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Cinq ans de prison pour les cambrioleurs de l'Allée des Villas d'Aïn Turck

par M. Nadir

Davantage que les charges qui pesaient sur les cinq accusés, ce sont surtout les accusations proférées par les avocats contre la police judiciaire de la daïra d'Aïn Turck qui ont fait la particularité du procès jugé hier par le tribunal criminel d'appel d'Oran. Pour la défense, il ne fait aucun doute que la police, embarrassée par de nombreuses affaires de cambriolage non résolues, a décidé de tout mettre sur le dos des accusés.

L'Allée des villas, une nuit d'octobre

En 2016, les résidences cossues bordant l'Allée des Villas d'Aïn Turck sont l'objet d'une multitude de cambriolages. Cinq particuliers au moins ont, en effet, porté plainte auprès de la sûreté de daïra qui mène l'enquête mais sans résultats probants.

Une nuit d'octobre, pourtant, une patrouille de police interpelle un individu suspect dans la rue en question. Sous le bras gauche, il tient un téléviseur plasma et de la main droite un sachet contenant divers effets (tondeuse, bouteilles de parfum?). L'homme est dans un état d'ébriété avancée et ne fait aucune difficulté pour reconnaître qu'il vient de s'introduire dans une villa qui -l'enquête le déterminera plus tard- appartient à un général à la retraite. Pratiquement au même moment, à quelques dizaines de mètres de là, la police interpellera trois autres hommes, dont deux se trouvaient dans une Renault Clio alors que le troisième venait d'en émerger. Une fouille sommaire du véhicule et des suspects permet de mettre la main sur des armes blanches, une bombe lacrymogène et des serre-joints utilisés dans les chantiers de construction. Pour la police, il existe une très forte probabilité que les personnes soient les éléments du gang qui écume l'Allée des Villas depuis plusieurs mois.

Aveux et rétractations

Selon le dossier qui atterrira plus tard sur le bureau du juge d'instruction, tous les suspects ont fait des aveux détaillés et reconnu avoir commis les vols dont ils étaient soupçonnés. Et ils ont même évoqué un certain K. Miloud, présumé chef de la bande, qui au moment de l'arrestation a réussi à prendre la fuite à travers la plage.

Mais devant le juge d'instruction, tous se rétractent et nient les faits qui leurs étaient reprochés. Ils disent avoir fait des aveux sous la contrainte et la torture et donnent une version selon laquelle ils étaient venus à Aïn Turck pour s'amuser et prendre du bon temps dans l'une des innombrables boites de nuit de la localité. Mais en raison de leurs tenues vestimentaires, ils auraient été refoulés de l'établissement choisi et, pour soigner cette frustration, auraient décidé d'acheter des boissons. Passant incidemment par l'Allée des Villas, Mohamed demande à Habib, le chauffeur de la Clio, de s'arrêter afin qu'il puisse satisfaire un besoin urgent. Quelques minutes plus tard, ne voyant pas Mohamed revenir, Habib prie Mohamed-Amine d'aller presser son ami. C'est à ce moment-là que la police surgit et les arrête tous. Hormis Mohamed qui, interpellé en possession d'objets volés, maintient ses aveux, tous les autres clament leur innocence. Y compris K. Miloud, interpellé plus tard, qui niera sa présence sur les lieux et rejettera l'ensemble des accusations. Tous n'en seront pas moins inculpés pour association de malfaiteurs pour la commission d'un crime, selon les articles 176 et 177 alinéa 1 du code pénal, et vol qualifié, commis de nuit, en réunion et à l'aide d'un véhicule motorisé, suivant l'article 353, alinéas 2, 3 et 5.

Cinq ans de prison en première instance

Jugés en première instance par le tribunal criminel d'Oran, D. Habib, 32 ans, L. Mohamed, 27 ans, B. Mohamed-Amine, 26 ans, T. Miloud, 24 ans, et K. Miloud, 32 ans, seront reconnus coupables des faits reprochés et condamnés à cinq ans de prison ferme. Les accusés feront appel du verdict, de même que le ministère public qui avait requis une peine plus lourde.

C'est ainsi que les cinq accusés comparaissent le dimanche 20 mai devant le tribunal criminel d'appel. A la barre, seul L. Mohamed maintient ses aveux en racontant qu'après être descendu de la voiture cette nuit-là, il avait aperçu une fenêtre ouverte, s'était introduit dans la maison et avait pris ce qui lui tombait sous la main : «J'étais ivre, je n'étais pas conscient de ce que je faisais», tentera-t-il d'expliquer en jurant, toutefois, qu'il n'avait rien à voir avec les autres cambriolages et que ses coaccusés n'étaient pour rien dans cette histoire.

De son côté, D. Habib dira que, maçon de profession, il faisait également parfois office de transporteur clandestin. Cette nuit-là, expliquera-t-il, il avait simplement conduit L. Mohamed (dont il emmenait parfois le père malade à l'hôpital) à Aïn Turck en compagnie de ses amis : «Quand je les ai récupérés, Mohamed m'a demandé de m'arrêter pour un besoin pressant et on s'est fait arrêter. Je ne sais rien de plus».

T. Miloud et B. Mohamed-Amine soutiendront la même version de l'histoire en accusant la police d'avoir usé de violence et de torture lors des interrogatoires.

Quant à K. Miloud, présumé chef de bande, il dira tout simplement qu'il se trouvait chez lui cette nuit-là.

Un dossier monté par la police, selon la défense

Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public dénoncera «les allégations de torture à l'électricité avancées par les accusés» et s'appuiera sur l'arrestation en flagrant délit de L. Mohamed, les aveux des accusés devant la police, la présence d'armes blanches et de bombes lacrymogènes pour dire sa conviction que les faits établissent la culpabilité des mis en cause contre lesquels il requerra 12 ans de réclusion criminelle.

Au cours de leurs interventions, les différents avocats de la défense récuseront les charges portées contre leurs clients en affirmant que c'est la sûreté de daïra qui, incapable de résoudre les cas de cambriolage, a décidé de faire endosser tous les vols commis dans l'Allée des Villas aux accusés : «Aucune preuve matérielle impliquant nos clients dans les autres cambriolages n'a été apportée. Pourquoi vouloir leur faire porter le chapeau si ce n'est pour se débarrasser de dossiers en suspens ?», soutiendront-ils.

Les défendeurs récuseront également l'accusation d'association de malfaiteurs en arguant qu'aucun élément de preuve (échange de coups de téléphone, par exemple) ne soutenait la thèse d'entente pour la perpétration d'un crime : «C'est juste un vol isolé et irréfléchi, commis par un seul accusé, que l'on veut gonfler pour les considérations que l'on sait», affirmera une avocate en référence aux dossiers de cambriolage non résolus.

A l'exception de la défense de L. Mohamed qui refuse «le sacrifice de son client dans une affaire de vol nécessitant plus d'une personne» et qui prie le tribunal de lui accorder les circonstances atténuantes pour ses aveux mais aussi pour une situation sociale précaire, tous les autres avocats demanderont l'acquittement pour absence de preuves matérielles.

Après délibérations, le tribunal criminel d'appel déclarera les accusés coupables et les condamnera à cinq ans de prison ferme.