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C'était au temps où Oran rêvait?: La Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran, après 140 ans, demeure abandonnée de tous.

par Saddek Benkada*

Chaque fois que je regarde l'émission 'Bibliothèque Médicis' qui se déroule dans la bibliothèque du Palais du Luxembourg, cela me rappelle, non sans un pincement au cœur, la bibliothèque de la Société de Géographie, avec ses meubles de bois vernissé où les livres étaient impeccablement rangés, sans oublier le meuble de cartothèque qui contenait plus d'une centaine de cartes non seulement de l'Algérie mais de tous les continents. Aujourd'hui, la plus ancienne des sociétés savantes du Maghreb est ignorée d'un grand nombre de citoyens et ce, en dépit des nombreux articles de presse dénonçant la plus parfaite indifférence, dans laquelle, elle est injustement tenue par les pouvoirs publics.

Le mois d'avril, qui est consacré chaque année, en Algérie, comme mois du patrimoine, nous n'aurions pas trouvé meilleure occasion que d'évoquer, à l'occasion du 15 avril 2018, le 140ème anniversaire de la fondation de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran et, le 52ème anniversaire de sa réactivation en 1966.

Sans trop nous attarder sur l'activité intellectuelle qu'elle déploya, à l'époque coloniale; il nous serait cependant, opportun, qu'à l'occasion de ces deux anniversaires d'évoquer la glorieuse page que cette société a écrite depuis la reprise de ses activités il y a 52 ans.

En effet, il aura fallu attendre jusqu'en 1966, pour qu'un groupe de personnalités en vue, de toutes confessions, attristées de voir cette société savante fermée et inactive depuis le départ de ses membres européens , décident sous l'impulsion de Mohamed Hirèche (1914-1982), inspecteur de l'Académie d'Oran, à l'époque, et avec l'aide d'anciens sociétaires européens comme le Dr Léopold Geslin et Robert Masson, conservateur du Musée municipal d'Oran; de reprendre les activités de la Société. Il est bien vrai que le ministre de l'Éducation nationale à l'époque avait pour nom Ahmed Taleb-El-Ibrahimi et l'inspecteur d'Académie d'Oran, Mohamed Hirèche ; deux grandes personnalités du monde de l'Enseignement et de la Culture, deux grands militants de la cause nationale, connus, aussi bien pour leur grande culture que pour leur esprit de tolérance. Cette esprit de tolérance et partage est d'ailleurs nettement exprimé dans l'éditorial qu'avait rédigé Ahmed Taleb El-Ibrahimi pour le premier numéro du bulletin de la Société : " ?. Pour la première fois depuis la fondation de la Société en 1878, la langue arabe retrouve sa place naturelle dans le Bulletin, en tant que langue scientifique. L'Algérie, en reprenant possession de son passé et de sa culture ne se renferme pas sur elle-même. Elle s'ouvre, au contraire, aux autres cultures et entretient avec leurs représentants des relations normales fondées sur le respect mutuel et le dévouement à la vérité scientifique ... ".

Le 24 mars 1966, en tant que représentant du dernier conseil d'administration de l'ancienne Société, le Dr Léopold Geslin ouvrit l'Assemblée générale constitutive.

Après lecture des statuts, l'Assemblée générale élira à l'unanimité 24 de ses membres au Conseil d'administration, celui-ci, conformément aux statuts, élit son bureau. Il est, toutefois, intéressant de citer les noms ; car, cela nous donne une idée de la qualité intellectuelle et morale dont ils jouissaient. Force est de reconnaître, malheureusement, que, 52 ans après, nous sommes dans l'impossibilité de réunir un tel aréopage de notabilités de cette envergure, jugeons-en :

Président : Mohamed Hirèche

1er vice-président : Hadj El Mahdi

El Bouabdelli

2ème vice-président : Abdelatif Benchehida

Secrétaire général : Ahmed Neggaz

Trésorier : Hadj Abdelkader Abed

Archiviste-bibliothécaire : Docteur

Léopold Geslin

Secrétaire pour la section géographie et histoire : A. Benyelles

Secrétaire-adjoint pour la section géographie et histoire : Redouane Rahal

Secrétaire pour la section d'archéologie :

Robert Masson

Secrétaire-adjoint pour la section archéologie : le père Lethielleux

La réactivation de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran coïncida, en cette année 1966, avec un autre événement important, illustré par la création de l'Université d'Oran.

Aussitôt, la Société était devenue plus qu'une association, une véritable institution culturelle, en somme. La richesse de son fonds documentaire ( livres, revues, cartes, archives, ?), sur les divers domaines de l'histoire de l'Algérie et du Maghreb, a largement suppléé à l'insuffisance de la bibliothèque universitaire encore embryonnaire. Dans les années 1970, de nombreux étudiants qui sont aujourd'hui des universitaires reconnus, en Algérie et à l'étranger, avaient trouvé dans la bibliothèque de la Société de quoi enrichir leurs travaux de recherches pour la préparation de leurs mémoires de DEA et leurs thèses.

Cet élan fut, malheureusement, brisé lorsque, l'APC d'Oran, animée par la démagogie populiste d'une prétendue création de " Centres culturels communaux ", n'a pas trouvé mieux pour installer le premier de ces centres, en occupant manu-militari, le siège de la Société, installé, depuis 1952, dans le sous-sol du marché Michelet. Ce jour de juin 1970, nous ne sommes pas prêts de l'oublier. Des livres, des revues, du mobilier, des cartes géographiques rares, des archives ont été jetés en pleine chaussée ; en somme, ce que l'O.A.S., avec tout son cortège de malheur, de destruction généralisée et d'annihilation culturelle, n'a pas réussi à faire ; huit années après l'indépendance, les pseudo-élus ont réussi à le faire en quelques heures.

Ce malheureux épisode a fait écrire à un chroniqueur du Journal 'La République', sous le titre " La damnation d'Oran " : " Ce n'est un secret pour personne. Oran n'a jamais été, particulièrement, un centre de culture et aussi loin qu'on remonte dans l'histoire, on se fatiguera à chercher une figure oranaise qui ait marqué la culture nationale par un apport quelconque. Aussi l'Oranais est-il excusable lorsqu'il montre des complexes dans ce domaine." signé M.B.K. Soit jugement dur, mais néanmoins proche de la vérité.

Mais tel le Phœnix, " la Société " telle que l'appelle affectueusement ses membres, renaît de ses cendres après s'être passée par le feu destructeur des tenants de la ?. pseudo-intellectuels En 1975, Hadj Abdelkader Boualga , directeur de l'Education, à Oran, succède à M. Hirèche, à la présidence de la Société. Homme de culture, pédagogue avisé, ami de Jacques Berque et de Mouloud Mammeri, il avait su donner à la Société l'aura intellectuelle qui lui convenait. Il avait fait de la " Société " l'interlocuteur incontournable des pouvoirs publics, en matière de préservation du patrimoine culturel et historique de la ville et même de la région.

Le départ de Hadj Abdelkader Boualga, en 1992, a laissé la Société en pâture aux pseudo-intellectuels qui ont foisonné durant ces vingt dernières années et dont les convoitises malsaines avaient pour dessein d'en faire, qui, un tremplin à ses intérêts personnels mesquins ; qui, une arrière-boutique de magouilles politico-électoralistes.

Aujourd'hui, la ville avec ses milliers d'universitaires, son millier de membres du Barreau, ses médecins, ses industriels, reste incapable de donner naissance à une génération d'hommes désintéressés et dévoués aux choses de l'esprit et au bien public, comme ceux de 1966 pour redonner vie à la plus ancienne Société savante du Maghreb sinon du monde arabe.

Cette évocation se veut, avant tout, être un cri de détresse pour sauver une Société savante dont la ville d'Oran a eu le mérite d'être la seule, en Algérie, à avoir réussi à assurer la pérennité d'un fonds culturel et scientifique, " hérité " comme " butin de guerre " ou " dépouilles opimes " arraché à la colonisation. Comme disait Chawki Amari, " n'y a-t-il personne de jaloux pour son pays dans tout l'édifice du pouvoir ? ", pour sauver, clamons-nous, ce haut lieu de la sociabilité et de la culture de l'oubli et de l'indifférence ?

* Ancien P/ APC d'Oran

Chercheur associé au CRASC

Notes

1- L'un des rares journalistes qui, par ses nombreux articles avait fait connaitre et défendu la Société de Géographie, est Abdallah Bendénia, actuellement retraité de l'APS.

2- Voir nos articles : « La «Société savante»; rupture et continuité d'une tradition associative : le cas de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran (1878-1998) », INSANYAT, n° 8, mai-août 1999, pp. 119-128 ; et, « Une Mémoire culturelle : Le Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran (1878-1988). - Un patrimoine culturel : Les publications de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran (1878-1988) », INSANYAT, n° 12, septembre-décembre 2000, pp. 115-128.

3- La dernière Assemblée générale de la période pré-indépendance fut convoquée le 20 mai 1962 et la dernière séance du comité fut, en raison de l'insécurité due aux violences des commandos O.A.S., difficilement tenue le 17 juin 1962. C'était là, le dernier acte de gestion de toute sa période coloniale que remplira la Société de Géographie et d'Archéologie de la province d'Oran.

4- Son ancien nom lui fut conservé ; sauf, l'indication « de la province d'Oran ».

5- L'agrément lui fut accordé par la Préfecture d'Oran, sous la déclaration de «Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran», publié dans le Journal Officiel n° 43 du 31 mai 1966.

6- Ancien instituteur normalien, conseiller pédagogique, a animé pendant longtemps la page culturelle du journal La République. Il fut la cheville ouvrière de la Société de Géographie.

7- Avocat et lettré averti, membre fondateur de la Société, il succède en 1992 à Hadj A. Boualga. Il fut le continuateur de la tradition familiale, puisque déjà, au XIXè siècle, son grand-oncle le célèbre homme politique et intellectuel Si M'hamed Benrahal (1858-1928) en fut membre et collaborateur aux travaux appréciés.

8- Le père Jean Lethielleux (1900-1998), prêtre Père Blanc, bibliothécaire au Centre de Documentation Économique et Sociale (C.D.E.S.). On lui doit un très intéressant ouvrage de géographie maritime: Le Littoral de l'Oranie Occidentale, Oran, C.D.E.S., 1974, 252 p. dactyl.

9- La République, 16 septembre 1970.

10- En 1983 est créée la commission des « Vieux monuments », composée d'universitaires et de notables ; son but était d'inventorier le patrimoine archéologique et architectural de la ville ainsi que recueil du patrimoine mémoriel et immatériel (témoignages, récits de vie, chansons, contes, proverbes, etc., ?).

11- À l'exception de La Société égyptienne de Géographie créée en 1875 sous le patronage du khédive Ismâ?îl (1863-1879).



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