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Gouvernement : Wilayas déléguées, le grain de sable

par Ghania Oukazi

«Il nous faut un maximum de 60 milliards de dinars pour faire démarrer les dix circonscriptions administratives dans le sud du pays ».

C'est ce que nous ont fait savoir des responsables au Premier ministère bien au fait du dossier relatif à la création de nouvelles circonscriptions administratives. Décidé par le Conseil des ministres du dimanche 24 mai 2015, le nouveau découpage administratif répond en premier «à des considérations sécuritaires que l'Algérie se doit impérativement de prendre en charge, notamment au niveau de ses frontières», nous disent-ils. Il est question de fixer les populations sur des territoires qui jusque-là sont totalement vides. La création des dix nouvelles circonscriptions administratives (CA) dans le sud du pays semble avoir été décidée conformément aux orientations et objectifs portés par le Schéma National d'aménagement du territoire (SNAT) dont la loi a été adoptée en juin 2010 (parue dans le JO n° 61 du 21 octobre 2010). Conçue pour couvrir une période de 20 ans, la loi en question se veut, en effet, comme un instrument pour redessiner les territoires nationaux dont les déséquilibres en matière d'occupation sont monstrueux. « Ils sont coûteux pour la collectivité nationale et sont sources de tensions pour nos ressources naturelles », affirment les experts qui ont élaboré le SNAT. L'on relève ainsi que 63% des populations sont regroupées dans le Nord sur 4% du territoire, 28% le sont dans les Hauts plateaux sur 9% de la surface globale des sols, alors que le sud du pays s'étend sur 87% du territoire et n'abrite que 9% des populations.

La stratégie de mise en œuvre de ce schéma jugé par les spécialistes «bon, pertinent, complet et indispensable », s'appuie, disent ses concepteurs, «sur l'organisation des espaces de programmation territoriale (EPT), sur l'émergence des pôles d'attractivité (PA), sur la création des zones intégrées de développement industriel (ZIDI) et sur la création de nouvelles villes.» La concrétisation de cet ensemble « territorial » devra permettre ainsi de diffuser la croissance à travers l'ensemble du pays. Il est question de redessiner les territoires nationaux en 9 EPT à travers le Tell, les Hauts plateaux et le Grand Sud.

PREOCCUPATIONS SECURITAIRES

L'urgence s'impose aujourd'hui dans le Grand Sud qui est cerné par des frontières actuellement en feu à cause de la dégradation de la situation sécuritaire des pays voisins à l'Algérie. «La préoccupation est d'ordre sécuritaire depuis l'éclatement des crises, notamment dans la bande du Sahel et la Libye ; il y a eu un redéploiement assez important de l'armée algérienne ; il faut donc faire vite pour fixer les populations sur des territoires qui sont pratiquement sans vie ; l'Etat doit être présent, la combinaison de l'ensemble des forces militaires et civiles permettra une meilleure coordination dans la gestion de la sécurité et la préservation de la stabilité du pays », affirment des spécialistes dans les affaires sécuritaires.» Si les instances nationales chargées de la sécurité du pays mettent en avant la question sécuritaire du pays pour appuyer fortement la création de nouveaux espaces administratifs dans le Grand Sud, les spécialistes de l'aménagement du territoire et de l'environnement pensent en outre qu'il est devenu impératif de protéger les systèmes des eaux et des sols pour freiner leur dégradation entamée par les mauvais gestes de l'homme et le gaspillage mais aussi des risques majeurs qui menacent continuellement le pays. « L'assèchement des ressources énergétiques est cette autre cause pressante et pesante qui oblige à dynamiser des espaces, rationnaliser autant que possible les ressources naturelles (eau, sols?) et développer le plus rapidement possible les énergies renouvelables, l'énergie solaire étant un moyen de développement à portée de main de l'Algérie », expliquent des spécialistes. Ces derniers notent avec pertinence que «cinq longues années sont déjà passées depuis l'adoption de la loi portant SNAT, sans que rien n'ait été fait alors que le schéma doit être exécuté sur 20 ans (horizon 2030), une période jugée conséquente pour mettre de l'ordre dans les territoires et rééquilibrer l'occupation des sols avec tout ce que cela exige comme moyens humains, naturels et matériels.» Des institutions refusent même de se référer à ce schéma parce que, pensent leurs responsables, «il a été conçu pour des intérêts strictement personnels que seul Cherif Rahmani (alors ministre de l'aménagement du territoire) connaît et peut en cerner l'importance. »

LES NUANCES DE SELLAL

Pour un début d'exécution du SNAT décidé il y a à peine quelques mois, c'est l'argent qui manque le plus en ces temps d'austérité qui pèsent sur le pays à cause de la chute du prix des hydrocarbures. « Il nous faut un maximum de 60 milliards de dinars pour faire démarrer les nouvelles circonscriptions administratives » est un propos qui cache mal les inquiétudes du gouvernement à pouvoir financer ce qu'il a projeté de faire en matière d'équipements et d'infrastructures. Ceci même si le 1er ministre a tenu, samedi dernier lors de sa visite de travail dans la wilaya d'Alger, à nuancer les difficultés financières en soutenant que «ce n'est pas de l'austérité mais une rationalisation des dépenses publiques.» Ce qui est certain est que le gouvernement n'a pas anticipé cette chute drastique des rentrées financières du pays. Il y a à peine deux années, il avançait d'importantes rallonges financières à chaque fois qu'il se déplaçait dans une wilaya. « Nous avons de l'argent », répétait-il sans cesse.

Les 60 milliards « maximum » qu'il lui faut aujourd'hui pour faire «démarrer » les dix nouvelles CA dans le sud du pays, le pousse à réfléchir à de nouveaux mécanismes de financement. « C'est mal tombé à cause des contraintes budgétaires », avouent nos interlocuteurs. C'est d'ailleurs le cas pour amortir les incidences sonnantes et trébuchantes de l'abrogation de l'article 87 bis sur les bas salaires. Le 1er ministre nous a fait savoir, samedi dernier, que cette revalorisation des salaires (catégories de 1 à 10), coûtera au Trésor public 54 milliards de dinars. Entre l'un et l'autre montant, il est urgent de trouver «des combines ou des astuces pour que le gouvernement puisse honorer ses engagements», nous disent des responsables. Le choix de la création de CA et non de wilayas «à part entière» montre, si besoin est, que «l'Etat ne peut faire plus dans cette conjoncture.»

Entre autres instructions, le 1er ministre a instruit aux autorités locales des 8 wilayas du Sud devant accueillir les nouvelles circonscriptions administratives à savoir Adrar, Biskra, Béchar, Tamanrasset, Ouargla, illizi, El Oued, Ghardaïa, de récupérer les anciennes bâtisses pour en faire les sièges. Il n'est donc pas question d'en construire de nouveaux. Il est même soutenu que « les wilayas concernées doivent coordonner leurs efforts avec les nouvelles CA pour éviter tout gaspillage de quelque ordre qu'il soit.» Les walis délégués qui seront chargés de diriger les nouvelles entités détiennent, selon nos sources, «80% des prérogatives des walis territorialement compétents. » Leur responsabilité est entière -ou presque- pour donner vie à des espaces quasiment inertes.

QUAND AUSTERITE EST CONFONDUE AVEC GASPILLAGE

La feuille de route pour les nouvelles CA est ainsi tracée, l'austérité étant le mot-clé pour tout besoin financier. Il est en principe question de placer « les compétences » qu'il faut pour faire démarrer les dix CA sans trop de retard ni de difficultés. En attendant que d'autres CA soient décidées pour les Hauts plateaux en 2016, il est attendu que celles du Sud se mettent en action dès la rentrée. Le mouvement des walis qu'on avance pour «bientôt» viendra confirmer la nécessité de donner un fort coup de starter à ce projet. Mouvement qui, faut-il le dire, à pris plus de temps qu'il lui en faut tant les besoins en matière de fonctionnement des administrations se font pressants. Il était question de « reprendre » la liste des changements établie par Taieb Belayz jugée totalement « erronée ». L'on avance que l'ancien détenteur du portefeuille de l'Intérieur et des Collectivités locales avait prévu de mettre à la retraite une trentaine de walis et les faire remplacer par des magistrats?

La chute du prix des hydrocarbures devra obliger les gouvernants à être regardant sur le détail de fonctionnement des institutions de l'Etat. Il est clair que beaucoup doit changer dans le choix des hommes, le train de vie de l'Etat et sa manière de gouverner. Samedi dernier, Abdelmalek Sellal a visité la wilaya d'Alger à bord d'un cortège de près d'une quarantaine de voitures sans compter les 6 bus qui transportaient le nombre effarant de représentants des médias. Beaucoup de personnes qui étaient dans le cortège n'avaient aucune raison d'y être sauf peut-être pour la frime. Même ramadhan et un soleil tapant fort n'ont pas eu raison de cette mentalité qui veut s'afficher devant les responsables « encore debouts ». L'austérité qui s'impose à l'Algérie ne semble pas avoir un quelconque pouvoir pour changer cette culture du paraître qui empêche de s'émanciper. La fanfare, tambours battants et clarinettes, représentants de la société civile, scouts, corps de sécurité confondus, moteurs vrombissants grands consommateurs de carburants, gyrophares et sirènes stridentes, brouilleurs de systèmes télécoms, sous les regards de nombreux badauds, rues et quartiers bloqués, longues attentes des journalistes devant les points à inspecter avant l'arrivée du 1er ministre, journalistes couvrant des points et pas d'autres parce que justement le cortège officiel est bien plus rapide que les bus... Des habitudes qui ont longue vie sans qu'aucun responsable n'en soit dérangé. La gouvernance a pourtant ses règles bien définies.