L'immédiate et exceptionnelle mobilisation citoyenne en Europe après l'annonce de l'horrible attentat terroriste à Paris arrivera-t-elle à éviter le piège de l'affrontement interreligieux tendu par les terroristes ?

Quelques heures seulement après le terrible drame qui a frappé l'hebdomadaire satirique français « Charlie Hebdo », une foule innombrable se réunissait devant le Parlement européen à Bruxelles, sur la place du Luxembourg. Des pancartes portant la phrase de ralliement de centaines de milliers de gens à travers le monde étaient brandies à bout de bras « Je suis Charlie ». L'exceptionnelle rapidité de la réaction des citoyens européens, y compris celle de l'impression et de la diffusion des pancartes et banderoles « scandant » l'appel au ralliement pour la défense de la liberté d'expression - et de conscience - traduit toute la dignité des peuples épris de liberté face à l'horreur et la lâcheté des terroristes et leur volonté de ne pas céder à la peur, au chantage et le piège de « l'affrontement » intercommunautaire et interreligieux tendu par les promoteurs de la haine, du racisme et de la violence.

A Bruxelles, les musulmans ont tenu à marquer leur indignation, leur colère, leur douleur face à la folie meurtrière des terroristes au nom de l'islam. « Nous sommes pris en otage par une secte de fous et nous ne savons pas comment nous sortir de ce piège », nous a dit Hassan, responsable d'une mosquée à Bruxelles. Beaucoup cachaient difficilement une grande émotion : « nous pensons d'abord aux victimes de la tuerie et leurs familles ». Et hormis quelques réactions limitées en France, comme le jet de projectiles ou le tag de quelques lieux de culte musulmans, dans la quasi-majorité des pays européens les rassemblements où se sont mêlés des musulmans sont restés fiers, calmes, dignes, solidaires face à la barbarie de l'intégrisme islamiste. Et les plus hauts responsables européens ont appelé, après les condoléances aux victimes, leurs familles et au peuple français à la vigilance et à éviter les pièges des amalgames.

Du président du Conseil de l'Europe, à celui de la Commission européenne, à celui du Parlement européen, au secrétaire général de l'Otan, aux chefs de groupes parlementaires européens, aux responsables des cultes musulman, chrétien, judaïque, tous ont appelé à ne pas se laisser prendre au piège des terroristes qui consiste à dresser les communautés les unes contre les autres, à ne pas accabler davantage les musulmans déjà victimes de l'invective et du racisme cultivé par les organisations et partis extrémistes. C'est que la barbarie assassine qui a frappé « Charlie Hebdo » coïncide avec une vague d'islamophobie dans certains pays européen : en Allemagne avec les manifestations de groupuscules nazis partis de la ville de Dresde, jusqu'à Berlin, deux jours avant le drame de Paris. La veille, à Bruxelles, le polémiste français Eric Zemmour était invité par une commune bruxelloise pour présenter son essai « Le suicide français », tandis que l'écrivain « énigmatique » Michel Houellebecq faisait la promotion de son livre « Soumission » sur quelques plateaux de télés françaises.

Des communiqués et appels au boycott de la conférence d'Eric Zemmour ont mobilisé des Bruxellois. Houellebecq a suspendu la promotion de son roman. Conclusion : ces deux illuminés obsédés par la présence musulmane en Europe avouent que leurs écrits ont quelque chose à voir avec la surenchère raciste et islamophobe en Europe. S'ils ont tout à fait le droit de dire et d'écrire leur obsession de l'islam, des Arabes et des Maghrébins en particulier, ils doivent assumer la responsabilité des conséquences de leurs écrits. Comme les intégristes islamistes qui génèrent la haine par le mensonge et la manipulation des textes religieux, les écrivains, essayistes et autres éditorialistes hantés par l'idée de pureté raciale et la peur de l'étranger doivent assumer leurs mensonges, leurs manipulations des chiffres, des faits historiques, de la précarité sociale de franges entières de la société européenne.

L'horrible drame qui a endeuillé la France n'est pas le produit du néant : il est la conséquence de beaucoup de haine distillée par les tenants de « l'affrontement des civilisations ». Alors que la douleur et le deuil des familles des victimes de « Charlie Hebdo » sont encore vifs, des monstres de la manipulation parlent déjà sur les réseaux sociaux du drame de Paris comme une manipulation des services secrets français, israéliens, comme au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 qui ont endeuillé l'Amérique. « C'est un 11 septembre français » que l'attentat de mercredi à Paris, estiment certains observateurs. On sait la suite des attentats du 11 septembre 2001 sur le monde arabe en particulier. Espérons que le monde ne tombera pas deux fois dans l'effroyable piège de la vengeance aveugle et de la violence par la violence.