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Les OMG et la science au rabais

par Henry I. Miller et Kavin Senapathy

STANFORD - Dans le paysage médiatique d’aujourd’hui, où les opinions non fondées, le battage et les rumeurs vont bon train, la méthode scientifique (les moyens par lesquels nous déterminons, en fonction de preuves empiriques et mesurables, ce qui est vrai) doit servir de pierre de touche de la réalité.

La science nous permet de mesurer l’étendue de nos connaissances et d’identifier ce que nous ne savons pas. Plus important encore, elle jette le discrédit sur les fausses affirmations faites pour des raisons personnelles ou politiques, ou du moins elle se doit de le faire.

Mais parfois quelques scientifiques « passent de l’autre côté » et délaissent la méthode scientifique (souvent pour des questions de notoriété ou de profit économique), pour produire de la propagande et semer la peur au sein de l’opinion publique qui ne dispose pas de compétences mais est toujours friande d’informations. Cet abus de l’autorité scientifique est particulièrement répandu dans les secteurs des aliments « biologiques » et « naturels », qui tirent profit de la peur éprouvée à l’égard des produits synthétiques ou « non naturels ».

Un exemple récent est celui du scientifique américain d’origine hindoue V.A. Shiva Ayyadurai, qui, avec Prabhakar Deonikar, a publié cet article que tout le monde a tourné en dérision : « Les OGM accumulent-ils le formaldéhyde et perturbent-ils les équilibres des systèmes moléculaires ? La biologie des systèmes a peut-être certaines réponses. » (Les « OGM » sont des « organismes génétiquement modifiés », une catégorie en elle-même trompeuse et souvent injustement stigmatisée, qui englobe un univers d’organismes modifiés par les techniques plus modernes et les plus précises du génie génétique.)

Bien que l’article soit apparemment passé par le processus d’examen par les pairs, un élément clé de la science légitime, il est paru dans un journal à articles payants à faible impact, Agricultural Sciences, produit par un éditeur « agressif ». Dans les jours qui ont suivi sa publication, des organisations anti-biotechnologies comme Organic Consumers Association et OGM Inside ont publié des articles à partir des « découvertes » d’Ayyadurai, assortis de titres effrayants : « Du formaldéhyde dans le soja OGM ? » et « Une nouvelle étude montre que le soja OGM accumule le formaldéhyde qui cause le cancer », accompagnés de graphiques effrayants.

Mais l’article d’Ayyadurai comporte une foule de problèmes. Son titre à lui seul suffit à montrer que quelque chose ne va pas. Si l’on estime que les OGM pourraient bien « accumuler le formaldéhyde », un produit chimique qui est probablement cancérigène à des niveaux élevés, mais est présent dans la plupart des cellules vivantes et que l’on trouve en abondance dans notre environnement, la réponse évidente consiste alors à mesurer ses niveaux dans les organismes. En revanche, Ayyadurai a choisi de faire des estimations fondées sur la modélisation à partir de la « biologie des systèmes. » La « biologie de systèmes » permet seulement de faire une prévision, pas de tirer une conclusion expérimentale. Plutôt que de réellement examiner les niveaux de tous les produits chimiques dans les usines, Ayyadurai a rentré les données dans un algorithme d’ordinateur pour prévoir les niveaux de deux produits chimiques, le formaldéhyde et le glutathion. On peut comparer cela à un météorologue qui prédirait en fonction de ses modèles qu’il fera beau toute la journée, au lieu de regarder par la fenêtre et de voir que la pluie tombe.

Comme l’a expliqué Kevin Folta, Directeur du département des sciences horticoles à l’Université de la Floride, la biologie des systèmes peut être une approche utile, quand on l’utilise correctement. Selon ses termes, la biologie de systèmes « est une manière de faire des prévisions en intégrant des données existantes, puis en en dérivant une probabilité statistique que les prévisions peuvent être correctes. » Mais il insiste sur ce fait que les prévisions doivent alors être examinées « et que l’approche par les systèmes doit être validée. »

Comme toutes les études prédictives basées sur la modélisation informatique, la validité des résultats dépend de l’intégrité des données et de l’algorithme. Si les données sont sélectionnées en vue d’étayer les conclusions désirées par celui qui opère la modélisation, ou si l’algorithme est défectueux, les résultats seront alors imprécis. Mais l’article d’Ayyadurai ne cite pas précisément les données qu’il a utilisées et il n’y a pas eu de validation du modèle.

Folta tourne brillamment en ridicule le travail d’Ayyadurai. « Si vous développez un programme informatique qui intègre des données Internet, afin de prévoir l’emplacement de Munich et que le programme vous répond carrément que cette ville se trouve dans le Golfe du Mexique, à côté de la Floride, cela ne signifie pas que Munich se trouve dans le golfe du Mexique, à côté de la Floride. » Cela signifie plutôt que vous avez fait une erreur dans votre programme, dans vos hypothèses ou dans la saisie des données, autant de choses qui sont vérifiables.

Folta explique ensuite, que décider de ne pas contester ces données et au lieu de cela de « publier une carte qui montre que Munich est carrément dans le Golfe du Mexique, en s’opposant à toutes autres données et aux déclarations quelque peu ironiques de millions d’Allemands, ne signifie pas que vous êtes brillant.
 Cela signifie que vous n’avez absolument aucune idée sur la question, ou plutôt que vous devez avoir une bonne raison de vouloir qu’une grande métropole allemande se trouve à deux heures de bateau de Tampa. »

Folta a aussi quelque chose à dire au sujet de l’éditeur d’Ayyadurai. Si vous imprimez la carte mensongère indiquant l’emplacement de Munich, « qu’est-ce que cela nous révèle sur votre intégrité au titre de source d’information fiable ? »

Dans un esprit de coopération scientifique, Folta a proposé de collaborer avec Ayyadurai sur les tests universitaires portant sur les échantillons de maïs et de soja génétiquement modifiés (et de fournir des contrôles appropriés), grâce aux analyses d’un laboratoire indépendant. Ayyadurai ayant décliné cette proposition, Folta effectuera donc lui-même ces examens.

Les données expérimentales seront bientôt publiées. En attendant, si vous rêvez de manger des Sauerbraten et des Spaetzle, dirigez-vous donc vers l’Europe centrale, pas vers le Golfe du Mexique.

Henry I. Miller, médecin et biologiste moléculaire, est chercheur en épistémologie et en politique publique à la Stanford University’s Hoover Institution. Il est l’ancien directeur fondateur du Bureau de biotechnologie à la Food and Drug Administration des États-Unis.

Kavin Senapathy est un auteur indépendant en sciences à Madison, dans le Wisconsin.