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Sidi Saïd à Oran: La retraite, les syndicats et des lignes rouges

par Houari Saaïdia

Comme à son habitude, Sidi Saïd a usé de son style allusif, autrement plus incisif. « Si je cite des noms, je critique et insulte, vous aurez droit demain à des titres en grandes manchette du genre : « Le SG de l'UGTA tire à boulets rouges sur ? » Non je ne tomberai pas dans ce piège ». Or, tout le monde, dans la grande salle du Méridien d'Oran, a compris que le patron de la Centrale syndicale faisait le procès de l'action de l'intersyndicale, à travers son discours d'ouverture. Aux tables réservées à l'assistance, disposées à la façon «workshop», se tiennent les membres du secrétariat général de l'Union, au premier plan, et les secrétaires généraux des 48 wilayas, à l'arrière-plan. Au centre de la tribune : Abdelmadjid Sidi Saïd. A ses côtés, de part et d'autre : M. Mhenni, représentant de la Confédération (patronale) des industriels et producteurs algériens (Cipa), Boudjema Talai, ministre des Travaux publics et des Transports, comme émissaire du Premier ministre, pour ce rendez-vous national de l'UGTA, ainsi que leurs hôtes locaux, le wali et le président de l'APW. Après les préliminaires, Sidi Saïd est invité au pupitre. Pour dire un mot. Bien sûr -le contraire aurait été étonnant- tout débraillé, avec son inséparable casquette, il y va, sans aucun bout de papier. Après l'allocution de bienvenue, il prévient : « Je vais parler terre-à-terre, m'exprimer en langage syndico-syndical ». Il balance, d'emblée, la « bonne nouvelle » : « On est en fin d'année 2016, l'heure est au bilan d'activités et des statistiques de syndicalisation. Nous sommes, selon le dernier décompte, à 2 millions et demi d'adhérants. Cela prouve, si besoin est, toute la suprématie du syndicat historique, nourri par le sang des Martyrs, durant la guerre de Libération nationale et par celui des défenseurs de la République après l'Indépendance ». « Notre principe, notre devise, c'est : sincérité et responsabilité. Nous sommes des acteurs actifs de la stabilité et de la paix, sans lesquels il ne peut y avoir ni progrès social et économique ni épanouissement démocratique» , souligne-t-il. « Pourriez-vous imaginer cette trinité, dans un climat de désordre, d'anarchie ? Nul n'a de leçon à donner à l'UGTA, en militantisme syndical. Nous avons deux doctorats : un en militantisme syndical, l'autre en stabilité et paix (...) Certains veulent nous rétrograder dans la décennie noire, les années du sang et des larmes. Je ne citerai pas des noms car je n'ai pas d'a priori. Ils ont assombri et noirci l'Algérie ».

Réquisitoire à peine voilé contre l'Intersyndicale

« Ils veulent nous faire vivre dans la sinistrose, dans une situation de négation totale. Pourquoi ce pessimisme maladif. On peut venir à bout de tous les problèmes et aller de l'avant pour peu qu'on mette la main dans la main, avec l'esprit d'optimisation et d'optimisme », a-t-il ajouté. La phrase qui suit lève toute équivoque sur l'identité des parties dans le viseur de Sidi Saïd : « Pourquoi entache-t-on et noircit-on le travail syndicaliste ? ». Le n°1 de l'UGTA fait soudain un raccourci syndicalisme-histoire politique en invitant les uns et les autres à retourner au début des années 90 lorsque « l'Algérie n'avait même pas assez de revenus pour acheter du blé à son peuple, au moment où nous ne cherchions ni développement social et économique ni effloraison démocratique.

Seule la survie importait ». A l'évidence, comme on pouvait, facilement, anticiper la suite du récit par un enchaînement d'idées et de faits, Sidi Saïd a fait cette petite rétrospective pour mettre en exergue les vertus et les retombées de deux décisions, jugées «historiques» par lui, prises par le Président Bouteflika.

A savoir la réconciliation nationale et le paiement anticipé des dettes extérieures de l'Algérie, « sans laquelle, entre autres graves conséquences sur les plans social et économique, plusieurs milliers de travailleurs auraient été licenciés entre-temps ». Et de relancer les hostilités sur ses mêmes cibles, après cette petite parenthèse en guise de préambule pour un autre round : « Il n'y pas plus facile que la perturbation et la déstabilisation, comme celles auxquelles s'adonnent certains, de nos jours (?) Nul n'a le droit de se livrer à des actes mettant en péril la stabilité, chèrement acquise, par le peuple algérien. La paix et la stabilité, sont des lignes rouges pour nous tous (?). L'Algérie a créé des jalousies en vainquant, toute seule, le terrorisme et la crise économique du début des années 90 ».

« La paix et la stabilié» : une ligne rouge POUR TOUS »

« A cette époque-là, rappelle-t-il, le FMI a conditionné son octroi d'un crédit de 600 millions de dollars à l'Algérie, qui en avait impérieusement besoin, par plusieurs dizaines de conditions, dont 3 avaient une incidence directe sur le front social. A savoir : 1. Licencier 200.000 travailleurs. 2. Bloquer tous les salaires. 3. Diminuer les retraites et les retraités. C'était à prendre ou à laisser. Nous nous sommes enfermés, durant une semaine, nous l'UGTA sous Benhamouda, le Patronat et des ministres du gouvernement, pour trouver des solutions à cette crise extrême. Notre organisation syndicale a fait deux propositions : la création d'une Caisse de chômage pour payer les gens sans qu'ils soient mis à la porte et la mise en place d'un système qui permet de négocier le SMIG sans pour autant qu'il soit redéfini. Aussi, pour ne pas subir la condition du blocage de la retraite, on a suggéré la création d'un système transitoire, je dis bien transitoire, pour permettre le départ en retraite sans condition d'âge. C'était un exploit inédit d'avoir trouvé des solutions face au diktat du FMI. Vingt ans après, nous avons réussi à abroger le fameux article 87 bis ». Et le SG de l'UGTA de se réjouir, tout en rabaissant, voire dénigrant, les « autres » : « C'est ça le militantisme syndical.

C'est porter de vraies solutions pour les travailleurs, pour le peuple, pour le pays. C'est d'être sincère et responsable à la fois. Et non pas mentir au peuple, l'enflammer, et jeter en pâture les travailleurs (...) Imaginez-vous 3.000 retraités revenir demain de la poste sans leur petite pension, au motif que la CNR n'a pas versé un sou car étant en pleine faillite ? J'admets qu'on me critique, mais jamais qu'on me taxe de traître. Des retraités sont venus à moi, ces jours-ci, dont un vieil homme en pleurs. Il m'a interrogé si c'est vrai ce qu'on disait dans la rue, à savoir que viendra un jour où il n'y aura plus de pensions. Je lui ai dit : ?Mon père, il va falloir qu'on passe sur les corps des 2 millions et demi de syndicalistes UGTA pour mettre en pratique les choses qui entraîneront la faillite de la Caisse et la mettront dans une situation à ne plus pouvoir payer ses retraités ».