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Ministère de l'Armement et des Liaisons générales: Le MALG revisité et des zones d'ombre

par Ghania Oukazi

Né le 17 août 1926 à Mila, Abdelhafidh Boussouf a rejoint Constantine en 1942, mais c'est à partir de l'ouest du pays qu'il organisera les réseaux militants les plus performants pour libérer l'Algérie du colonialisme français.

Boussouf a fait ses premières études à Mila avant de rejoindre Constantine en 1942. En 1943, il adhère au Parti du Peuple algérien et «milite à visage découvert jusqu'en 1947, date de la création de l'Organisation Spéciale (OS), il en devient le responsable pour Skikda jusqu'en 1950». Pas pour longtemps puisque la même année, il sera obligé de fuir de l'Est vers les frontières de l'ouest algérien. «En effet, après le grand coup de filet qui a démantelé une grande partie de ses réseaux dans le Constantinois et le centre du pays en 1950, il se réfugie en Oranie, en compagnie de Larbi Ben M'hidi et de Ramdane Benabdelmalek». Boussouf vivra un certain temps dans la clandestinité dans la région de Tlemcen. «Il fait partie du CRUA en février 1954, du comité des 22 en juin avant d'être affecté dans la nouvelle entité, le FLN, en tant qu'adjoint de Ben M'hidi désigné chef de la zone V, correspondant aux territoires de l'Oranie, le 1er novembre 1954». «C'est en cette qualité que vont se dessiner les contours du parcours exceptionnel de Abdelhafidh Boussouf, en tant que militant et responsable». C'est alors que commence le parcours exaltant du fondateur des services secrets algériens.

Cette fiche signalétique de Abdelhafidh Boussouf a été mise au point par Amine Kaïs, avec l'appui pertinent de l'association nationale des membres du MALG, que préside Dahou Ould Kablia. Kaïs est le réalisateur de cinq documentaires par lesquels il a tenté avec une subtilité remarquable de percer les secrets d'une organisation -le MALG- qui a non seulement marqué les esprits les plus astucieux de la France coloniale mais a pratiquement détourné objectivement le cours de la Guerre de Libération nationale. En suivant les documentaires, on sent que le réalisateur voulait traverser l'image pour décoder un propos, une attitude, un geste, un rictus?

Les limites du devoir de réserve

Il a convoqué l'histoire pour tenter de percer des zones d'ombre chargées de sacrifices, de gloire, d'ingéniosité, de nationalisme, de patriotisme, du sens profond de la responsabilité mais aussi d'intrigues, de conflits idéologiques, de règlements de comptes et de trahisons. Son travail n'a pas été facile. Il a duré plus de 5 années. Les membres du MALG encore en vie ont certes accepté de parler mais ont dû se donner le mot pour ne pas franchir les limites que leur fixe le devoir de réserve. Ils témoigneront pendant 7 longues heures dans un programme de diffusion passionnant. On les voit à l'écran, assis, sereins, calmes. Ils ont le verbe facile, ils tiennent des propos clairs et cohérents.

Ils interviendront l'un après l'autre pour expliquer pendant 62 minutes de tournage, ce qu'étaient les transmissions au sein du MALG. D'autres rappelleront pendant 73 mn l'histoire de l'armement. Dahou Ould Kablia et d'autres de ses compagnons décriront pendant 148 min ce qu'étaient le renseignement et le contre-renseignement. On suivra la formation des premiers aviateurs du MALG pendant 60 min. Enfin, le clou du programme, un 60 min sur «les immortelles du MALG», 5 jeunes filles parmi les 8 intégrées dans le corps des contrôleurs du maquis.

Le travail effectué par Amine Kaïs raconte Abdelhafidh Boussouf, sa vie, son combat, sa détermination à arracher l'indépendance de l'Algérie des mains de la 4e force militaire de l'Alliance atlantique. Bousouf dirigera le MALG pendant longtemps. Créé par le Comité de coordination et d'exécution le 19 septembre 1958, le MALG est le ministère de l'Armement et des Liaisons générales du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Son rôle était «d'apporter un soutien multiforme à la Révolution au plan interne et externe». En août 1956, Boussouf avait pris le commandement de la wilaya V «en remplacement de Larbi Ben M'hidi, désigné membre du CCE par le Congrès de la Soummam». Il décide alors d'initier des attributions solides au MALG. Ceci, disent ses compagnons, «après avoir pris conscience des réalités de la guerre impitoyable que mènent l'administration et l'armée coloniales contre le peuple algérien avec des moyens très largement au-dessus de ceux de l'ALN». Pour Boussouf, expliquent-ils, «la Révolution est un tout. C'est l'engagement des hommes mais c'est aussi l'encadrement, l'armement, les communications, les liaisons, le renseignement, la vigilance et le contrôle, le soutien logistique, la propagande?».

Naissance des services secrets algériens

Boussouf mettra en place une stratégie minutieuse pour réussir toutes ces actions, celle «d'une formation innovante et sans complaisance» de militants de première heure. Les membres du MALG nous apprendront que Boussouf s'est engagé dans toutes ces missions «avec détermination successivement à la tête de la wilaya V en 1956, au CCE en 1957, au ministère des Liaisons générales et des Communications (MLGC) en 1958 et enfin au ministère de l'Armement et des Liaisons générale (MALG) en janvier 1960. Les «MALGACHES» ont tenu à expliquer dans leur fiche de présentation que «ce titre MALG, volontairement restrictif, cache un contenu plus large, plus complexe puisqu'il regroupe toutes les attributions énumérées ci-dessus (?)». Boussouf créa le service des transmissions en septembre 1956 «à partir d'un noyau restreint d'opérateurs de radio, déserteurs de l'armée française (?), qui a, en un temps très court, capitalisé et valorisé un moyen de communication rapide, sûr, ignorant les distances». Moins de 6 mois après, des opérationnels fraîchement formés «ont pu être affectés auprès des responsables de l'ALN à l'intérieur couvrant toutes les branches de l'exploitation du chiffrement et du dépannage». Entre 1956 et 1962, «plus de 800 agents ont été formés et ont permis de couvrir tout le territoire national, de grandes capitales, Rabat, Tunis, Tripoli, Le Caire, Moscou, Pékin, New York et de transmettre les messages du FLN et de l'ALN». L'histoire de l'armement raconte «la prospection et l'achat d'armes pour les combattants de l'ALN, objectif prioritaire pour le FLN». Des missions qui, selon les témoins dans le documentaire, «ont franchi des étapes importantes malgré les difficultés». La volonté, le courage et la persévérance des hommes ont permis, selon eux, «de construire une armée dotée de moyens de combat les plus modernes». Le colonel Boussouf mettra en place «dès la mi-55, un service de renseignement basique, le SRL» qui sera scindé en deux structures différentes -le renseignement et les contre-renseignements- pour des raisons d'efficacité. A la création du MALG au sein du premier GPRA en 1958, ces deux services, expliquent les Malgaches, ont été transformés en deux directions distinctes, la DDR (Direction de documentation et de recherches) et la DVCR (Direction de la vigilance et du contre-renseignement). La DDR a été dirigée par Khaled Khelladi qu'on voit dans le documentaire en train d'en expliquer toutes les missions.

Les péripéties d'une Algérie militante et militaire

Il a été assisté à cette direction par Boualem Bessayeh, décédé il y a moins d'une année. La DVCR était dirigée par Abderrahmane Berrouane secondé par Abdelkader Maoui et avait pour mission «la protection de la Révolution» à travers la sécurité de ses hommes, ses locaux, ses équipements. La DVCR avait deux commandements territoriaux, Est et Ouest.

Abdelhafidh Boussouf avait continué son action de formation de l'Algérie militante et militaire pour les besoins de l'indépendance et au-delà. Les premiers aviateurs qui ont été mis sous le commandement de Amar Ouamrane et de Krim Belkacem. Boussouf les avait repris en main, selon les témoignages, en 1960, et ce en les mettant sous sa tutelle tout autant que les marins et les policiers. «Pour les aviateurs en particulier après les stages en Egypte, Syrie et Irak, le complément de formation en URSS et en Chine a permis la naissance de l'important noyau de la première aviation militaire algérienne», affirment les témoins de l'époque dont deux en ont longuement parlé dans le documentaire. Le colonel Hocine Senouci et le colonel M'Hamed Becherchali sont les compagnons les plus proches de Yahia Rahal qui, lui, paraît sur une seule photo. Le colonel Senouci a affirmé en marge de la projection que Rahal a été major de la promotion qui se formait en Syrie. «Quand on était revenus en Syrie 15 ans après l'indépendance, le chef d'état-major de l'armée syrienne nous avait avoué qu'aucun militaire syrien n'a pu atteindre la note décrochée par Rahal». Une reconnaissance qui ne lui a pas été déclarée dans le film?

Les témoins ont été avares d'hommage à des hommes qui, pourtant ont marqué l'histoire de la Révolution qui par son intelligence mais surtout tous par leur profond dévouement à la cause et leur sens aigu du sacrifice. Rahal n'est pas le seul à être oublié par les siens?

«Les immortelles du MALG»

Le documentaire le plus marquant est sans conteste celui qui raconte l'histoire « des immortelles du MALG ». Celles qui ont fait partie du corps des contrôleurs au nombre de 19 dont 8 jeunes filles. Un corps qui a été créé en février 1957 par le colonel Boussouf pour l'inspection et le contrôle dans les maquis de la wilaya V. «Une mission ardue que rapportent avec des accents de grande sincérité 5 d'entre elles», dit l'association et le réalisateur. On les voit en effet à l'écran relater les moments forts de leur combat. Retranchées dans les bases arrière du Maroc avec leurs familles respectives, elles ont choisi de rejoindre le maquis à la fleur de l'âge. En militantes convaincues, elles quittent très tôt les bancs des écoles de Oujda pour se consacrer à une mission de révolutionnaires. Issues de familles aisées, cultivées, érudites, les nouvelles recrues de Boussouf étaient belles, intelligentes, racées. Celles encore en vie, le sont restées à ce jour. Elles parlaient devant la caméra avec une aisance déconcertante. «Si c'était à refaire?». La cause était trop noble, il fallait la porter haut et loin?

A l'instar d'Alger il y a quelques mois, Oran a ainsi fait renaître mercredi et jeudi dernier des séquences importantes de l'Algérie combattante pour son indépendance. La série de documentaires qu'a réalisés Amine Kaïs incitent à la fierté, au courage, à la grandeur, à l'élégance intellectuelle, au nationalisme, au patriotisme. Ils inspirent la liberté dans toute la profondeur et la splendeur du terme. Des témoins, femmes et hommes, relataient leurs actes et faits révolutionnaires parfois avec la gorge nouée et les larmes aux yeux. Ils ont fait part de la technicité des missions qui leur ont été confiées, des attributions du MALG, l'ingéniosité de leur concepteur, de l'intelligence de ses membres. L'œuvre ne devait pas aller au-delà?, dans les travers d'une Guerre d'indépendance qui pourtant par sa grandeur a redéfini les équilibres mondiaux en stimulant fortement la liberté des peuples. A la fin de la projection, John Fitzgerald Kennedy rendait hommage aux combattants algériens, à l'Algérie indépendante, à l'ère de la liberté qu'elle venait de dédier à tous «les damnés» de la terre. Kennedy avait adressé ses vives félicitations au peuple algérien devenu indépendant, grâce à sa bravoure et à ses sacrifices?

Le mur du silence

L'assistance dans la salle est cependant restée sur sa faim tant elle aura aimé qu'en revisitant l'histoire de la Guerre de Libération nationale, le pays soit exorcisé de ses douleurs, de ses blessures, de ses plaies encore béantes. Les témoins n'ont pas brisé le mur du silence. L'un d'eux a évoqué la bleuite mais ne s'y arrêtera pas. L'assassinat de Abane Ramdane ? Les 100 jours des colonels ? L'été de la discorde ? Le coup d'Etat ou la prise du pouvoir par la force ? Des tiraillements, des conflits idéologiques, des liquidations physiques, des trahisons qui ont entaché la Révolution, le MALG refuse d'en parler.

«Ce sont 7 heures de projection, 15 heures d'enregistrement qu'il fallait bien mettre au point, vérifier le temps d'intervention de chacun des témoins pour que personne ne dit que l'autre a parlé plus que moins», a déclaré le président de l'association du MALG lors du point de presse qu'il a animé jeudi dernier aux côtés du réalisateur dans la salle «Mascara» du Sheraton Oran. Le président des Malgaches a fait savoir que «nous avons eu 8.000 morts au niveau des barrages électrifiés (lignes Challe et Maurice) avec lesquels la France coloniale a quadrillé dangereusement les frontières est et ouest de l'Algérie, des millions d'armes ont été récupérés par l'ennemi». Plus loin, il expliquera les cycles de formation dont ont bénéficié les éléments des services secrets algériens entre septembre 61 et avril 62 pour souligner qu'«il y en a eu un seul qui a fait ce qu'on appelle le tapis rouge en URSS, il est dans la salle, mais personne d'autre, il y en a qui disent que Toufik ou quelqu'un d'autre l'a fait, faux !».

L'ancien ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales ne veut toujours pas jouer à l'exorciste. Il refusera d'évoquer l'histoire politique du MALG. Quoiqu'il avouera que «nous avions plus de 10 tonnes d'archives à la base Didouche en Libye, nous les avons toutes remises au MDN». Ould Kablia affirme surtout que «nous avons essayé de les récupérer mais la Défense a refusé en nous disant qu'il y a des considérations internationales qui nous empêchent de les déclassifier». De la salle, une voix lance «c'est de la séquestration !».

Ould Kablia réclame la déclassification des archives de l'histoire

Le président de l'association du MALG estime que «si les pays étrangers se fixent 50 ans pour déclassifier leurs archives, nous, nous sommes à 60 ans, je crois que c'est le moment de le faire». Il pense que ce bornage de l'histoire n'est pas bon pour l'Algérie. «Nous avons pris le mauvais pli en ce qui concerne l'écriture de l'histoire», dit-il. Il reconnaît que «la jeunesse algérienne a subi une acculturation politique et historique, notamment durant la période 62-70, il faut mener une grande bataille pour redresser la barre». Il appelle à l'écriture de l'histoire d'une manière saine et transparente. «Ce n'est pas faute de ne pas avoir essayé mais on nous a toujours demandé de construire l'avenir et de ne pas regarder le passé». Il explique que «le plus contraignant est que si on veut le faire, il y aura plusieurs parties prenantes, l'ONM et le ministère des Moudjahidine voudront s'en mêler pour ne pas laisser faire, c'est très compliqué». Ould Kablia fait quand même savoir que «Boussouf avait 2.000 cadres qui travaillaient pour protéger la Révolution d'Est en Ouest, il a voulu mettre le MALG au-dessus de tout conflit idéologique pour une Algérie indépendante». Le président de l'association fait savoir que «le MALG a donné à l'Algérie 25 ministres, 35 ambassadeurs, 25 walis, 5 DGSN, 8 généraux et 55 colonels, tous ont été formés dans la foi et l'engagement». Des voix susurrent dans l'obscurité de la salle de projection «et il a donné un président de la République (Abdelaziz Bouteflika ndlr)». Ould Kablia a tenu à affirmer que «je le dis aujourd'hui solennellement qu'aucun cadre du MALG n'a été mêlé de près ou de loin à des affaires de corruption ou de trahison».

Abdelhafidh Boussouf ne prétendra à aucun poste de responsabilité encore moins à la prise du pouvoir après l'indépendance. Sa dernière image à l'écran, il montait sur la passerelle d'un avion en tournant le dos à une Algérie déchirée par les luttes de clans, le régionalisme, le clientélisme, la corruption? Il est mort en 1980 à Paris d'une crise cardiaque.

Amine Kaïs a eu certainement des difficultés à se tracer des lignes rouges pour ne pas briser l'omerta? «Il a tellement bien compris le MALG qu'il l'a dans le sang» a affirmé Daho Ould Kablia à propos du réalisateur de cette série de documentaires. Kaïs est le petit-fils de El-Hbib Benyekhlef dont la maison «Dar Benyekhlef» à Oujda a servi de QG aux responsables du MALG.