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Partage des profits: Total demande un arbitrage international contre l'Algérie

par Moncef Wafi

Sonatrach se retrouve de nouveau engagée dans une procédure d'arbitrage international lancée par Total. Selon le P-dg du groupe pétrolier français, Patrick Pouyanné, cette action vise à contester la façon dont Alger a rétroactivement modifié le partage des profits tirés du pétrole et du gaz au milieu des années 2000. Selon le quotidien Le Monde, Total et son partenaire espagnol Repsol ont discrètement entamé en mai dernier une procédure auprès de la Cour internationale d'arbitrage à Genève après de nombreuses tentatives de «se mettre d'accord à l'amiable», a expliqué Pouyanné. Ils ont déposé ensemble une requête à Genève auprès de la Cour qui dépend de la Chambre de commerce internationale espérant obtenir un dédommagement de quelque 500 millions d'euros. Les deux compagnies pétrolières contestent le revirement d'Alger qui, à leurs yeux, a subitement changé les règles du jeu en 2006 pour mieux profiter de la hausse des prix du pétrole. La taxe sur les profits exceptionnels réalisés par les compagnies étrangères s'est concrètement traduite par des « modifications unilatérales et rétroactives » de leurs contrats. «Il ne faut rien voir de plus que la relation entre une entreprise et une partie prenante, Sonatrach. On n'est pas d'accord sur l'interprétation d'une clause, eh bien on va en arbitrage», a précisé le dirigeant de Total dans une explication de texte qui vaut une tentative de dépassionner le dossier d'autant plus qu'il intervient dans un contexte de tension dans les relations entre Alger et Paris. Car, pour nombre d'observateurs, difficile de ne pas y voir une lecture politique puisque Total est considéré comme un bras armé de la diplomatie française. Le gouvernement français, consulté, n'a pas mis son veto à cette procédure, croit savoir le quotidien français. Pourtant Patrick Pouyanné dément et affirme que son groupe a agi en toute indépendance, sans intervention du gouvernement français. «Je ne demande pas au gouvernement si j'ai le droit d'aller en arbitrage», a-t-il précisé. Un aspect éminemment politique de l'affaire confirmé par la volonté de l'ancien patron de Total, Christophe de Margerie, décédé dans un crash d'avion en octobre 2014, de lancer une procédure contre l'Algérie.

Dans un premier temps, son successeur a tout stoppé, d'autant que Paris souhaitait plutôt apaiser ses relations avec Bouteflika. Patrick Pouyanné a également indiqué que la démarche de son groupe n'est pas isolée puisque cette clause a déjà fait l'objet d'autres arbitrages avec d'autres compagnies pétrolières étrangères, favorables aux entreprises, en pensant certainement à l'américain Anadarko et au danois Maersk auxquels l'Algérie a consenti à payer, en 2012, plus de 4 milliards de dollars de compensation. En 2006, une loi instaure une «taxe sur les profits exceptionnels» réalisés par les compagnies étrangères. Dès que le prix du baril dépasse 30 dollars, ce qui est largement le cas à l'époque, celles-ci doivent acquitter un impôt supplémentaire variant entre 5% et 50% de la valeur de la production. Les compagnies réagissent de deux façons. Beaucoup d'entre elles stoppent leurs investissements en Algérie au point que les trois appels d'offres lancés par le gouvernement pour explorer le domaine minier en 2008, 2009 et 2011 se soldent par des échecs. Plusieurs entreprises attaquent en même temps l'Algérie devant des tribunaux arbitraux refusant que ce changement se traduise par une modification unilatérale et rétroactive de leurs contrats. Selon elles, les documents signés avec la Sonatrach devaient leur assurer une stabilité fiscale. Le pétrolier national doit donc leur rembourser la taxe qu'elles ont acquittée.

Quant à l'impact de cette action en justice sur l'avenir de Total en Algérie, son premier responsable relativisera en déclarant qu'«on a d'autres opérations en Algérie qui continuent». Sur place, le groupe n'emploie qu'environ 200 personnes. Toute sa production provient d'un gisement de gaz, celui de Tin Fouyé Tabankort, dont Total détient 35% aux côtés de la Sonatrach et de Repsol. L'Algérie, dont la production pétrolière a décliné de 20% en dix ans, représente seulement 1% des volumes d'hydrocarbures de Total. Le groupe participe néanmoins à un autre projet, celui d'exploitation du gisement de gaz de Timimoun où une usine est en cours de construction. Total détient 38% du projet, aux côtés de l'espagnol Cepsa et de Sonatrach.

Rappelons que le groupe pétrolier français avait été accusé d'utiliser la fracturation hydraulique en Algérie par José Bové, député européen et ex-militant altermondialiste dans un entretien publié par le journal français Libération. Selon lui, c'est d'ailleurs la seule technique possible pour extraire le gaz de schiste. Le 2 février 2015, en pleine période de manifestations contre le gaz de schiste à In Salah, Total avait démenti toute implication dans l'exploitation de gaz de schiste en Algérie.