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La politique monétaire de la BCE, un désastre pour la Bundesbank !

par Stefan Gerlach*

ZURICH – La BCE (Banque centrale européenne) ayant récemment mis fin à son programme d’achat d’actifs, le moment est venu de réfléchir à son impact. Trois conclusions semblent évidentes : ce programme a été très bénéfique du point de vue macroéconomique, son coût politique a dépassé toutes les attentes et le relâchement monétaire mis en œuvre par la BCE a été désastreux pour la Bundesbank.

Le relâchement monétaire réduisant le coût du crédit bancaire, l’accès au prêt est devenu plus facile dans toute la zone euro, ce qui a dopé la croissance, conduit à une baisse marquée du chômage et à une pression à la hausse sur les salaires. L’inflation globale a augmenté, mais l’inflation sous-jacente reste faible, ce qui signifie que la BCE doit poursuivre sa politique d’expansion monétaire.

Par ailleurs, le relâchement monétaire en Europe et ailleurs au cours de la dernière décennie inflige un démenti aux critiques portant sur l’achat d’actifs financiers par les banques centrales, la principale étant que les achats à grande échelle d’obligations souveraines par ces dernières suscitent invariablement une inflation importante. Les crises financières conduisent à une augmentation de la demande de liquidités, car les institutions financières s’inquiètent de la solvabilité des autres acteurs. Les banques centrales peuvent et doivent répondre à cette demande en accroissant leur bilan, car ne pas faire ainsi peut conduire à un effondrement du stock de monnaie disponible, ainsi que la Réserve fédérale américaine en a fait la démonstration au début des années 1930.

Contrairement à certaines assertions, ces achats d’actifs n’ont rien d’illégal : la Cour européenne de justice a jugé en décembre dernier qu’ils respectent la législation de l’UE. La BCE, de même que la Fed et la Banque du Japon, n’a pas le droit d’acheter des obligations souveraines sur les marchés primaires ; mais depuis fort longtemps, de nombreuses banques centrales achètent ces obligations sur les marchés secondaires. Ces achats constituent leur principal outil de politique monétaire.

La Cour européenne de justice a également déconstruit l’idée répandue en Allemagne selon laquelle le relâchement monétaire relève de la politique budgétaire et non de la politique monétaire, et que de ce fait, elle n’est pas du ressort de la BCE. Mais le traité de Maastricht ne définit pas la politique monétaire, en pratique on considère qu’elle est déterminée par les décisions des banques centrales. Or la Fed, la Banque du Japon et bien d’autres banques centrales ont procédé à des achats d’actifs similaires à ceux de la BCE.

Bien que le relâchement monétaire décidé par la BCE soit parfaitement légal et se soit révélé efficace, il a suscité une énorme réaction politique qui a renchérit le prix de la plupart des actifs financiers. A première vue, cela paraît contre-intuitif. La hausse des prix dans l’immobilier a relancé la construction et créé des emplois. La hausse de la Bourse a relancé l’économie en améliorant le bilan des entreprises et en leur redonnant confiance, de même qu’aux ménages et aux institutions financières. Quant à la baisse du rendement obligataire - la conséquence de la hausse de leur prix - elle diminue le prix des services financiers et les rend plus accessibles pour les entreprises comme pour les ménages.

Mais le boom du prix des actifs a aussi conduit à un enrichissement hors normes des ultra-riches, déclenchant la colère de beaucoup de citoyens européens encore confrontés au chômage lié à la crise financière et à l’austérité mise en oeuvre par la suite. Par ailleurs, la baisse des taux d’intérêt a provoqué un peu partout la protestation des épargnants, notamment en Allemagne. C’est d’autant plus étonnant que l’on aurait pu s’attendre à ce qu’ils se réjouissent de la hausse du prix des actifs. Mais les chiffres de l’OCDE montrent qu’en moyenne les épargnants allemands détiennent moins de titres et davantage de produits d’assurance-vie que les autres épargnants européens. C’est pourquoi ils ont été relativement indifférents au boom de la Bourse, mais pas à la baisse des taux d’intérêt qui a affecté le rendement de leur assurance-vie. Ils imputent leurs difficultés à la BCE, alors qu’elles tiennent semble-t-il à la répartition de leur épargne.

C’est l’ancien ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, qui a le mieux formulé la réaction qu’a suscité le relâchement monétaire : il a déclaré à Mario Draghi [le président de la BCE] que 50% des résultats de l’AfD [parti allemand d’extrême-droite] était dû au relâchement monétaire décidé par la BCE.

Si le relâchement monétaire a donné des résultats positifs sur le plan économique, il n’en a pas été de même sur le plan politique, et il s’est avéré désastreux pour la Bundesbank. Dans de nombreux discours et interviews, ses principaux responsables ont insisté sur l’idée que le relâchement monétaire n’était pas nécessaire et qu’il comporte des risques inflationnistes manifestes, alors qu’année après année, la BCE n’a pas atteint sa cible en matière d’inflation. Ils ont également affirmé que des taux d’intérêt faibles entraîneraient l’instabilité financière, alors que cela ne s’est pas produit pour le moment et que le resserrement monétaire présente le même risque. Ils ont également mis en doute la légalité de certaines mesures prises par la BCE, alors que tous les recours juridiques à leur encontre ont échoué.

En s’alignant sur ses éléments les plus durs, alors qu’elle n’a pas réussi à convaincre le Conseil des gouverneurs de la BCE de renoncer au relâchement monétaire, la Bundesbank s’est mise en mauvaise posture et a vu son influence diminuer. C’est pourquoi, malgré toutes ses compétences en économie, son expérience de premier ordre et tout son talent de communicant, on ne considère pas son président, Jens Weidmann, comme le principal candidat pour succéder à Mario Draghi à la tête de la BCE. La Bundesbank est semble-t-il la grande perdante du relâchement monétaire.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
*Economiste en chef de la banque EFG à Zurich. Il a été gouverneur de la Banque centrale d’Irlande, directeur général et économiste en chef de l’Autorité monétaire de Hong Kong, et secrétaire du Comité sur le systéme financier mondial de la Banque des règlements internationaux (BRI)