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Algérie : quand les hommes meurent, le régime demeure...

par Abdelkader Guerine*

57 ans après l'indépendance du pays, les Algériens découvrent qu'ils étaient gouvernés, pendant tout ce temps, par une organisation mafieuse, qualifiée de «bande de malfaiteurs» par le chef de l'état-major militaire.

C'est une sorte d'entreprise politique oligarchique qui se relaye le pouvoir de président en président. Les hommes changent. Le système, quant à lui, demeure un cordon stationnaire qui lâche ses relais comme la toile d'une araignée enracinée partout à travers les couches sociales jusqu'au fondement de la pyramide.

A titre de rappel, tous les gouvernements qui ont dirigé l'Algérie sont arrivés à la présidence par le moyen de la force et de l'illégalité. L'histoire note les renversements, les coups d'Etat, la fraude électorale répétée, et la rupture à plusieurs fois du dit processus démocratique. Au début, c'était l'ère du parti unique qui n'admettait aucune forme d'opposition, les réflexions étaient des consignes à exécuter, pas des idées à discuter.

Les stratégies de la gouvernance étaient copiées sur le modèle soviétique, avec la forme d'un Etat policier et le contexte drastique du rationnement des libertés digne d'une véritable dictature. Un régime qui persiste à exister grâce à son arrogance souveraine et ses stratégies de répression amorale. Toutes les opinions contraires à la vision des dirigeants étaient regardées comme des réactions ennemies, un danger pour la nation, passible donc de poursuites judiciaires, de marginalisation, d'exclusion et d'étouffement. L'ouverture politique officialisée par la suite n'a pas vraiment donné les résultats escomptés par le peuple, lui qui aspirait à plus de justice et d'équité dans les devoirs et dans les droits. Le pluralisme des partis politiques n'a pas été à l'image de la diversité des opinions. Les pratiques autocratiques persistent malgré les slogans qui pontifient un changement démocratique jamais atteint réellement. Les décideurs demeurent les mêmes malgré l'agrément de l'exercice politique à une multiplicité de partis.

Alors, les partis politiques, généralement de nouvelles structures de regroupements restreints, finissent presque tous par s'allier au programme dominant, c'est-à-dire celui du gouvernement en place. Les quelques partis qui défient « les maîtres » sont souvent faibles et sans efficacité pour concurrencer les choix imposés par la machine qui pilote l'Etat. Il faut aussi remarquer que les partis politiques en exercice sont liés aux autorités par des alliances suspectes, des pactes flous qui reposent sur des intérêts étroits, complètement éloignés du profit général. Donc, alliés ou opposés au pouvoir, ces formations politiques perdent leur vocation première qui comprend la représentation et la prise en charge des préoccupations des citoyens. Leur participation dans les affaires publiques est subjective, ils ont le rôle du lièvre qui alimente la course mensongère à la démocratie, et cautionne, en même temps, la légitimité pour un gouvernement franchement monocratique. Cela dit, le peuple, qui est l'élément majeur dans un projet de société, devient un maillon ignoré dans l'échiquier politique.

L'autoritarisme appliqué par les gouvernements qui se succèdent accentue la pression sur le peuple avec le passage des années. Les conséquences de la conduite impérieuse du pouvoir sont visibles dans la détérioration du niveau de vie chez la majorité des citoyens. L'introduction du secteur du patronat dans le sérail du cercle commandeur a gravement envenimé le champ politique, avec des retombées néfastes sur le fait social et des répercutions déplorables sur l'activité économique. Les conclusions défavorables de l'intrusion de la finance dans le harem de l'Etat sont observées dans la défection du domaine cultuel, dans la forfaiture du patrimoine touristique et même dans la médiocrité des résultats des sports.

Le monopole des prérogatives matérielles domine sur la nature de l'instruction éducative, sur le tact de la bienséance pédagogique, sur la formation de l'esprit de citoyenneté et, conséquemment, sur la stabilité et le développement du pays. La finance s'implique dans les projets importants de la société. Elle devient la règle en vigueur qui régit la nation à coté de la loi formelle que personne n'applique. La corruption dévore les entrailles de l'administration qui marchande ses engagements en dehors du cadre réglementaire. L'implication des uns et des autres dans la gestion frauduleuse des biens publics est une combinaison d'amalgames bureautiques complexes, enracinés dans les services de toutes les natures et à tous les niveaux.

Pendant ce temps, le gouvernement s'obstine dans son mutisme. Il continue d'afficher des contrevérités obscènes pour écraser la volonté populaire et pour se maintenir au sommet de l'Etat avec une main de fer. Il s'approprie l'Etat, il ne veut pas le partage régulier du pouvoir. L'équipe dirigeante se cloisonne dans son silence lourd, pareil à celui de l'omerta italienne, sa propriété privée, le joyau farouchement protégé qui offre légalement l'exploitation des richesses du pays et l'asservissement du peuple indifférent.

Une fois soulevé pour répondre aux abus de pouvoir exercés par le gouvernement, les Algériens découvrent enfin la vraie nature des gens qui le dirigeaient. Des malfrats constitutionnalisés qui s'entêtent à demeurer à la présidence, malgré son refus de leur présence à la suprématie du pays. La forte mobilisation de millions de personnes a fini par faire tomber le président, démissionnaire avant l'échéance de son mandat, et d'autres sommités considérées comme controversées, longtemps contestées par le peuple dans la rue.

En ce neuvième vendredi de la contestation populaire, les rassemblements enregistrés partout en Algérie n'ont pas manqué à leur caractère habituel. Grandioses, ambiants, pacifiques et porteurs d'un seul mot d'ordre : «Partez tous». Le gouvernement répond à chaque fois à l'appel du peuple par des changements, des remaniements dans sa structure ou par des propositions qu'il lance au milieu de la semaine. Un dialogue de sourds s'est involontairement installé entre le peuple et ses dirigeants. L'interaction se produit généralement le mardi, avec des suggestions manipulatrices des chefs, auxquelles le peuple répond toujours par le refus le vendredi suivant. Pour ce vendredi, le NON était catégorique : au président intérimaire et son gouvernement, au instances constitutionnelles et au dialogue lancé pour régler les prochaines élections.

Les manœuvres combinardes de l'autorité n'influent guère sur l'opinion de la population qui garde ses positions initiales invariables depuis le début de la désobéissance. Le peuple exige l'effacement de certains hauts responsables incriminés de malversations diverses et surtout de traîtrise envers la nation. Sachant que la boule de neige peut entraîner dans son sillage beaucoup d'autres personnalités compromises dans du business illicite considérable ou dans des scandales différents. Pour le peuple, entamer la période de transition n'aura lieu que lorsque certains «dinosaures» indésirables disparaîtront de la scène politique. Cependant, écarter des individus du gouvernement n'est pas une fin en soi. La question porte sur un système à défaire depuis ses racines, pas seulement de personnes à relever de leurs fonctions. Le monde est conscient que c'est un projet qui peut durer longtemps. Pour l'instant, les veillées populaires réclament la reconstruction d'une nouvelle république sur des fondements nouveaux. Il n'est surtout pas permis d'asseoir de nouvelles méthodes de gérance en s'appuyant sur les gravas d'une ancienne autorité déchue. Sinon, on aurait fondé une démocratie erronée, avec de nouveaux visages masqués qui gardent toujours l'âme de leur conception de dictature.

*Ecrivain



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