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Comment le décodage peut remporter le combat contre la désinformation

par Peter Cunliffe-Jones1, Laura Zommer2, Noko Makgato3 et Will Moy4

JOHANNESBOURG - Selon les décodeurs du Washington Post, le président des États-Unis Donald Trump s’est livré depuis son investiture à plus de 13 000 déclarations fausses ou trompeuses. On ne peut guère s’étonner que certains, dans ces conditions, émettent des doutes sur les capacités des décodeurs du discours politique à répondre aux questions soulevées par ce nouvel âge de la désinformation.

Lorsque responsables politiques et journalistes d’Europe, des Amériques, d’Afrique et d’Asie se sont retrouvés à la Conférence mondiale pour la liberté des médias, qui s’est tenue à Londres, au mois de juillet, ils n’ont pas caché que la diffusion croissante de la désinformation contribue à la défiance envers les élus et les médias. Mais les solutions efficaces ne se bousculent pas. Les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, en 2019, qui réunissaient les élites politiques et économiques, quelques jours plus tôt, autour du thème « renouer avec la confiance » partageaient ce constat.

Cela ne signifie pas que les solutions n’existent pas. En tant que dirigeants et fondateurs d’organisation spécialisées dans le décodage de l’information, en Afrique, en Amérique latine et en Europe, nous savons que notre travail peut jouer un rôle important dans la lutte contre la désinformation et la reconstruction de la confiance dans des sources fiables.

Pour remplir cette mission, il faut d’abord bien comprendre la nature des enjeux. Les 200 organismes de décodage ou équipes de décodeurs de par le monde travaillent, pour la plupart, en partant de l’hypothèse qu’en fournissant aux citoyens des informations exactes, ils les conduiront généralement à réexaminer leur point de vue lorsque celui-ci s’est auparavant fondé sur de fausses informations.

Comme on pouvait s’en douter, les travaux de recherche sur le décodage tentent presque tous de démontrer cette hypothèse. Les résultats sont encourageants. Si personne ne peut tenir pour certain certain qu’en fournissant aux gens des informations exactes on les entraînera à réviser leur point de vue, les enquêtes successives ont prouvé que le travail des décodeurs aide les citoyens à reconsidérer la façon dont ils comprennent ce qu’on leur affirme, même lorsque les conclusions contredisent des croyances fermement enracinées.

En revanche, la publication d’informations vérifiées et décodées n’est pas suffisante. Quand bien même on disposerait de tous les moyens souhaitables, il demeurerait impossible d’évaluer l’ensemble des cas où la désinformation a pu être corrigée et où les gens ont eu accès à son décodage. Il y a par ailleurs trop de désinformation circulant sur les réseaux et dans le débat public pour qu’on puisse seulement imaginer pouvoir contrôler chaque affirmation inexacte.

C’est pourquoi, outre l’identification et la correction des contre-vérités les plus flagrantes, les décodeurs doivent travailler avec les responsables politiques, les médias traditionnels, les réseaux sociaux et d’une façon générale avec les acteurs de la communication afin de réduire les émissions d’informations fausses. Cela signifie solliciter les personnalités publiques pour qu’elles corrigent publiquement leurs erreurs, déposer plainte auprès des instances compétentes et former les acteurs médiatiques. Cela signifie aussi travailler avec les entreprises du secteur technologique afin de trouver les moyens qui permettront de stopper la circulation de la désinformation, par-delà les frontières.

Dans le même temps, les structures qui se chargent du décodage ne doivent pas se contenter de cibler les fausses informations, mais compléter leur action en labellisant les sources fiables et en orientant vers elles leurs lecteurs et leurs abonnés. Et nous devons travailler avec les écoles et les plateformes pédagogiques pour les aider à former les gens à la lecture de l’information et à l’identification des affirmations trompeuses. C’est ce que font nos structures, et si petites qu’elles soient, si faibles que soient leurs moyens, les effets se font déjà sentir.

Ainsi au mois de janvier, Ibrahima Diouf, l’économiste chargé de la rédaction du programme économique du Parti de l’unité et du rassemblement, l’une des principales formations politiques sénégalaises, affirmait-il à un chercheur de l’université de Dakar, que les auteurs des programmes des partis politiques accordaient désormais, grâce au travail des décodeurs d’Africa Check, plus d’attention à l’exactitude des chiffres qu’ils citent.

De même, en Afrique du Sud, Febe Potgieter-Gqubule, l’une des dirigeantes de l’ANC, le parti au pouvoir, a-t-elle déclaré, lors d’une réunion publique, qu’Africa Check « joue un rôle important » dans la responsabilisation des partis politiques et de leurs dirigeants auprès des électeurs. Quelques mois plus tôt, la police sud-africaine avait revu ses statistiques de la délinquance, à la suite d’une intervention d’Africa Check, et admis que les chiffres étaient moins bons que ceux qu’elle avait auparavant fournis. Il est donc possible de réduire les émissions d’informations fausses en travaillant avec les pouvoirs publics.

En Argentine, Chequeado a créé le premier programme d’enseignement à la lecture et à la critique des informations auprès des jeunes. Les résultats de cette initiative visant à vacciner la jeunesse contre les dégâts causés par la désinformation font écho à ceux d’une enquête menée en Ouganda auprès de jeunes gens scolarisés montrant qu’après une formation du même type leur capacité à distinguer les informations vraies et fausses quant aux programmes de santé et à leurs succès avait fait des progrès spectaculaires.

Enfin, pour être efficace, le décodage demande qu’on facilite l’accès des citoyens à une information de qualité. Ainsi au Royaume-Uni, l’association Full Fact travaille-t-elle avec le Bureau national des statistiques non seulement afin d’ouvrir à une plus large audience les données de celui-ci mais à les présenter sous une forme aisément compréhensible.

Si nous ne devons pas sous-estimer l’ampleur de la menace que font peser la désinformation et la perte de la confiance, ni nous méprendre sur la complexité des causes, le problème n’est pas aussi difficile à résoudre que certains semblent le croire. En luttant non seulement contre les symptômes de la désinformation et de la défiance, mais aussi contre les problèmes systémiques qui les sous-tendent, les organismes de décodage, les médias, les pouvoirs publics et les entreprises peuvent résister à ces évolutions inquiétantes.

Traduit de l’anglais par François Boisivon
1- fondateur d’Africa Check
2- directrice générale de Chequeado
3- directeur général d’Africa Check
4- dirige Full Fact