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Relations algéro-françaises, conflits, terrorisme?: Les priorités d'Alain Juppé

par Ghania Oukazi

«Je suis en campagne, matin, midi et soir et partout, Alain Juppé est une seule personne, je suis maire de Bordeaux et candidat à la primaire,» a-t-il déclaré, hier, à Alger. S'il est président, il veut faire beaucoup de choses. «On pourrait s'interroger sur la réciprocité», a-t-il lâché, à propos de la politique des visas. «La déstabilisation de l'Algérie serait une catastrophe absolue pour nous», a-t-il avoué.

C'est sans complexe qu'Alain Juppé affirme qu'il est venu en Algérie, en campagne électorale, pour la primaire de novembre 2016, en prévision des élections présidentielles d'avril 2017. Il se sait «favori» et a même lâché que les sondages le plaçant en tête de listes des candidats potentiels, «durent depuis six mois». Son déplacement oranais et algérien, il les veut ainsi, pour engranger des voix franco-algériennes, nombreuses en France et en Algérie. L'ancien Premier ministre n'a pas été avare de déclarations, tout au long de son séjour. Après sa conférence de presse à Oran, il en tiendra deux à Alger. La première, c'était, hier, durant laquelle il a voulu partager, à l'hôtel El Aurassi, un petit-déjeuner avec les représentants de la presse. Il faut juste noter qu'exceptés trois ou quatre représentantd des quotidiens nationaux, les nombreux journalistes, au tour de sa table, étaient des correspondants de médias français accrédités en Algérie. Juppé a, tout au début de son intervention, devant les journalistes, parlé d'Oran, une ville jumelée depuis 2003 avec Bordeaux dont il en est le maire. De sa visite, à Oran, il en a évoqué «les temps forts». Sa rencontre avec son homologue, le président d'APC d'Oran, le wali, l'association Sidi Houari? «Nous souhaitons coopérer, ensemble, sur les PME, mon homologue souhaite qu'on travaille, ensemble, sur l'aménagement urbain, les espaces verts, particulièrement», a-t-il fait savoir. Il a noté qu'une rame du métro d'Oran a été baptisée «Bordeaux». Il a, par ailleurs, donné un avant-goût des entretiens politiques qu'il devait avoir, hier, avec le ministre des Affaires étrangères et a fait part de l'audience que devait lui accorder le président de la République. Il devait terminer son séjour par une troisième conférence de presse qu'il devait animée à l'Aéroport d'Alger.

«Je suis venu, en Algérie, pour montrer mon attachement à la relation franco-algérienne qui est essentielle, pour moi, pour des raisons stratégiques, les deux pays sont sur la Méditerranée, une région qui doit contribuer à la résolution des conflits en Libye, en Syrie (?), pour des raisons économiques, nos relations, dans ce domaine, sont basées sur le principe gagnant-gagnant, (?), intérêt pour le développement des PME, en Algérie, la diversification de son économie, elle a besoin d'IDE (?).»

«Vous avez une presse libre»

Juppé tient à rappeler qu' «en Algérie, nous avons près de 500 entreprises françaises qui ont créé 40.000 emplois (?)». Il parle, en outre «des raisons humaines, dans cette relation, à chaque fois, on évoque l'histoire, c'est bien, c'est même nécessaire mais il faut nous projeter sur l'avenir, nous avons beaucoup de franco-musulmans, et il n'y a pas une famille algérienne qui n'a pas au moins une personne en France». Juppé revendique «une approche commune, à propos des flux migratoires, il faut qu'on réfléchisse, ensemble, aux solutions sur le moyen et le long termes». Sur le court terme, il préfère mettre en avant la coopération, dans la lutte contre le terrorisme mais aussi la recherche de solutions pour les conflits en Libye et en Syrie.

A une question sur ce qu'il pense du pouvoir algérien et de l'après Bouteflika, il souligne «il faut distinguer les situations, vous avez une presse libre, il y a des choses à faire sur le chemin de la démocratie, mais qui n'en a pas à faire ?» Quant à l'après Bouteflika, «c'est aux Algériens d'allers vers des élections transparentes qui permettent à l'opposition de s'exprimer», suggère-t-il.

Il n'hésite pas à déclarer que «nous soutenons l'Algérie, ce n'est pas, seulement, un soutien économique, mais aux autorités politiques, motivés par des raisons stratégiques et d'énormes liens».

«La déstabilisation de l'Algérie est une catastrophe absolue pour nous»

Juppé affirme craindre une déstabilisation de l'Algérie. «Evidemment ! La déstabilisation de l'Algérie serait une catastrophe absolue pour nous», a-t-il souligné. A la question comment pourriez-vous aider l'Algérie à sortir d'une situation économique précaire, il répond d'emblée «investir en Algérie, les Chinois nous ont doublé, dans certains secteurs d'activité, mais dans d'autres domaines, nous apportons une valeur ajoutée, beaucoup d'expertise, on est compétitif». Sur le dossier des victimes des essais nucléaires français, en Algérie, il a dit «je suis prêt à en parler».

A une question sur la déchéance de la nationalité française, débat ouvert sur «tous les fronts», en France, Juppé estime entre autres, que «ceux qui veulent modifier l'article 34 de la Constitution, en estimant que c'est une grave atteinte, il faudra faire voter une loi, mais la déchéance de la nationalité ne concernera que des personnes qui auront commis des crimes terroristes et ont été condamnés par la justice». Il nuance quelque peu, les choses en soutenant que «le gouvernement lui-même a dit que cette décision était symbolique, pas réellement efficace». Il pense, cependant, que «la ligne rouge à ne pas franchir, c'est la déchéance de ceux qui n'ont qu'une seule nationalité, s'ils sont déchus de leur nationalité, ils deviennent apatrides».

Interrogé sur les informations qu'il déteindrait à propos de l'assassinat des moines de Tibhirine, Juppé répond «à l'époque, j'étais ministre des Affaires étrangères, j'utilisais les canaux officiels, sur le reste, je n'ai pas plus d'information, j'espère que la justice française pourra coopérer avec les autorités algériennes pour faire plus de lumière sur cette question».

A propos de la révision de l'Accord de 68, conclu entre l'Algérie et la France et stipulant des conditions particulières d'entrée et d'emploi aux Algériens, il avoue que lui-même l'a modifié en 93-94 «en tant que MAE, en y ajoutant l'obligation du visa et d'un certificat d'hébergement». Il va droit au but et affirme «il y a une limite (?), on pourrait s'interroger, nous, sur la réciprocité en matière d'entrée des Français en Algérie, avec la Tunisie, cette réciprocité existe». Il assure qu'il est prêt à discuter sur le sujet «sans en faire une polémique».

«(?), l'importance particulière que j'attache à l'Algérie»

Son idée sur «une émigration choisie» qu'il partage, d'ailleurs, avec Sarkozy, il veut en parler après avoir «établi une liste de pays sûrs, accéléré les procédures des demandeurs d'asile, lutté contre l'émigration clandestine, il faut la combattre, c'est un fléau». Il estime que «Frontex n'a ni les moyens matériels ni juridiques pour le faire». Il fait savoir que «nous avons, chaque année, 220 000 nouveaux arrivants en France, dont 30% d'étudiants». Pour lui «la France ne doit être ni laxiste, ni protectionniste ni pour l'enfermement».

Ses déclarations sur la crise libyenne sont d'un homme politique français de droite qui a cautionné l'intervention militaire des forces atlantiques, en Libye, sur pressions de la France de Sarkozy. «Ce qui me fascine, c'est de voir toujours le contexte historique, à l'époque de l'intervention, il y avait les printemps arabes, on nous a reproché de n'avoir pas soutenu ces mouvements et de continuer de soutenir des dictateurs». Mais il avoue qu' «après l'intervention, c'est le fiasco, c'est le chaos (?), j'espère que la France et l'Algérie pousseront à régler ce problème». Juppé veut, par ailleurs, une solution politique à la crise syrienne avec El Assad même s'il considère que «Bachar est responsable de la montée de Daesch». Les Russes, a-t-il dit « l'on sauvé, ils l'ont remis sur selle, nous, on intervient militairement contre Daesch, dans les infrastructures pétrolières, je souhaite que la transition aille vers un débat». Il pense, cependant, que «c'est une bonne chose que l'Iran soit autour de la table, malheureusement l'Arabie Saoudite ne facilite pas les choses».

Le Mali, c'est l'autre conflit qui intéresse, de très près, les politiques français. «La France a eu raison d'intervenir (?), la coopération avec l'Algérie sur ce dossier, se passe bien».

Le Sahara Occidental le laisse, selon lui, porter une attention à la relation franco-algérienne, en soutenant qu'il est pour «une solution juste et équilibrée». Mais, dit-il «le Maroc est un pays ami».

Santa Cruz à Oran et Notre Dame d'Afrique à Alger ont laissé dire à Juppé que «ça montre que c'est une relation apaisée, on devrait s'en inspirer». Il confirme que sa visite, en Algérie, est la première, en 2016, à un pays étranger. «C'est pour marquer l'importance particulière que j'attache à l'Algérie,» a-t-il dit.