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Sidi El Houari : Une larme, un cri... un classement

par Bencherif Saliha *

Blocs de pierre à conjugaison intemporelle, immeubles agonisants dérivés de l'ironie du temps en quête d'un sursaut salvateur, Sid el Houari, quartier baptisé au nom du saint Patron Sidi El Houari, transcende le passé et se joue du présent. Tissu hybride, réunissant en son sein architecture séculaire à l'allure altière et arrogante à l'usure du temps, souvent évoqué et décrit dans les rencontres et les écrits, au gré de nos regards compatissants ou critiques, faisant échos à nos émois dictés de nos propres trajectoires.

Passions pour une ville plurielle, figée dans les méandres de l'histoire, stigmates du temps qui créa les formes et les contours d'un vieux centre autrefois réclamé, objet du débat aujourd'hui, le classement enfin proclamé d'un patrimoine tant de fois espéré.

Ville d'un autre temps, ville d'un temps rebelle, théâtre de luttes et de combat, conjurant le temps, métissant les êtres, les cultures, les statuts, croisant les savoir-faire, les histoires, les langues, les terroirs, les fers et les pierres, le bâti, le non bâti, le matériel et l'immatériel, offrant au rythme de nos pas, pour peu qu'on déambule dans ses rues, son authenticité et sa sensibilité.

Le ravin de ras el Aïn fut le premier gîte des musulmans. Les andalous posent les premières pierres sur le versant « est » de la montagne Murjadjo, refuge naturel contre les vents, à la croisée de l'oued R'hi dont l'eau nourrit la population, les moulins et les jardins, plantant le décor aux autochtones berbères, puis aux fatimides, almohades et almoravides. De ces œuvres, nul vestige apparent.

L'histoire tumultueuse de deux siècles de croisades espagnoles nous laisse comme traces vivaces des forteresses taillées dans les pierres de carrières de Ras el Aïn par les génies militaires qui se succèdent. Avec la ville espagnole la « Blanca » et le faubourg la Marine, les travaux de défense se multiplient liant le château-neuf aux forts saint André et Saint Philippe.

Premières occupations d'un plateau disputé aux tribus locales berbères, et aux incursions ottomanes qui se réapproprient le site en 1708 et nous laissent les vestiges d'un palais, d'un harem, d'une cour de justice encore aujourd'hui visibles dans la casbah-citadelle, expression d'une singularité dont nul doute n'est permis.

C'est sous l'empire des ottomans en 1792 que la ville franchit l'oued, dotant la ville d'ouvrages spécifiques uniques : la mosquée du pacha, la mosquée de la perle, le mausolée et la mosquée Sid el Houari, les bains, le tribunal, ainsi que quelques maisons ottomanes miraculeusement préservées mais néanmoins menacées dans le tissu supérieur de la Blanca.

C'est à cette période que les juifs seront installés par Mohamed el Kebir, sur le versant ouest de la ville, donnant naissance au quartier juif « Derb Lihoud » dont le lotissement n'est que l'expression et l'empreinte des anciens jardins qui occupaient les flancs de la ville.

Sous la colonisation française, la ville du ravin se garnissait de constructions sur les deux versants, forgeant la ville d'hier, d'aujourd'hui et de demain, où l'autochtone que nous sommes reste témoin et victime d'une histoire, et bénéficiaire d'un patrimoine bâti, et acteur d'une ville héritée en marge de l'horloge du temps.

LA VILLE DU PLATEAU DE KARGUENTAH

Pétrie et façonnée par les conjointures spécifiques au lieu, la vieille ville de Sid el Houari se meut sous la pression démographique et comme toutes les villes post-industrielles, ce sont les populations les moins fortunées qui s'installent sur le plateau, hors de l'enceinte. Le sud de la ville abrita la population autochtone (Médioni, Lyautey, Lamur et Sananes) prolongeant le village des « jaliss » dit « nègre ». Ce n'est qu'en 1866, lors du déclassement de la deuxième enceinte, que la ville déborde sur le plateau, créant la ville nouvelle sur le tracé des villes occidentales.

Cette croissance va engendrer néanmoins de graves problèmes d'urbanisme (insalubrité, déficience des réseaux routiers et égouts, distribution d'eau, éclairage, inexistence de marchés?) que le label de la modernité tentera de résoudre.

Un riche tissu urbain se met en place, alignant avenues, boulevards, rues et places bordées d'immeubles électrifiés complètent le tableau de notre chère ville héritée.

SID EL HOUARI, PATRIMOINE - HIER, AUJOURD'HUI, ET DEMAIN

La notion de « patrimoine » vient du latin « pater », le père. Il s'agit au départ de ce que le père transmet aux générations qui lui succèdent.

F. Choay, dans son livre allégorie du patrimoine, définit plus clairement cette notion comme « une accumulation continue d'une diversité d'objets, issus des travaux de tous les savoir-faire humains (?) renvoyant à une institution et une nationalité ».

Jusqu'au XIXe siècle, le patrimoine bâti et les monuments historiques avaient le même sens. Aujourd'hui, le cadre du patrimoine bâti s'est élargi et l'on distingue monuments, monuments historiques et ensembles urbains comme des composants différenciés du patrimoine.

Ruskin avec Morris sont les premiers à inclure les ensembles urbains. Pour Ruskin, cette mémoire s'adresse à tous les hommes ; pas seulement à la communauté qui l'a érigée : universalité de la valeur des œuvres humaines.

La vieille ville de Sidi El Houari a-t-elle besoin d'une « virginité » historique pour prétendre à classer son patrimoine. Faut-il la confesser de toutes les colonisations pour reconnaître son héritage ? Jeter la pierre au quartier originel nous absout-il de notre propre égarement.

Le classement de Sid El Houari est le fruit d'un engagement et d'une lutte de tous les instants auxquels nombre d'oranais, historiens, chercheurs universitaires, associations ou simples citoyens ont contribué. Le classement d'autres sites ou édifices est à souhaiter et exige d'autres volontaires, car le parcours est tout sauf une sinécure.

Les réfractaires à la protection de Sid El Houari cristallisent les frustrations d'une recherche légitime d'un soi consenti à un défi exprimé au devenir d'un quartier mère menacé. L'opposition classique d'un présent sublimé à un passé par le temps desservi est un débat somme toute attendu.

La modernité comme expression progressiste d'une société affranchie d'une posture culturaliste relève d'une vision chimérique, signature de l'échec de l'urbanisme moderne.

L'identité colorée par le sang signifié, sont les travers de jugement trop souvent répandus mêlant culture identité et lieu.

La comparaison erronée d'un quartier sublimé de riches strates composées à de médiocres habitats précaires des années 1970, où la misère est concentrée, dénote d'une volonté affichée à dénigrer des algériens aujourd'hui «iciser » dans le quartier suscité.

* Enseignante maître assistante-Master Patrimoine et doctorante, département d'architecture - USTOMB