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Ce que dit Novembre

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

A la commémoration de chaque moment symbolique de notre histoire, il y a comme une indifférence qui semble gagner en particulier la jeunesse. Les 5 et 17 Octobre sont passés et le 1er Novembre nous attend.

Octobre. Le 5, le 17 puis Novembre, le 1er. Ils reviennent à nous à chaque automne avec, à chaque retour, un peu plus méconnaissables, un peu moins de souvenirs. Ils s'éloignent à petits pas dans nos mémoires pour ne devenir qu'une date, rien qu'une date sans autre signification que celle d'un jour habituel du calendrier. A Alger, le 17 Octobre est passé en silence, marqué la veille par le rassemblement des policiers en grève campés devant le siège de la présidence de la République. A Paris, l'Ambassadeur d'Algérie et la maire de Paris ont déposé une gerbe de fleurs sur le pont Saint Michel à la mémoire des Algériens assassinés et noyés dans la Seine, il y a de cela 53 ans. Paris se souvient encore, Alger oublie un peu.

Le 5 Octobre aussi. Ce jour de 88 qui a fait passer l'Algérie au multipartisme et l'espoir démocratique en sacrifiant plus de 500 de ses enfants. Un tournant dans l'histoire de l'Algérie indépendante effacé lui aussi de la mémoire collective du pays. Quelques journalistes tentent, chaque année, d'honorer par la plume les martyrs du 5 Octobre pour le vent de liberté qu'ils ont soulevé.

La Mémoire du pays, elle, ne répond plus. Bientôt le 1er Novembre. La journée sera chômée et payée, les cimetières des martyrs seront visités par les « responsables locaux » et le chef de l'Etat se rendra au sanctuaire des martyrs sur les hauteurs d'Alger pour y déposer une couronne de fleurs. La télévision montrera cette journée de visites aux cimetières. Rituel d'un jour et puis s'en va. Pourquoi Octobre et Novembre qui ont fécondé le pays ne le font plus rêver, ne le projettent plus sur des lendemains ambitieux, ne lui gonflent plus la poitrine de ce sentiment de fierté et d'estime de soi ? Entre les survivants de Novembre 54 et la jeunesse d'aujourd'hui, un immense désert. Le regard fixé sur un ailleurs, au-delà des mers et océans, la jeunesse écoute Novembre 54 comme une fiction, un conte. Pourquoi ? Qui nous pousse progressivement à l'amnésie et pour quel but ? Et si la mémoire avait pour autre fonction celle de la prémonition ? L'adage dit « connaître son passé pour mieux préparer son avenir ». La mémoire n'est donc pas ce simple souvenir du passé. Elle est le présent de chaque jour vécu et sur lequel nous bâtissons le projet du lendemain. Elle nous sert à prévenir l'avenir des menaces et accidents éventuels. La Mémoire a un Avenir. Elle n'est, en réalité, que cela. Elle est entretenue par une ambition, des projets, des rêves et de l'espoir. Pour que Novembre 54 soit un avenir avec du sens, il faut lui rendre au présent, aujourd'hui, ses promesses d'hier, celles d'habiller l'Algérie du souffle permanent de la liberté, de l'égalité, de la solidarité, de la justice sociale et celle des droits humains. Il nous faut rendre l'héritage de Novembre aux enfants d'Algérie. Ainsi, la foi dans les idéaux de Novembre devient entière et sa mémoire perpétuée de génération en génération. Les commémorations ne seront plus ce rituel d'un jour que les jeunes regardent comme une « fête » qui ne les concerne pas. Une Algérie plus démocratique et plus juste réhabilitera tout son sens à Novembre 54 et sa mémoire.