Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les vigiles de l'histoire

par Abdelkrim Zerzouri

Souvent, par le passé et le présent, les présidents algérien et français se sont retrouvés malgré eux otages, voire prisonniers, de l'espace mémoriel, héritage historique jamais partagé avec sérénité. Deux évènements récents, survenus à près d'une semaine l'un de l'autre, confirment ce cloisonnement politique quand il s'agit d'évoquer le passé colonial de la France en Algérie ou seulement de balbutier le mot HISTOIRE qui a marqué cette époque par la violation des droits humains les plus élémentaires. Le premier a mis en scène le trait tiré par le président français Emmanuel Macron entre la Shoah (l'extermination de plus de cinq millions de Juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale) et la guerre d'Algérie, en confiant à des journalistes qui l'accompagnaient dans l'avion qui le ramenait à Paris après une visite officielle en Israël, que «la France doit revisiter la mémoire de la guerre d'Algérie pour mettre un terme au conflit mémoriel qui rend la chose très dure en France». Il a ajouté que s'il parvenait à le régler, ce dossier aura «à peu près le même statut que ce qu'avait la Shoah pour Chirac en 1995». Il n'en fallait pas plus pour déclencher immédiatement une levée de boucliers au sein de l'opinion française. Un blasphème qui déclenche toute la machine médiatique pour le dénoncer. De nombreux Français, les nostalgiques de l'Algérie française et les organisations juives en France, et ailleurs, ont été offusqués par la comparaison faite par le président français, alors que rien, absolument rien dans l'histoire de l'humanité ne peut se comparer à l'Holocauste, le plan nazi qui visait l'anéantissement des Juifs, considère-t-on. Avec promptitude, l'Élysée a exclu toute comparaison entre la Shoah et la guerre d'Algérie, expliquant que dans l'esprit du chef de l'État, le seul lien qui existe se joue entre « les sujets mémoriels » dans leur ensemble, qui « sont au cœur de la vie des nations ». « Qu'ils soient utilisés par certains, refoulés par d'autres, assumés? Ils disent quelque chose de ce que vous voulez faire de votre pays et de votre géopolitique », voilà ce à quoi veut en arriver le président français, qui reste fidèle à ses déclarations qualifiant la colonisation de « crime contre l'humanité », lors d'une virée à Alger, du temps où il était encore candidat à la pésidence, sans en connaître les voies pour concrétiser officiellement cette qualification. Exit, donc, la Shoah mais pas le crime colonial. Le président Tebboune, de son côté, a été mis en gêne par le président turc, Erdogan, qui a indiqué, vendredi dernier, avoir demandé à son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune de lui faire parvenir des documents ayant trait aux crimes commis par le colonisateur français en Algérie. «Nous devons publier ces documents pour rappeler au président français Macron que son pays avait tué cinq (5) millions d'Algériens», a déclaré Erdogan qui dit avoir eu cette information de la bouche du président Abdelmadjid Tebboune, à l'occasion de la visite qu'il a effectuée récemment en Algérie. Erdogan ne s'est pas suffi de cette confidence mais y est allé dans une dissertation sur la stratégie du président Tebboune vis-à-vis de la France, notamment en ce qui concerne les crimes perpétrés par l'occupant français en Algérie. Une démarche pas de compassion avec le peuple algérien mais pour régler ses propres comptes avec la France, à laquelle il ne pardonne pas d'avoir officiellement reconnu le génocide arménien. En tout cas, là également la réaction de l'Algérie ne s'est pas fait trop attendre pour exprimer sa « surprise » par la confidence du président turc Erdogan, précisant que les questions complexes liées à la mémoire nationale, qui revêt un « caractère sacré » pour le peuple algérien, sont des questions « extrêmement sensibles » et que « de tels propos ne concourent pas aux efforts consentis par l'Algérie et la France pour leur règlement». Cela risque tout simplement d'ouvrir, ici et là-bas, les plaies de l'histoire qu'on veut panser. Le registre est clos par un entretien téléphonique entre les présidents algérien et français. Mais la prison reste bien gardée par les vigiles de l'histoire.