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Licence d'importation rime avec corruption ?

par Sid Lakhdar Boumédiene*

En Algérie, le libéralisme avait déjà rimé avec gangstérisme comme le socialisme avec militarisme et l'islamisme avec Khalifa (le lecteur comprendra la fausse rime). Les voyous financiers s'adaptent à tous les environnements juridiques. Plus l'hymne national résonne fort et le drapeau claque au vent, plus ils se multiplient comme les bactéries en eaux troubles. La nouvelle annonce réglementaire ne changera rien si ce n'est redonner aux fonctionnaires corrompus un avantage relatif qu'ils avaient perdu.

Comme toujours, les économistes «docteurs, experts internationaux et galactiques» veulent nous entraîner vers une lecture complexe de l'économie. En quarante ans de publication, ils n'ont jamais vu ni entendu parler des crimes et de la corruption d'État, des persécutions, du népotisme, de la douleur des berbérophones ou de la barbarie du code de la famille.

L'économie est, pourtant, tout cela avant tout car rien ne se bâtit économiquement dans la durée sans la participation sereine et volontaire des peuples. Le thème des licences d'importation est de ceux qui ne posent pas le plus de problèmes car derrière les techniques et les complications des textes et pratiques internationales, il y a des évidences simples qui sautent aux yeux des populations.

Essayons de rappeler ces évidences en laissant de côté les éruditions qui masquent, toujours ce que le bon sens populaire avait perçu, depuis longtemps. Puis éclairons le propos par notre vécu collectif, depuis l'époque des pattes d'éléphant et cheveux longs, dans un jet Falcon, autour du monde, jusqu'à celle du fauteuil roulant.

L'incompatibilité avec les règles de l'OMC

L'affaire algérienne est assez étonnante car un treizième round de négociations pour l'accession du pays à l'Organisation mondiale du Commerce devait se tenir, au cours du semestre. La candidature fut déposée, en juin 1987 auprès de l'ex-GATT et se sont déroulés douze rounds de négociations à ce jour. Six accords bilatéraux ont été conclus avec la Suisse, le Brésil, l'Uruguay, Cuba, l'Argentine et le Venezuela. Dans ce long marathon, l'Algérie a fini par obtenir les félicitations des membres de l'OMC pour les « progrès substantiels accomplis dans les modifications de son régime commercial ». Bokassa ou Idi Amine Dada en auraient obtenu les mêmes s'ils ne s'étaient pas suicidés par leur outrance maladive.

Mais un drogué durement atteint rechute, inévitablement, dans son addiction et l'Algérie vient d'annoncer le contraire absolu de ce qu'elle avait promis, juré, craché. Il lui fallait sa dose de réglementation et de corruption d'État dont elle ne peut, décidément, se priver. C'est dans son ADN et dans son histoire.

La doctrine générale de l'OMC est la liberté des échanges, sans entraves administratives. Son objectif n'est pas de lutter contre la corruption et, de toute façon, un grand nombre de ses adhérents sont parmi les plus corrompus de la planète. Elle a deux missions principales : définir les règles du Commerce mondial et régler les conflits commerciaux entre les pays membres. L'OMC est donc un cadre de dispositions qui réglemente les accords bilatéraux entre les pays membres.

Dans cet esprit de garantir les échanges libres, l'OMC a donc défini les entraves à la liberté des échanges commerciaux dont l'une des plus connues, la licence d'importation. Justement, cette disposition que l'Algérie vient de remettre en place pour un certain nombre de produits.

Les licences d'importation sont des « procédures administratives qui exigent, comme préalable à l'importation de marchandises, la présentation à l'organe administratif compétent d'une demande ou d'autres documents (distincts des documents requis aux fins douanières) » nous disent les textes.

Ce sont les fameux articles VIII et X du GATT qui encadraient les licences d'importation. L'article VIII dispose en son premier paragraphe de « réduire au minimum les effets de la complexité des formalités d'importation et d'exportation et de réduire et de simplifier les exigences en matière de documents requis à l'importation et à l'exportation ». Le paragraphe 2 fait obligation, à chaque membre, «d'examiner l'application de ses lois et règlements compte tenu du présent article ». Le paragraphe 3 fait interdiction aux membres d'imposer « des pénalités sévères pour de légères infractions à la réglementation ou à la procédure douanière ». L'article X fait obligation de publication (et donc de mise en conformité) « des lois, règlements et décisions judiciaires et administratives d'application générale, y compris celles visant les prescriptions relatives à l'importation ou à l'exportation et de les appliquer d'une manière uniforme, impartiale et raisonnable ».

Depuis le code du Tokyo round à l'accord du cycle d'Uruguay, les dispositions se sont affinées. Le contenu général peut être résumé par quelques points :

- Application neutre, administration juste et équitable (le rédacteur de l'article a du mal à retenir son rire).

- Formules et procédures de demandes simples (le rédacteur se dit que pour les corrompus, ce point n'a aucune importance).

- Les devises nécessaires doivent être allouées sur la même base que pour les marchandises non soumises à licence.

- Non obligation de révéler des renseignements confidentiels dont la divulgation serait contraire à l'intérêt public ou porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes de certaines entreprises (Marlon Brando dans le Parrain, à côté de nos corrompus, était une pipelette intarissable!).

Bref, la licence d'importation, pour les pays qui ont une corruption endémique, ils sont nombreux, est un véritable passeport à la corruption avec un visa illimité.

C'est d'ailleurs ce que l'Union européenne dénonce dans son rapport en disant « que ces mesures protectionnistes sont venues s'ajouter aux restrictions et entraves au Commerce international et à l'investissement, déjà existantes en rendant encore plus difficile le climat des affaires pour les opérateurs économiques européens. Ces mesures sont considérées comme non conformes aux obligations de l'accord entre l'UE et l'Algérie ».

L'Union européenne rappelle le manque d'évolution depuis 2012 du classement dans l'Index de Perception de la corruption (un euphémisme!) de Transparency International ainsi que l'accélération des transgressions aux droits de l'homme.

L'Union Européenne vient, néanmoins, ce 13 mars, de signer une série d'accords avec l'Algérie. L'argent algérien n'a jamais eu d'odeur et, d'ailleurs, les grands intérêts mondiaux se fichent, éperdument, de la corruption dans les pays avec lesquels de juteuses affaires se font. Ce qu'ils redoutent est la mainmise des affaires par des fonctionnaires, ce qui alourdit les procédures, renchérit le coût occulte et freine la fluidité des transactions. Pour eux, les corrompus, pas de souci mais que ce soit simple et rapide.

Mais alors quel est le lien entre les licences d'importation et la corruption ? Tout le monde le sait mais il n'est pas inutile de le rappeler, par l'exemple, toujours pédagogiquement nécessaire.

C'est comme prouver que l'eau mouille !

C'est une question qui peut se prouver scientifiquement dans un laboratoire. Plaçons dans une éprouvette un fonctionnaire pour lequel, en théorie, une villa et la Mercedes au garage correspondraient à un siècle de rémunération. Plaçons dans une seconde éprouvette un homme d'affaires dont l'argent de poche mensuel suffirait à les acquérir. Bien entendu, pour que l'expérience fonctionne, les échantillons doivent impérativement être choisis dans un pays ou le chef du parti au pouvoir annonce la « Présidence à vie » et qu'un délinquant international, ancien ministre, fasse librement du tourisme dans des zaouïas. Ce sont des espèces assez courantes sur la planète et pour lesquelles le climat algérien convient particulièrement.

Énonçons maintenant le protocole de l'expérience scientifique aux protagonistes. Disons au premier que sa décision d'accorder une licence permettrait au second d'accroître considérablement sa richesse, déjà démesurée. Mélangeons ensuite le contenu des deux éprouvettes dans une troisième. Le résultat est infaillible, un étudiant de première année en économie le connaît car, dans ses polycopiés, il a appris que l'être humain, selon Adam Smith, est un homo-économicus, c'est-à-dire qu'il réagit toujours en fonction de ses intérêts économiques. Certains fonctionnaires et hommes d'affaires algériens ont souvent mis de côté leur apprentissage de la philosophie, de l'éducation civique et de la morale mais pour l'homo-économicus, ils ont toujours eu 20/20. Ce résultat scientifique est imparable car du mélange il en ressort toujours un compte offshore. Miraculeux, non ?

Notre madeleine de Proust

Le point d'interrogation du titre semble incongru vu ce qui vient d'être exprimé. En fait, il faut l'interpréter dans un autre sens que celui de l'incertitude. La question ne porte pas sur l'existence ou non d'un lien mais sur l'exclusivité de ce lien. Dès le départ, nous y avons répondu dans le chapeau de l'article, les licences d'importation ne vont que modifier partiellement les lieux et les personnes concernés par la corruption.

En réalité, l'Algérie revient à ses habitudes, ni plus ni moins. Mais il faut distinguer deux périodes. Avec la licence d'importation, tous les entrepreneurs algériens ont cette douce impression qu'on leur ressort la Game Boy de leur enfance dans le business. Mais pour notre génération, c'est un souvenir encore plus lointain car elle nous renvoie à l'exclusivité des sociétés nationales. Comme pour la madeleine de Proust, nous en verserions une larme car c'est comme voir défiler les images de notre Rouiched national, de nos dimanches avec El-Hachemi Hentaz ou de notre gros fou-rire devant Cheikh Zoubir (je ne me lasserai jamais de le citer dans mes articles). La bonne vielle corruption du temps de Boumédiene, c'était autre chose !

Alors étudiants, lorsque nous nous présentions à la douane, nous tremblions de voir nos savons Roger Gallet ou notre camembert Caprice des Dieux, achetés furtivement au Felix Potin d'Orly, lorsqu'il restait quelques sous, se voir confisqués par un rude fonctionnaire qui nous barbouillait la valise d'un coup de craie indélébile.

Le mot importation, nous le connaissions mais il était réservé aux gigantesques entreprises nationales qui avaient le monopole du Commerce extérieur. Nos corrompus n'avaient pas l'ostentation des riches entrepreneurs des années quatre-vingt-dix. Ils étaient furtifs, silencieux et ne s'attardaient à la lumière qu'en de rares occasions, lorsqu'ils nous faisaient chanter l'hymne national et hissaient le drapeau.

Nous les murmurions, nous les craignions et jamais nous n'aurions osé, même en chuchotant, les évoquer sans nous assurer de la présence de qui que ce soit à vingt mètres de nous. Ils portaient des Ray-ban pour certains, la fameuse valise diplomatique pour d'autres (ah, cette valise, c'était autre chose qu'un sac Vuitton de nos nouveaux entrepreneurs !).

Nous savions qu'ils n'achetaient pas que des Caprices des Dieux ou des bananes mais personne n'en connaissait les détails. C'était l'époque où un petit gamin jouait sur les genoux de son père, grand baron de la République, avec un Monopoly (ce jeu qui fait côtoyer la case Immeuble de la rue St Honoré, les bijoutiers de ces belles dames et la case prison) ainsi qu'avec de petits avions à piles. Nous apprendrons plus tard que ce petit rejeton à son père, dénommé Rafik Khalifa, avait continué à jouer avec ses jeux favoris mais?.avec la version pour les grands.

De temps en temps, l'annonce d'un condamné à perpétuité ou à mort pour haute trahison ou crime économique nous parvenait aux oreilles. Il fallait bien une petite peur, par ci ou par là, pour faire régner respect et ordre républicain. Ah, la licence d'importation du temps de mon homonyme, c'était tout de même autre chose à cette époque !

Son retour favorisera l'émergence de nouveaux corrompus mais il y a longtemps que certains fonctionnaires sont devenus des hommes d'affaires. Il fallait en laisser un peu pour la génération suivante, chacun son tour, tout de même !

* Enseignant



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