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Nouvelle sortie de Ouyahia: Amnistie fiscale, Chakib Khelil et cadres injustement incriminés

par Ghania Oukazi

Alors qu'il avait déclaré récemment que les salaires de novembre pouvaient ne pas être assurés en raison du manque d'argent, le 1er ministre appelle aujourd'hui à une amnistie fiscale au profit des hommes d'affaires privés.

C'est avec la casquette de secrétaire général du RND que Ahmed Ouyahia a déclaré hier à la radio nationale qu'il était pour une amnistie fiscale. En ces temps de désordres et de confusions politico-économiques, l'opinion publique estime en évidence que tout ce qu'il dit est retenu contre lui en tant que 1er ministre.

Il doit certainement savoir que son retour n'a pas plu aux communs des citoyens tant son nom est étroitement lié à des moments de dures épreuves dont les conséquences affectent plus les couches moyennes et défavorisées que la nomenklatura représentée par les dignitaires du régime et ceux qui bénéficient de privilèges de l'Etat.

Hier, Ouyahia a réitéré son adhésion totale à une amnistie fiscale effaçant les arriérés d'impôts des hommes d'affaires privés. L'on rappelle qu'il l'avait déjà revendiquée lors de sa campagne électorale pour les dernières élections législatives. Bien que de richissimes hommes d'affaires n'ont rien contre, bien au contraire, les plus en vue d'entre eux avaient estimé déjà que ce n'était pas du tout le moment. « C'est une bourde monumentale », avait rétorqué un patron bien connu.

Les faits sont têtus. L'histoire lui a déjà retenu qu'en tant que chef du gouvernement qu'il était durant les années 90, il avait assumé la décision de ponctionner les salaires des travailleurs, prise à l'époque par un puissant conseiller du président de la République, Liamine Zeroual, et du patron de l'UGTA, Abdelhak Benhamouda. Comme déjà mentionné dans ces mêmes colonnes, Ouyahia n'est pas homme à décider. Il est un bon exécutant de besognes. C'est, entre autres, ce qui doit expliquer sa «descente» du Palais d'El Mouradia vers le Palais du Dr Saâdane. Il devait rattraper certaines erreurs de son prédécesseur, Abdelmadjid Tebboune, vis-à-vis du patronat et sensibiliser l'opinion publique sur la gravité des crises financière et économique qui rongent le pays.

Le cynisme du 1er ministre

C'est ce qu'il a tout de suite fait sur le ton de la provocation et avec la suffisance et l'arrogance qui le caractérisent.

Le rappel à l'ordre par les plus hautes autorités du pays ne s'est pas fait attendre. Il devait alors revoir son discours et éviter de choquer davantage une population qui patauge dans le marécage de la vertigineuse hausse des prix de tous les produits de consommation et dans les nombreuses difficultés d'une bureaucratie fortement encouragée par la corruption et l'impunité.

Entre un « payez vos impôts » qu'il avait lancé aux patrons privés dès sa prise de fonction de 1er ministre et sa revendication, hier, d'une amnistie fiscale, il démontre davantage cette extraordinaire disponibilité à soutenir une chose et son contraire. Ouyahia a été éradicateur dans les terribles années du terrorisme et est devenu réconciliateur au temps de la réconciliation nationale. Autre rappel, à la fin des années 90, il lui a été demandé de mener une opération «mains propres» contre les cadres de la Nation. C'est ce qu'il a fait sans regretter les terribles préjudices moraux, psychologiques et physiques causés sur les personnes incriminées et sur leurs familles. Ouyahia mènera avec cynisme cette «chasse aux sorcières».

Hier encore, nouveaux propos, le 1er ministre a affirmé que les cadres de Sonatrach ont été injustement incriminés. « Il y a eu des explosions de pétards qui se sont révélées être des injustices », a-t-il déclaré. Il estime ainsi que des injustices ont été commises contre ces cadres et contre Chakib Khelil.

Chakib Khelil de retour ?

Ce sursaut de compassion étonne les esprits les plus avertis. Il est clair que l'ex-ministre de l'Energie et des Mines doit être réhabilité officiellement un jour ou l'autre tant il est dit de lui qu'il n'a jamais arrêté de plaider «la cause énergétique de l'Algérie» par voie de diplomatie parallèle sur demande du chef de l'Etat. L'accord conclu par l'OPEP à Alger « c'est lui », disent de hauts fonctionnaires tout autant qu'à propos de la décision de révision de la loi sur les hydrocarbures. Déjà parues dans ces mêmes colonnes, ces réalités ne doivent pas cependant être véritablement les raisons qui ont poussé Ouyahia à évoquer Khelil et les cadres de Sonatrach dans cette conjoncture de chute libre du prix du cours du pétrole. Le 1er ministre doit certainement savoir qu'il est avancé qu'au début de la semaine prochaine (on parle du 28 octobre prochain), Chakib Khelil sera installé comme directeur de cabinet de la présidence de la République. C'est-à-dire qu'il le remplacera auprès du président. Vrai ou faux ? Une telle décision non plus ne l'oblige pas à faire subitement l'éloge de Khelil. D'autres rappels s'imposent dans ce cas, pour plus d'éclairages par le biais de recoupements inévitables. Il paraît judicieux de lier ses propos d'hier à l'avènement des élections communales du 23 novembre prochain et par extension à l'élection présidentielle de 2019.

Rappels et recoupements

L'on se souvient que des voix se sont élevées pour dénoncer la fraude lors des dernières législatives au profit du RND, augmentant ainsi son score de 60 comme fixé par le pouvoir au nom de la politique des quotas, à 100 sièges. Des analystes en ont déduit que des réseaux « dormants » des services l'ont aidé à remplir des urnes. Répertorié comme étant l'homme de Toufik, l'ex-patron des services, Ouyahia semble aujourd'hui être forcé à s'en détacher publiquement en soutenant Chakib Khelil, un des hommes de Bouteflika. Rappel important, lorsque le dossier Sonatrach a été jeté sur la place d'Alger pour être mis entre les mains de la justice, nous écrivions alors que l'affaire Sonatrach a été ficelée dans le dos du président de la République pour mettre en difficulté ses hommes et son frère Saïd. Vu sous cette angle et comme déjà écrit, Bouteflika avait, selon des sources sûres, ordonné au patron des services de retirer immédiatement le dossier, « sinon il constitue une commission qui exigera de savoir qui avait assassiné en 1995 le général Saïdi qui devait remplacer Toufik à son poste ». L'on croit qu'il lui a été « suggéré » en haut lieu de jeter en vrac les uns et autres propos pour tâter le terrain en prévision d'éventuels changements.

Si l'on sait que les arcanes du pouvoir sont impénétrables parce qu'on ne peut saisir ce qui s'y trame, l'on aura remarqué que le dossier Sonatrach avait fait quelques sauts mais a été mis dans les tiroirs sans que Khelil ne soit convoqué comme l'ont voulu ses détracteurs. Il y a au moins ça de vrai?

Consignes pour un scrutin

En soutenant l'ex-ministre et ses cadres de l'époque du procès, le 1er ministre veut peut-être prouver qu'il a coupé le cordon ombilical avec son mentor. A la veille des élections législatives, il compte récupérer la mise face à un FLN à la faveur de qui consignes auraient déjà été données pour, dit-on, qu'il en sorte 1er. «Les communes sont un enjeu de taille pour la future présidentielle, il faut bien les encadrer pour les avoir en main», soutiennent de hauts responsables politiques.

Hier, comme dans son habitude, Ouyahia s'est érigé en expert politique, économique, financier, du développement, de la fiscalité, des réformes? Il mettra tout le monde dos à dos. «L'opposition qui critique ce système», «ceux qui font dans les affabulations et qui attendent les chars pour les ramener au pouvoir», «les experts qui font de la théorie», «le nouveau glissement et la dévaluation du dinar», «le changement des billets de banque», «l'économie informelle», «l'inflation de 2, 3, ou 4 chiffres»?

Changements en prévisions ? Avant ou après les élections locales ? « Une information qui coûte aujourd'hui cher, demain elle sera gratuite », dit l'esprit populaire égyptien.

Pour l'heure, ce sont les diplomates qui se préparent aux affectations. L'on parle de l'imminence « d'un grand mouvement d'ambassadeurs », « peut-être juste après le 1er novembre ».