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Prémices d'une relance de l'UMA ?

par Ghania Oukazi

  Le président tunisien, Kaïs Saïed a effectué hier une visite d'Etat en Algérie pour s'entretenir avec Abdelmadjid Tebboune sur l'état des relations bilatérales au milieu de ce périlleux tumulte géopolitique que vivent la région et le monde arabe en général.

Kaïs Saïed a ainsi honoré son engagement à effectuer sa première sortie hors de son pays en tant que président de la Tunisie en Algérie. «J'ai tenu à ce que ma première visite officielle soit en Algérie parce que c'est notre voisine et les deux pays sont liés par une longue histoire collective notamment celle durant la guerre de libération nationale», a-t-il déclaré hier lors de sa rencontre avec la communauté de son pays à l'ambassade tunisienne à Alger. C'est un engagement qu'il a pris le 23 octobre dernier, jour de sa prestation de serment et son investiture au palais de Carthage. Son déplacement à Alger est frappé du sceau de l'urgence au regard des développements que connaît la région notamment en matière d'instabilité politique et sécuritaire. On en veut pour preuve, ce déplacement s'est fait alors que le gouvernement tunisien n'a pas encore été constitué. La porte-parole de la présidence la République tunisienne a, pour rappel, affirmé que le président tunisien n'entreprendra pas de voyage à l'étranger avant la constitution du gouvernement. Nommé 1er ministre par Saïed le 21 janvier dernier en remplacement de Habib Jemli qui a échoué à faire accepter son gouvernement par le Parlement tunisien, Elyes Fakhfakh n'a pas encore mis en place un nouveau gouvernement. «Li dharourati ahkam (la nécessité a ses règles)», des urgences nationales et régionales évidentes justifient cette brève visite algéroise du président tunisien. L'engluement de la crise libyenne et ses conséquences sur les frontières de l'Algérie et la Tunisie, a été au centre des discussions entre les deux présidents. La Palestine occupée s'est imposée d'elle-même parce qu'elle est soumise par Donald Trump à des enchères malhonnêtes et fourbes qui l'offre entière à l'entité sioniste au vu et au su des Etats arabes et musulmans. «Nous rejetons la transaction du siècle, nous sommes pour la solution de deux Etats, un Etat palestinien aux frontières de 67 avec El Qods comme capitale,» a affirmé hier le président Abdelmadjid Tebboune.

Les quelques heures de Saïed à Alger

La présidence tunisienne a indiqué dans un communiqué qu'elle a rendu public la veille de ce déplacement que «cette visite qui s'inscrit dans le cadre des relations historiques et privilégiées unissant les deux pays, a pour objectif de développer la coopération entre la Tunisie et l'Algérie dans plusieurs domaines vitaux tels que l'énergie, le commerce, l'investissement, le transport et le tourisme. Elle sera aussi l'occasion de renforcer la coordination et la consultation concernant les questions d'intérêt commun, en premier la situation en Libye et la cause palestinienne».

Saïed a passé à peine quelques heures à Alger, le temps d'échanger avec son homologue algérien les propositions et avis sur les dossiers les plus urgents. Il a notamment bénéficié d'une aide financière qui permettra de souffler le temps que son pays puisse reconstituer ses ressources. «Nous nous sommes entendus pour verser à la Banque centrale tunisienne 150 millions de dollars comme garantie d'aide à la Tunisie parce qu'elle vit actuellement une situation économique et financière difficile», a fait savoir Tebboune.

«Mieux vaut tard que jamais !», s'est exclamée hier la rédactrice en chef du quotidien tunisien Essabah, Essia Atrous qui a accepté de répondre à nos questions à propos de cette visite. Elle a estimé que «attendre trois mois après (depuis l'élection de Tebboune ndlr) pour se rendre à Alger est étonnant au vu de la situation qui prévaut en Libye». Une situation, explique-elle, qui «exige le plus d'attention possible notamment après la conférence de Berlin qui n'a pas réussi à mettre fin à la présence des puissances occidentales en Libye». Essia Atrous relève d'ailleurs que «nous, pays de la région (la non-participation de la Tunisie à Berlin), on nous interdit de nous impliquer directement dans le règlement du conflit libyen, on est mis devant le fait accompli de l'accord entre Ankara et le GNA de Tripoli (...), ils ne veulent pas qu'on soit partie prenante alors que les conditions sécuritaires à nos frontières sont désastreuses». Elle reprend le représentant du secrétaire général de l'ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, qui, rappelle-t-elle, «parle de milliers de combattants étrangers en Libye, mais ne nous dit pas qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Qui les a aidés pour arriver en Libye ?»

Et l'UMA ?

En faisant état de ce désordre géopolitique dans la région, la rédactrice en chef d'Essabah souhaite que les deux présidents, algérien et tunisien vont relancer le projet de réalisation de l'Union du Maghreb Arabe (UMA). Une union, dit-elle qui «permettra aux pays de la région de régler un nombre important de leurs problèmes économiques et sociaux, d'emploi, de sécurité, (...).» Elle affirme ainsi que «nous avons des solutions pour régler toutes ces questions mais nous ne faisons rien». Essia Atrous pense qu'il serait judicieux pour Tebboune et Saïed d'organiser à cet effet ?pourquoi pas !-, une visite à Rabat, au Maroc. «La complexité de la situation dans la région nécessite une concertation et une coordination soutenues entre les pays du Maghreb», souligne-t-elle.

Les deux présidents se rappelleront certainement qu'ils ont reçu le président Erdogan, la Tunisie le 25 décembre dernier et l'Algérie le 27 et 28 janvier dernier, et s'en sont sortis avec des polémiques «erdoganiennes» quelque peu désobligeantes. De retour chez lui, Erdogan a en effet déclaré que Tebboune lui a confié que «la France a massacré 5 millions d'Algériens en 130 ans de colonisation et on doit publier des documents pour que Macron sache que son pays a tué 5 millions d'Algériens». C'est le ministère des Affaires étrangères qui a été chargé, samedi dernier, de réagir à ces propos pour affirmer que «l'Algérie s'étonne des déclarations du président de la Turquie, Recep Tayipp Erdogan, dans lesquelles il a été prêté au président de la République Abdelmadjid Tebboune des propos sortis de leur contexte, portant sur une question historique concernant l'Algérie. Les questions mémorielles complexes ont une sacralité et une sensibilité particulières pour le peuple algérien. De tels propos ne servent pas les efforts que fournissent l'Algérie et la France pour régler les questions mémorielles». Avant Tebboune, Saïed a été obligé de rebondir sur des déclarations d'Erdogan à Ankara faisant état d'une entente avec Tunis sur la démarche à prendre pour un règlement de la crise libyenne.

Quand la diplomatie sème la polémique

Démarche que Fathi Bachagha, le ministre de l'Intérieur du GNA libyen a expliqué comme étant «une coalition entre Tirpoli, Tunis et Alger qui soutient Fayez Esseraj contre Kahlifa Haftar.» Ces propos ont propagé de gros malentendus au sein de la classe politique tunisienne. Ce qui a obligé les autorités tunisiennes à demander à Bachagha de quitter immédiatement le territoire tunisien et Saïed à préciser que «nous avons une position neutre dans la crise libyenne et nous ne faisons pas partie d'une quelconque coalition (...).»

Notons que le président Tebboune a demandé à la compagnie Air d'Algérie de rapatrier, «à la demande des autorités de leur pays», 10 ressortissants tunisiens en même temps que les 36 Algériens de Wuhan, localité chinoise mise en quarantaine à cause de l'épidémie du coronavirus. Le vol Alger-Pékin (Beijing) a été entrepris hier à l'aube. Son retour est programmé «dans les plus brefs délais» affirment des membres de la Compagnie nationale. Saïed lui a rendu hier hommage à ce propos.

Le rapatriement des Tunisiens vivant en Chine se veut, selon des sources à la Présidence de la République «un geste d'une forte solidarité entre l'Algérie et la Tunisie, il est pour prouver la solidité et la profondeur des relations entre les deux pays.».

Dès son arrivée hier à Alger, le président tunisien s'est déplacé tout de suite au sanctuaire des martyrs de Ryadh El Feth pour se recueillir à la mémoire des Chouhada. Aux côtés du ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, il contemplera la baie d'Alger, qu'on dit la plus belle après celle de Rio de Janeiro la brésilienne, et a visité le musée du Moudjahid.