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Taxe sur les superprofits: Sonatrach répond à Total et Repsol

par Mahdi Boukhalfa

Sonatrach «a pris acte»' de la décision du groupe pétro-gazier français Total d'aller vers un arbitrage international pour réclamer des dédommagements à la suite de l'application en 2006, par l'Algérie, d'une taxe sur les superprofits exceptionnels. Fin mai dernier, le nouveau P-DG de Total, Patrick Pouyanné, qui a pris la tête du groupe, après la mort de Christophe de Margerie, dans un accident d'avion sur le tarmac de l'aéroport de Moscou, le 20 octobre 2014, a annoncé le lancement d'une procédure d'arbitrage international auprès du Tribunal de Commerce de Genève. Il demande un dédommagement financier qu'aurait induit la loi de 2006 sur les superprofits, réalisés par les compagnies pétrolières, opérant en Algérie. Cette requête a été déposée avec le groupe espagnol Repsol, à Genève, auprès de la Cour internationale d'arbitrage qui dépend de la Chambre de Commerce internationale. Un mois et quelques jours après, Sonatrach réagit sous la forme d'un long communiqué qui reprend surtout les différents accords de production et de prospection, dans le cadre de contrats partagés de production. Ce n'est qu'à la fin de ce texte que le groupe pétro-gazier national fait référence à l'acte belliqueux de Total. «Sonatrach a pris acte de la voie contentieuse empruntée par Total et Repsol, consistant à réclamer, auprès des instances arbitrales internationales, un dédommagement du fait de l'application de la loi par Sonatrach concernant la mise en oeuvre de la taxe sur les profits exceptionnels, instaurée en 2006».

C'est au mois de Juillet 2006 que les parlementaires adoptent à l'unanimité le projet de la loi, présenté, alors, par le ministre de l'Energie Chakib Khelil, qui instaure une taxe exceptionnelle sur les superprofits réalisés par les compagnies pétrolières étrangères présentes, en Algérie.

Une taxe contestée par les groupes pétroliers

Cette taxe prévoit d'imposer entre 5 et 50 % sur la valeur de la production quotidienne moyenne, pendant chaque mois durant lequel le prix du baril de brut dépasse les 30 dollars. Le groupe américain Anadarko avait déjà contesté cette loi et obtenu gain de cause, après un accord à l'amiable en 2012, contre plus de 4,6 milliards de dollars de dédommagements. Dans son communiqué et en réponse à l'attaque de Total et Repsol, le groupe pétrolier algérien souligne que «tout en restant ouvert à la recherche de solutions acceptables de ce différend commercial, mobilisera pour protéger ses intérêts, tout son potentiel pour répondre, efficacement, à cette situation».

Le litige commercial, ainsi mis en branle par le français Total, après des années de bonne entente avec son partenaire algérien, et juste après les dérives de la presse française sur le dossier des Panama Papers, porte sur l'important gisement de TFT. Sontrach explique, dans son communiqué, qu' « il est observé que les droits à enlèvements de Repsol et Total réunis sur TFT (Tin Fouyé Tabenkort), sur la base d'un prix de 50 dollars par baril, représentent moins de 0,3% de la production totale en Algérie ». Si l'espagnol ?'Repsol est engagé dans deux associations, en phase de développement, à Tin Fouyé Tabenkort et Reggane-nord, ainsi que dans deux permis de recherche et d'exploration situés dans le bassin de Berkine et dans la région de Boughezzoul, Total a renoncé à plusieurs projets, en Algérie, au cours de la dernière décennie », précise Sonatrach, même si le français est présent dans plusieurs projets, dans le sud du pays, notamment dans un projet gazier à Timimoun. Cette affaire remet, par ailleurs, sur le tapis les différents litiges commerciaux de Sonatrach avec certains de ses partenaires étrangers, dont l'américain Anadarko, proche de l'ancien vice-président américain, Dick Cheney, qui avait dirigé l'autre géant des services pétroliers Halliburton.

Anadarko et Dick Cheney

Après des mois de tractations, les deux parties tombent sur un accord et Sonatrach évite l'arbitrage international. L'accord, en 2012, prévoyait la livraison par l'Algérie à Anadarko de volumes supplémentaires de pétrole brut d'un montant de 1,8 milliard de dollars sur une période de 12 mois, à compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord. Les deux parties ont modifié l'accord de partage de production existant, pour que la compagnie américaine reçoive un volume plus élevé de barils de pétrole à commercialiser. Enfin cet accord portait sur une baisse de la fiscalité sur les superprofits réalisés par Anadarko. La totalité des compensions représentent 4,4 milliards de dollars, en faveur du groupe américain. Mais, Sonatrach n'a pas perdu toutes ses batailles commerciales. La Cour d´arbitrage de Paris avait donné raison, en août 2010, au groupe pétrolier algérien dans le conflit qui l'avait opposé depuis 2007, à l'espagnol Gas Natural Fenosa, sur le prix du gaz livré à l´Espagne et acheminé à travers le GME (gazoduc Maghreb-Europe). Le groupe gazier espagnol avait été condamné, par ce tribunal de Paris, à payer rétroactivement près de 1,97 milliard d´euros à Sonatrach, à la suite de cet arbitrage. A l´origine de ce contentieux, il y avait la demande de Sonatrach de réévaluer, à la hausse les prix du gaz de 20% en application de la clause dite «de bouleversement», prévue par les contrats de vente de gaz, à l´entreprise espagnole, et qui porte sur une révision à la hausse des prix du gaz, à chaque fois que les prix du pétrole augmentent. Par ailleurs, le groupe pétrolier algérien précise, dans son communiqué rendu public hier samedi, la clôture « de la première phase de discussions qu'elle a initiées avec ses différents partenaires, autour du développement de la coopération, du partenariat et de son renforcement futur, ainsi que de la prise en charge des préoccupations opérationnelles et contractuelles, dans le respect du cadre législatif et réglementaire». «Les nombreuses rencontres ayant réuni Sonatrach et ses partenaires, opérant dans le domaine des hydrocarbures, se sont soldées par des résultats satisfaisants et prometteurs pour toutes les parties », ajoute le communiqué, qui indique que l'italien ENI, dont une des filiales et certains de ses dirigeants, Saipem, est au centre d'une affaire de corruption que le parquet de Milan tente de démêler, reste présent dans « l'amont pétrolier et gazier » algérien. Le groupe algérien, pour écarter d'un revers de la main tout litige avec les grands groupes pétroliers, notamment européens, et pour isoler le français Total, rappelle dans son communiqué des accords et des partenariats solides avec, notamment, le norvégien Statoil, qui exploite avec BP, le site gazier de Tiguentourine, ou avec l'espagnol Cepsa, dans le bassin de Berkine, le danois Maersk, le britannique BP ou l'australien Bhp Biliton.

En clair, les partenaires étrangers de Sonatrach restent respectueux des accords et conventions pris en Algérie. Quant au français Total, il ne devrait gagner, tout au plus de cet arbitrage international, dans le cas, évidemment, d'une victoire commerciale, au Tribunal de Genève, ce qui n'est pas évident, que moins de 200 millions d'euros, selon des indiscrétions de sa direction générale à Paris.