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Le jour du drone

par Rachel Finn * et David Wright **

LONDRES – Les drones, semble-t-il, ont soudainement envahi le monde. Ils étaient au cœur de l’intrigue de thrillers télévisés américains comme 24 et Homeland, ont été présentés comme une option de livraison possible par le géant de la distribution en ligne Amazon.com, sont intervenus dans les zones sinistrées en Haïti et aux Philippines, et ont survolé de manière menaçante les centrales nucléaires françaises. Cette technologie autrefois secrète est devenue quasiment omniprésente.

Alors que les décideurs politiques aux États-Unis et en Europe se sont engagés à ouvrir l’espace aérien civil aux drones non-militaires, l’avion sans pilote va devenir de plus en plus fréquent. Il est donc crucial que les défis sans précédent qu’il présente pour les libertés civiles et la vie privée soient rapidement identifiés et solutionnés.

Tout d’abord, les drones sont en train de changer de façon significative la façon dont les données sont collectées. Jusqu’à présent, la plupart des drones civils ont été équipés uniquement avec des caméras haute résolution, offrant aux policiers, équipes de recherche et de sauvetage, journalistes, cinéastes et inspecteurs agricoles et d’infrastructure une vue d’ensemble de leur environnement. Mais cela est sur le point de changer. Les fabricants font des expériences avec des drones qui peuvent recueillir des images thermiques, fournir des services de télécommunications, prendre des mesures environnementales et même lire et analyser des données biométriques. En outre, certains opérateurs se sont intéressés à la collecte de « big data », en utilisant une gamme de capteurs différents en même temps.

En même temps, les drones deviennent plus petits, ce qui leur permet de s’infiltrer dans des espaces qui seraient normalement inaccessibles. Ils peuvent regarder au travers des fenêtres, voler dans les bâtiments et s’asseoir dans un coin ou d’autres petits espaces sans être détectés. Leur taille et leur silence signifient qu’ils peuvent être utilisés pour de la surveillance discrète, soulevant des inquiétudes concernant les possibilités d’espionnage industriel, de sabotage et de terrorisme. Le prochain drone qui survolera une centrale nucléaire française pourrait être trop petit pour être remarqué.

Le prix des drones est lui aussi en chute libre. Un modèle de base peut être d’ores et déjà déployé pour à peine quelques centaines de dollars. Les exploitants commerciaux, qui veulent maintenir de bonnes relations avec la clientèle, ont un intérêt à utiliser les drones de manière responsable. Or, les particuliers sont susceptibles d’avoir moins de scrupules à les utiliser pour espionner les voisins, les membres de la famille ou le grand public.

Il faut agir. Cependant, bien que les implications pour la vie privée de petits drones omniprésents, à bas prix, équipés pour recueillir un large éventail de données, soient évidentes, la réponse appropriée ne l’est pas. Les interdire purement et simplement priverait la société des nombreux avantages que les drones ont à offrir, depuis leur utilisation pour des tâches dangereuses, sales ou abrutissantes, jusqu’à leurs faible coûts d’exploitation et de maintenance par rapport aux avions habités.

Utiliser des drones pour la pulvérisation des cultures, la surveillance de la pollution, ou la plupart des opérations de recherche et de sauvetage ne suscitera probablement pas de graves préoccupations. Mais ce n’est évidemment pas le cas d’autres applications, notamment par la police, des journalistes et des citoyens privés. Etant donné la grande variété d’applications potentielles de la technologie, il est presque impossible de les réguler au moyen de la seule législation. Au lieu de cela, les parties intéressées à tous les niveaux doivent évaluer l’impact potentiel sur la vie privée, la protection des données, et l’éthique au cas par cas.

Les opérateurs de drones bien intentionnés doivent examiner attentivement la façon dont leurs activités pourraient violer la vie privée et enfreindre des libertés civiles, et ils devraient prendre des mesures pour minimiser ces effets, en utilisant – au maximum de leurs capacités – les outils existants, tels que les évaluations d’impact sur la vie privée. Les autorités de protection des données, les organisations de la société civile et les agents de protection de la vie privée dans les entreprises et les organismes publics devraient publier des lignes directrices sur l’utilisation de drones, comme ils l’ont fait pour d’autres technologies existantes et émergentes. Les lignes directrices régissant l’utilisation des télévisions en circuit fermé pourraient servir de bon point de départ – mais doivent être complétées pour tenir compte des différents types de données qu’un drone peut recueillir.

Les fabricants de drones doivent jouer leur rôle également, y compris en fournissant des orientations pour aider les utilisateurs – en particulier les citoyens privés – à exploiter leurs produits dans les limites de la loi. Des numéros de série devraient être prévus, de sorte à ce que les drones soient traçables. Les autorités civiles devraient compléter ces efforts en réfléchissant comment la législation existante dans les domaines de la vie privée, de la protection des données, de l’intrusion et du harcèlement pourraient être utilisée pour poursuivre les opérateurs qui enfreignent les droits de l’homme. Enfin, les compagnies d’assurance peuvent fournir les bonnes incitations en explorant le potentiel de marché découlant de la responsabilité en cas de mauvaise utilisation ou d’accidents.

Le défi est à la fois urgent et complexe. Les droits des citoyens doivent être protégés avant que le marché, et les drones eux-mêmes, ne décolle vraiment.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

* Est analyste de recherche principal à Trilateral Research, Consulting, où elle mène des recherches sur la vie privée, la protection des données et les questions éthiques pertinentes aux nouvelles technologies.

** Est Managing Partner à Trilateral Research, Consulting et l’auteur de Surveillance in Europe