par leurs propres gouvernants.

Des politiques étrangères impulsives visant à contrer le COVID-19 - tel que des interdictions de voyager et l’interruption d’activités économiques - non seulement ne sont pas soutenues par des études scientifiques, mais risquent également de nuire à long terme. En revanche, le doux pouvoir de convaincre ou la capacité d’un pays d’influer sur les préférences des autres pays par les voies de la persuasion et de la diplomatie, est bien souvent beaucoup plus efficace. En fait, trois des stratégies qui s’avéreront probablement les plus efficaces pour traiter le COVID-19 (et d’autres épidémies à venir) nécessiteront que les autorités publiques et les autres intervenants coopèrent plus étroitement, qu’ils établissent des liens de confiance mutuelle profonde et créent des plateformes qui favorisent la libre diffusion de données scientifiquement validées.

Avant tout, la santé doit être considérée comme un bien public mondial. Les pays dotés de systèmes robustes de recensement et de diffusion d’études scientifiques doivent établir des réseaux de collaboration par lesquels les pays à revenus faibles et moyens peuvent signaler et rendre publiques des informations sur des épidémies infectieuses. Heureusement, les principales revues médicales internationales, dont The Lancet et The New England Journal of Medicine, colligent - et publient rapidement - des données validées scientifiquement par des pairs sur les paramètres cliniques et sanitaires du COVID-19. Cet élément est crucial, car le coronavirus n’est pas la seule épidémie à se propager mondialement ces dernières semaines ; il y a également une épidémie de désinformation en ligne, particulièrement sur les plateformes de médias sociaux.

Deuxièmement, les pays où prennent naissance les épidémies potentielles ne devraient pas se faire stigmatiser. Les autorités publiques doivent créer des canaux officiels et confidentiels par lesquels les fonctionnaires peuvent librement échanger des renseignements sur les nouvelles menaces sanitaires ou des épidémies potentielles. Le foyer du COVID-19 est devenu si étendu en partie parce que les autorités chinoises craignaient une situation politiquement embarrassante et a au début étouffé l’information lorsque des médecins du Wuhan ont sonné l’alarme à propos des cas d’infection. Malgré le fait que les pays sont dotés de divers mécanismes pour informer le public des risques sanitaires, une démarche plus coordonnée des initiatives diplomatiques en santé mondiale aurait pu atténuer les répercussions de l’épidémie.

Troisièmement, il faut que les autorités publiques investissent dans le renforcement des systèmes de gestion des données pour qu’ils suivent la progression de l’épidémie, de préférence en temps réel. Ces systèmes pourraient prendre la forme d’une nouvelle carte comportant des variables épidémiques dressée par le Centre de la science des systèmes et du génie de l’Université Johns Hopkins dans le but de suivre la progression de l’épidémie du COVID-19. Cette carte compile des données de l’OMS, des centres de contrôle et de prévention des maladies des États-Unis et leurs contreparties européennes et chinoises et de la Commission de la santé nationale de la Chine, et ce, en temps réel. De telles données sont essentielles pour aider les autorités publiques à prendre des décisions éclairées sur la meilleure façon de combattre le virus.

À l’ère de la mondialisation, on ne peut se permettre d’ignorer les risques sanitaires se déclarant dans les autres pays. Les autorités publiques des pays riches devraient en particulier cesser de considérer la mondialisation accrue et l’interdépendance comme un phénomène purement économique permettant aux entreprises d’établir des usines et des chaînes logistiques dans des économies à revenus faibles et moyens. Les pays privilégiés ont la responsabilité d’établir des mécanismes de soutien qui aident les autres pays à parer aux nouvelles menaces sanitaires.

Devant une pandémie comme le COVID-19, les dirigeants politiques devraient être guidés par des données validées scientifiquement et par la compassion, et non par des anecdotes et des actes de xénophobie. La santé mondiale éclairée par la diplomatie pourrait sauver d’innombrables vies.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
*Chercheur en santé publique à l’Hôpital pour femmes Brigham et à la faculté de médecine de Harvard à Boston