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Etre ou ne pas être, telle est ma nationalité

par Abdelkader Benarab*

  Dans son irrésistible furie populaire qui traverse le pays depuis plus de neuf semaines, les expatriés ne sont pas demeurés en reste de cette déferlante, balayant les souvenirs amers d'un irréversible passé.

L'ampleur nationale du mouvement revendicatif ne doit pas nous faire oublier ce qui se passe hors de nos frontières. En France où l'étendue de la révolte s'accroît chaque jour, les manifestants faisant écho à leurs congénères de l'autre rive, scandent les mêmes mots d'ordre. Mais pas seulement. Derrière les revendications communes, les Algériens de l'étranger (binationaux et immigrés) ont un autre souci porté par le simulacre constitutionnel de la disposition d'inégibilité à la candidature suprême, et à certaines charges de l'Etat, en référence à l'article 51 de la Constitution. Cet arbitraire constitutionnel taillé au gabarit de la kleptocratie régnante laisse apparaître les aspérités coupantes du déni de la démocratie.

La binationalité est une notion indiscernable. La définir c'est prendre le risque tâtonnant de circonscrire «l'espace de vie» où évoluent régulièrement les porteurs de ce lien juridique. On peut s'amuser ainsi à définir un binational : un expatrié, un exilé volontaire, un travailleur émigré ou tout simplement un résident par choix du pays d'accueil. C'est donc à la base, une raison et un motif sérieux qui ont poussé le futur binational sur le chemin du départ, hors des frontières nationales. Aujourd'hui ces frontières sont moins étanches psychologiquement et culturellement qu'elles l'ont été il y a trente ans. Même si l'on peut considérer que les barrières physiques restent officiellement fermées, le passage à travers les mailles du filet reste encore possible, faute d'être soigneusement remaillé. Qui sont ces binationaux ? Des immigrés pour les uns, des émigrés pour les autres. La différence de vocables avec leur variante formelle est un attribut politique qui réfère à une sémantique ambigüe, tout en arrimant les individus à un no man's land, par absence de patrie définitivement fixée. Ce qui revient à dire que le binational est un semi national ici, et un semi national là-bas, n'en déplaise à la fermeté des tenants de la double nationalité. Ces perpétuelles ondulations de l'ici et de là-bas, cette double absence génère une complication durable.

Côté français, ce que la république donne d'une main, de l'autre elle le retire : le droit accorde à l'individu la nationalité française, la tradition lui refuse la citoyenneté. Elle l'exprime par une latitude qui retient la dimension généalogique dans sa composante nationale et ses rapports aux formes d'extranéité. Cette confrontation avec l'altérité et son renvoi vers ses sources culturelles qui la définissent est une dénégation inacceptable.

De même que la problématique de la déchéance de la nationalité par naissance, qui touche somme toute ces mêmes populations, et dont ils sont consubstantiellement liés est une aberration de jugement et un traitement qui fourvoie l'opinion publique et défaçonne la réalité des faits. Déchoir un citoyen de sa nationalité est prévue par la loi pour faits d'indignité nationale. Seulement la réactivation et le brandissement de ce spectre juridique dégage quelques fois des saveurs de racisme, dirigé contre un type de population de confession déterminée. La déchéance revient à réprimer un comportement plus qu'à prévenir une forfaiture.

Dans le volet binational et de l'autre côté         de la rive, c'est-à-dire le pays d'origine, le déni est encore plus accru. Réactivement plus douloureux. En témoignent les nombreuses manifestations publiques et commentaires sur les réseaux sociaux. Jamais violentes apostrophes et invectives virulentes ne furent portées avec acharnement au registre, déjà peu crédible, du rédacteur présumé d'une telle malveillance. L'article 51 de référence frappe d'ostracisme une communauté souvent sollicitée en périodes électorales, mais dont on s'en soucie peu lorsqu'il s'agit d'affaires locales. En tout état de cause l'accès aux hautes fonctions de l'Etat est une chimère, une illusion perdue. Déjà sur la scène du théâtre politique à Alger, on se livre une bataille meurtrière dans la course aux postes stratégiques de l'Etat. Tous les coups sont permis. Le machiavélisme politique, la perfidie et la lâcheté sont une constante de la gestion politique. Et nous pouvons d'ailleurs, sans défaillance notable, élargir cette éthique de la dépossession aux élites universitaires, aux syndicats et partis d'opposition organique, censés former une opposition critique à ces résistances dogmatiques.

Faire appel à un binational qui vit à l'étranger, par ceux-là mêmes qui mènent bataille pour leur propre promotion, le reconnaître et in fine lui confier des tâches supérieures, c'est faire preuve de candeur et de stupidité par les binationaux qui croient en être éligibles. C'est croire vraiment au père Noël. L'inamovibilité étant la première vertu pourvoyeuse de pouvoir et d'enrichissement.

Mais le contrecoup d'une telle aventure est surtout psychologique. Les binationaux en France se sentent trahis par un pays auquel ils sont si nostalgiquement attachés, dans la permanence de leur regard qui peine à se détacher des horizons balisés de ses frontières imperméables.

* Philosophe, Paris.



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