Il est
facile de comprendre pourquoi le facteur historique a concouru aux multiples
impasses de l'Algérie de nos jours. Premièrement, la problématique de la
mémoire aurait pesé, des décennies durant, d'un poids lourd sur les épaules de
la nation, perturbant et la conscience populaire et l'esprit de nos élites.
Cela est lié, d'une part, à la nature violente et arbitraire de la colonisation
que les Algériens avaient subie dans leur chair et dignité. D'autre
part, en recouvrant l'indépendance, notre vieille garde nationaliste, alors
planquée derrière ses faux-semblants et en lutte acharnée pour le pouvoir, ne
savait pas bien où se diriger car elle traînait de nombreuses casseroles
derrière le dos : un problème identitaire très aigu cristallisé dans la haute
hiérarchie par la division entre adeptes d'Occident et ceux de l'Orient, un
rare phénomène d'acculturation-déculturation doublé d'un analphabétisme plébéien
massif, la fuite de la crème petite-bourgeoise des Pieds-noirs
par peur des représailles, le quiproquo né suite à l'exécution des Harkis, les
archives de la guerre volées et non restituées jusqu'à ce jour et, enfin,
autant de sédiments de haine laissés par les colons dans les cœurs des
Indigènes (il faut penser ici à l'inextricable dossier du tracé de nos
frontières), etc. Deuxièmement, les relations entre l'Algérie
indépendante et l'ex-puissance colonisatrice après 1962 ont été, en apparence,
jalonnées par des pics de polémiques, de frictions et des tensions ayant
toutefois camouflé derrière un géant écran de fumée la fameuse «Françalgérie», un système de magouilles et de complicités
interétatiques entre l'Élysée et notre nomenklatura!
On sait bien, par ailleurs, que quand les ressorts du corps de la société sont
soumis à une telle pression, toujours plus forte, c'est souvent l'appareil
étatique qui s'en ressent. A preuve que le couple «histoire-mémoire» ait
«bricolé», chez nous, une idylle passionnée et très influente sur le destin
national. Celui-ci s'est, la plupart des fois, conjugué au passé au lieu de
filer droit vers le futur. Nos élites fatiguées et profondément bouleversées
par «le syndrome colonial» s'y sont prêté au jeu, en tentant souvent de
«justifier tout par la faute de l'autre»! Du coup, nos
réalités sociales politiques, économiques, culturelles, etc., sont vues sous le
prisme d'un passé que 2/3 de jeunes ne connaissent pas. S'y ajoute
l'institutionnalisation de mensonge dans la gestion de la fabrique mémorielle.
L'héritage historique de la guerre de libération a été malmené ; traficoté ;
remanié et retouché de manière terriblement odieuse et irresponsable par des
cercles gouvernants aux visées étriquées.
Des zones
d'ombre, des flous et des abus sont entretenus à dessein pour «perpétuer une
mémoire de substitution» accommodante et faite sur mesure, avec d'autres
repères... d'autres symboles. On peut dire, en un mot, que notre mémoire
collective a subi deux mouvements contraires, celui émanant de la France
démocratique, laquelle l'a forcée à un «Alzheimer historique» et l'autre de
cette intelligentsia démissionnaire, la nôtre, qui lui aurait imposé «une
dictée politicienne». L'une et l'autre ont convergé, hélas, vers un seul point
: la ridiculisation du passé et la spéculation avec des coups de poker, maintes
fois, perdants.