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Les massacres de la France coloniale, encore et toujours

par A. Mallem

De nombreux participants au colloque sur les massacres coloniaux ont accueilli avec beaucoup d'intérêt les contributions aux débats qui ont été faites par des historiens américains et des historiens anglais qui se sont mis à l'étude de l'histoire de l'Algérie coloniale. A ce titre, les organisateurs du colloque ont eu la main heureuse en invitant à cette manifestation deux auteurs majeurs : William Galois, un jeune historien anglais, et Benjamin Claude Brower, un historien américain. Et la communication faite par ce dernier a même été considérée comme la meilleure et la plus originale du cycle de conférences qui ont été données pendant les trois journées de l'étape de Constantine de ce colloque itinérant. L'historien américain a pris comme objet d'étude la pénétration française au Sahara, et il a montré à travers celle-ci, les atrocités, les massacres commis aux dépens des Algériens durant les 20 premières années de la conquête du territoire algérien. D'autre part, M. Brower est en train de préparer un autre travail de la même veine sur le thème du Hadj au 19ème siècle pour montrer comment le colonialisme français a utilisé les caravanes des pélerins pour assurer son emprise sur la religion. « L'intérêt de ces auteurs américains et anglais, nous dira M. Hosni Kitouni, écrivain et chercheur en histoire de l'Algérie, c'est qu'il nous ouvrent des fenêtres, des portes et ils ouvrent ainsi des horizons nouveaux parce qu'ils sont allés à la source de l'histoire, c'est-à-dire les archives de première main qu'ils ont consultées dans leurs pays respectifs ; ils les ont étudiées et ils nous apportent une clarification que les historiens français refusent d'apporter à cette histoire de la colonisation.

Nous avons donc jugé intéressant de poser à M. Benjamin C. Brower quelques questions sur son intéressement à la colonisation française en Algérie et sur le centre d'intérêt de ses études.

« Je voulais faire lecture de quelques massacres faits pendant les 20 premières années de l'occupation française de l'Algérie afin de faire connaître quelques vérités sur les massacres perpétrés par la soldatesque coloniale, notamment à Blida, les enfumades du Dahra, etc., commença-t-il à nous expliquer. J'ai voulu faire cette étude d'un point de vue théorique et conceptuel pour repenser la question et la relation entre la violence et le pouvoir politique. Parce que ce qu'on voit dans ces massacres, c'est qu'ils n'avaient aucun but militaire. Pourquoi tuer des femmes, des enfants et des vieux qui ne sont pas dangereux ?, me suis-je dit. Mon argument est qu'ils avaient un but politique qui n'était pas tout à fait évident si l'on en fait une lecture normale. C'est-à-dire qu'ils étaient juste destinés à terroriser les gens. Mais je voulais quand même montrer l'impact qu'ils avaient comme violence symbolique, pour voir l'effet que produit la violence sur des institutions symboliques, comme la langue. Et à ce titre, le mot qui m'a intéressé le plus et qui est très important en Algérie coloniale, c'est le mot « Indigène », qui était devenu un nom propre. Aux XIXème et au XXème siècles, les algériens étaient connus comme des indigènes. A l'origine, ce nom était inoffensif dans la langue française, en ce sens qu'il signifie simplement « les gens du pays ». Mais dans la colonisation, il a pris une résonance très importante et très péjorative et voulait signifier des gens qui sont très archaïques, ceux qui font partie de la faune sauvage du pays, comme de l'herbe qu'il faut brûler, éradiquer. Et c'est surtout dans ce concept que je veux théoriser la violence coloniale de manière tout à fait originale ».

Et de continuer en indiquant qu'à l'époque on se posait « la question indigène », qui signifie, grosso modo, qu'est-ce qu'on fait avec les Algériens. Et les politiques français ont fait référence à l'expérience des colons américains vis-à-vis des Indiens peaux rouges. Et ils ont développé leur pensée dans un contexte très important, celui de l'œuvre littéraire de l'auteur américain James Fénimore Cooper : « le dernier des Mohicans ». Et ils se sont dit alors qu'on peut faire la même expérience et espérer voir « disparaître » les Algériens, comme les Mohicans, jusqu'au dernier. Et c'est comme ça que les colons français espéraient résoudre « la question indigène ».

Questionné sur l'actualité des relations mouvementées entre la France et l'Algérie à propos de cette question de la mémoire, sur la question de la repentance, cet historien texan venu du Département of History du Collège of Libéral Arts de l'université du Texas à Austin, celui-ci répondra : « Je ne suis ni français, ni algérien et je peux parler d'une façon neutre.

Aussi, je pense que cela serait très utile pour les deux sociétés de dépasser cette question et aller de l'avant pour avancer dans d'autres voies, comme les questions de l'émigration, de l'Islam en France qui subissent un blocage total. Et c'est aussi dans l'intérêt des deux peuples que les blessures de la colonisation et de la guerre se referment complètement ».