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Leur marche sur la capitale empêchée : Des centaines de «patriotes» rassemblés à Boufarik

par Tahar Mansour

Pour celui qui ne connaît pas la ville de Boufarik, tout paraissait normal, durant la matinée d'hier, lundi, sauf peut-être, un peu plus de gens que d'habitude, mais comme c'est lundi, jour de marché hebdomadaire, c'était tout à fait normal. Pourtant, à la cité «Dallas», juste devant la Maison de Jeunes, il y avait foule.

Des centaines d'hommes, pauvrement vêtus, pour beaucoup, l'air avachi pour d'autres, mais tous avaient le visage fermé, le regard coléreux et le verbe enflammé. Ils sont là depuis près d'une semaine mais, hier, ils étaient de plus en plus nombreux et arrivaient par vagues entières, tous avec cet air déterminé qui en disait long sur leur volonté de ne reculer devant rien. Ces centaines, voire ces milliers de personnes sont des patriotes venus de quelque 31 wilayas, à l'appel de leurs représentants nationaux, afin de participer à une marche vers la Capitale, pour revendiquer leurs droits sociaux dont ils se disent privés, depuis toujours. Dès qu'ils ont su que nous journalistes étions là, ils nous ont entourés. L'un d'eux a pris la parole pour reprendre, comme une litanie, la lecture des revendications de tous ces gens qui ont pris les armes pour défendre l'Algérie, quand le pays s'est retrouvé seul, face à lui-même. D'ailleurs, à ce jour, nous apprenons que beaucoup d'entre eux se trouvent, toujours, dans les montagnes «klash à la main» pour combattre les terroristes qui constituent, encore un danger pour le pays. Ils ont presque les larmes aux yeux, en évoquant leurs peines, leur misère : «au moment où d'autres ont bénéficié de tous les avantages», affirment-ils. Ils racontent tout ce qu'ils ont enduré, durant la décennie noire, puis après, sans que personne se souvienne d'eux : «beaucoup d'entre nous sont handicapés moteurs, d'autres souffrent en silence de maladies chroniques contractées dans les montagnes, nombreux sont, aussi, ceux qui sont morts laissant veuves et enfants qui ont vécu dans une misère noire», nous ont-ils confié. Pour hier, ils étaient décidés à marcher jusqu'à Alger : «nous voulons rencontrer des responsables, même le président, et qu'ils nous disent si nous n'avons aucun droit, nous retournerons chez nous et nous continuerons à mourir de faim et de maladie, mais si nous sommes des Algériens comme les autres, qu'on nous donne nos droits, nous ne demandons pas plus», ont-ils confié. Après le grand rassemblement, les banderoles sont sorties puis portées, haut, dans le ciel. La procession, longue de plusieurs centaines de mètres s'est ébranlée. A Boufarik, il y avait une circulation monstre et les automobilistes essayaient de s'en sortir en empruntant les ruelles encombrées, klaxonnant, à tout va, et pestant contre ce nombre trop important de véhicules en circulation. Il était un peu plus de 14h quand les patriotes, certains âgés de près de 70 ans, originaires de presque toutes les régions d'Algérie, ont commencé à marcher, se dirigeant vers l'autoroute Est-Ouest. Des centaines, puis des milliers de véhicules, de tous tonnages, ont été obligés de s'arrêter pour permettre à ces vagues humaines d'emprunter l'autoroute, à leur place. Il y avait un cafouillage inouï de voitures qui tentaient de trouver par où se dégager et ne pas rester bloquées, sans possibilité de rebrousser chemin ou de continuer leur route. Des voitures de police et de gendarmerie étaient garées au bord de l'autoroute, mais ont regardé les protestataires passer sans intervenir. Pourtant, à quelques kilomètres de leur point de départ, les patriotes en marche se sont retrouvés face à un impressionnant dispositif de sécurité, constitué de gendarmes du groupement d'intervention.

La confrontation a été évitée de justesse, grâce à des sages qui ont engagé des pourparlers avec les représentants des pouvoirs publics. Des patriotes ont été choisis par leurs camarades pour les représenter aux pourparlers que le ministère de l'Intérieur a proposés. Les autres, tous les autres, étaient encore, en fin d'après-midi sur les bords de l'autoroute, à attendre les résultats des négociations, avec le ministère : «nous sommes là et nous le resterons jusqu'à obtention de tous nos droits, nous ne pouvons plus reculer, maintenant» ont-ils ajouté. Même si le soleil a fait sa réapparition, hier, lundi, le froid était intense, sur l'autoroute, en face des monts de Chréa où la neige est tombée, il y a à peine deux jours. L'attente risque d'être longue si des accords rapides ne sont pas conclus entre les deux parties.