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Algérie : une république en «djellaba, en treillis ou en jean» ? (1ère partie)

par A. Boumezrag

«Le pouvoir est dangereux : il attire le pire et corrompt le meilleur» Edward Abbé

«On peut toujours construire un trône avec des baïonnettes. Mais il est difficile de rester longtemps assis dessus » aurait dit Boris Eltsine. L'accession à l'indépendance a été le résultat d'une lutte armée. L'armée est devenue le principal garant de cet Etat post-colonial. Le développement du pays, une volonté de l'armée. L'action de l'armée fonde la légitimité du pouvoir. Il est établi que l'armée a régenté l'économie et la société. Le projet étatique réside dans la nature même de l'armée : autorité, obéissance, discipline, rigidité. Le sort de l'Etat est lié structurellement à celui des militaires, car seule l'armée est en mesure de faire un coup d'Etat, c'est-à-dire substituer une équipe à une autre. Le sort du régime algérien est structurellement lié à celui des militaires. L'armée est détentrice d'une légitimité historique qui la place en position de force. Nous nous trouvons, nous semble-t-il, en présence d'un régime politique à hégémonie militaire durable. «En effet, maître de l'arène politique, le militaire devient politicien. A ce titre, il émarge à deux univers normatifs : l'univers militaire et l'univers politique. Or ces deux systèmes de normes sont indiscutablement contradictoires ; l'un est à base de compromis, de contestations, l'autre à base de conformisme et de discipline stricte. Dès lors, cette interpénétration contribue dans une large mesure à paralyser le contrôle social exercé par les normes militaire...».

Bref, l'armée est à l'Etat ce que la colonne vertébrale est au corps humain, et la rente énergétique est à l'armée, ce que la moelle épinière est aux vertèbres. C'est avec le fusil qu'on s'empare du pouvoir ; avec l'argent qu'on le garde et par son abus qu'on le perd. L'argent enjolive les choses et la ruse est sa compagne préférée. Depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 et la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971, l'argent et le fusil forment un couple inséparable pour le meilleur et pour le pire. L'argent corrompt et le fusil dissuade. Les deux enivrent. Les hommes sont pour le système politique comme la nourriture l'est pour l'organisme humain : ça rentre propre et ça sort sale. L'Algérie est le pays des tentations. Nous suivons sans nous rendre compte les pas de Satan ; il est un bon conseiller pour nous. C'est un grand séducteur et un grand manipulateur, il inverse les valeurs, enjolive nos actions et prend possession de nos âmes crédules. Satan a plus de pouvoir sur l'homme lorsqu'il a le ventre plein et la poche débordante de monnaie qu'un ventre creux et une tête d'idées. Et Satan dans la stratégie de conservation du pouvoir, c'est le pétrole. Evidemment qui dit pétrole dit dollars. « On ne coupe pas l'arbre qui te donne de l'ombre ».

Pour le gouvernement algérien, après le pétrole, c'est toujours du pétrole ». Ailleurs, la richesse est créée, En Algérie, elle est imprimée. Evidemment la conservation du pouvoir n'a pas de prix. Le pouvoir s'identifie à la vie. La rente pétrolière et gazière empêche quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d'âge, la diversification de l'économie et la renaissance d'une culture ancestrale qu'elle soit ethnique ou religieuse. Elle freine tout processus de développement ou de démocratisation du pays. L'argent du pétrole et du gaz donne l'illusion aux hommes que le pouvoir est «éternel» et qu'il peut se transmettre de père en fils.

Que de questions mais peu de réponse pour une société sans élite ou une élite sans dignité, vieillissante, vivant sur son passé glorieux et ignorant les enjeux du futur, en mal de reconnaissance sociale, imprégnée d'une culture apparente et de bas étage, nourrie au biberon «pétrolier» et non au sein maternel, qu'elle soit d'inspiration occidentale ou orientale, qu'elle soit au pouvoir ou dans l'opposition, les deux sont déconnectées des besoins réels de leur société, agissent le plus souvent comme sous-traitants des pouvoirs en place en s'inspirant des théories venues d'ailleurs, notamment de l'Occident qui veut que le monde arabe soit à son image et en même temps qui lui soit profitable. Pour se reproduire, le pouvoir est obligé de produire du clientélisme. Le clientélisme occupe une place importante dans les mutations sociales dont l'enjeu principal réside dans le contrôle de l'Etat. Le clientélisme ne peut être viable et notamment rétributif que s'il se greffe sur les structures étatiques. Il perpétue une situation de domination basée sur un accès inégal aux ressources et au pouvoir. En distribuant de l'argent sans contrepartie productive, le pouvoir crée une dépendance pathologique de la population à son égard et donc une assurance vie pour se préserver. On ne mord pas la main qui vous nourrit même si elle est pourrie.

La salarisation en Algérie signifie émargement au rôle de la rente en contrepartie de son allégeance implicite à la classe au pouvoir. La rente pervertit et perturbe le rapport salarial et de profit. Nous ne produisons rien de nos propres mains nous ne créons à partir de notre cerveau. Nous importons tout que nous finançons par nos exportations d'hydrocarbures. Dans un pays chômé et payé où l'argent facile coule à flots, l'économie cède les commandes au politique, le politique à l'incurie et l'incurie à l'écurie qui conduit vers l'abattoir. Est-ce un signe précurseur de la fin des temps ? Difficile d'y répondre dans un monde dépravé où tout s'achète et tout se vend. Au regard de la mondialisation, nous ne sommes plus des êtres humains mais des objets marchands. Une fois la rente pétrolière et gazière épuisée, l'Algérien va-t-il vendre ses organes vitaux et l'Algérienne ses organes génitaux pour survivre dans une Algérie sans pétrole et sans gaz ? Une Algérie dans laquelle des gens insignifiants sont investis de responsabilités dont la plupart n'en sont pas dignes. Dans ces conditions à quoi peuvent servir les élections ? Le plus souvent comme trompe-l'œil ou comme faire-valoir ? Une chose est pratiquement certaine, le peuple a toujours été tenu à l'écart des grandes décisions comme ce fut le cas lors déclenchement de la lutte armée, de la nationalisation des hydrocarbures ou dans les politiques menées aux pas de charge.

Tenir le peuple responsable de la situation actuelle serait lui faire un mauvais procès. Réduit à un troupeau de bétail, il a toujours suivi le berger que le propriétaire a désigné pour le conduire soit à l'abattoir ou aux pâturages. Son destin lui échappe, il est entre les mains des détenteurs du pouvoir qui décident de son sort. Ils se sont emparés du pouvoir et se sont maintenus sans en assumer la responsabilité et sans rendre compte ? Deux moyens ont été mis en œuvre : la carotte et le bâton, c'est-à-dire l'argent et le fusil. L'un ne va pas sans l'autre ; le fusil sans l'argent se rouille ; l'argent sans le fusil se dénude. Chemin faisant, on découvre la violence aveugle du fusil et le pouvoir corrupteur de l'argent. Cependant, l'argent est plus rusé et plus charmeur que le fusil connu pour sa rigidité et sa discipline.

Pour Staline, ce qui compte, ce n'est pas le vote, c'est comment on compte les votes. Les élections ne sont en vérité que des cravates portées par des hommes en djellaba. L'une est formelle, l'autre est fondamentale. Les dirigeants arabes portent des djellabas plus amples pour se mouvoir et plus simple à revêtir qu'un costume de trois pièces indépendantes : le législatif, l'exécutif et le judiciaire. La cravate sur la djellaba, cela fait folklore, un folklore de mauvais goût. Si la djellaba cache les difformités, le costume les met en relief. La Constitution en Algérie n'a ni la rationalité ni l'effectivité, C'est une technique de camouflage d'un régime autoritaire. C'est l'armée qui désigne les dirigeants et c'est l'armée qui les destitue. Le peuple ne croit plus aux résultats des urnes, affirme sa souveraineté, veut reprendre son destin en mains. La rue reprend ses droits et à l'armée d'assumer ses responsabilités devant le peuple.

Le système est périmé. Le pouvoir a vieilli et le peuple a mûri. Il veut vivre et non plus survivre. Les jeunes sont en train d'accomplir un miracle, concilier la foi avec la vie. Leurs aînés sont des mauvais exemples qu'ils ne veulent pas suivre. Ils sont tombés dans le piège de l'argent facile et de la violence aveugle. Ils veulent faire leur révolution pacifiquement, intellectuellement et moralement. Et la moralité n'est l'apanage d'aucune religion. Elle est dans les cœurs et dans les esprits invisibles à l'œil nu. Ils nous fascinent et forcent notre admiration et notre respect. Soyons à la hauteur de leurs aspirations. Aidons-les ! De la légitimité historique à la légitimité populaire le pas est vite franchi pour peu qu'on ouvre les yeux et qu'on écoute leurs appels. Ils ne veulent plus servir de nourriture aux poissons de la Méditerranée. Ils veulent vivre chez eux heureux dans la solidarité, la joie et la bonne humeur. Ne leur mettons pas des bâtons dans les roues. Nous croyons en la mort n'est-ce pas, elle ne nous épargne pas. Ni nos biens, ni les hôpitaux ne peuvent être d'une utilité quelconque.

De la modernité, nous n'avons retenu que les apparences et de l'islam que le rituel. «L'Occident vit sur des mensonges, l'Orient dort sur des vérités». Pour les Occidentaux « deux heures de justice d'un infidèle valent mieux qu'un an de tyrannie en terre d'islam ». Pour les Orientaux « le monde est un jardin dont la clôture est l'Etat. L'Etat est un gouvernement dont la tête est le prince. Le prince est un berger qui est assisté par l'armée. L'armée est faite d'auxiliaires entretenus par l'argent. L'argent est le moyen de subsistance fourni par les sujets. Les sujets sont les esclaves qu'asservit la justice. La justice est le lien par lequel se maintient l'équilibre du monde ».

(*) M. MARTIN, la militarisation des systèmes politiques africains (1960-1972), Editions Naaman de Sherbrooke, Quebec, Canada, 1976 pages 120.



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