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Une nouvelle opportunité pour les mamans high-tech

par Naomi Wolf *

NEW YORK - Deux femmes hautement qualifiées, ayant à elles deux quatre bébés et enfants en bas âge, ont peut-être trouvé un équilibre idéal entre leur vie professionnelle et leur vie de famille. Il semblerait bien que PowerToFly ait réussi ce prodige : la nouvelle start-up leur trouve des emplois dans le monde entier dans les métiers technologiques, avec des horaires flexibles et avec la possibilité de travailler à distance.

Les deux femmes à la tête de cette entreprise ont une solide expérience dans la presse, les médias sociaux et la technologie : Katharine Zaleski est l’ancienne directrice exécutive du Washington Post numérique et la première rédactrice en chef du Huffington. Milena Berry est l’ancienne Directrice technique d’Avaaz.org, la plateforme mondiale de dons en ligne. Ces deux femmes ont éprouvé en personne à quel point leurs carrières exceptionnelles n’ont pas suffi à les sauver, ni elles, ni des milliers d’autres appartenant à la même catégorie professionnelle, de l’impression d’avoir été mises sur la touche, sans choix satisfaisant mieux équilibrer leur vie professionnelle et leur vie de famille.

Quand Zaleski a eu son premier enfant, elle a pensé, à tort, que trois mois d’arrêt de travail seraient suffisants. «J’étais chez moi, à me taper la tête contre les murs. Je me disais : « La poisse ! Il faut que je retourne bosser dix heures par jour, sinon je vais vite commencer à décrocher. Je commençais à me sentir vraiment déprimée, en voyant que je n’avais que deux solutions à ma disposition.»

Puis elle s’est dit : « Si j’ai ce problème, des millions de femmes doivent avoir le même problème que moi. Quelle est la troisième voie ? Les femmes ont changé, pourtant la nature du travail n’a pas évolué. Il n’y a jamais eu autant de femmes aussi qualifiées auparavant, (capables d’être productives de n’importe où), pourtant la structure du travail est celle d’un autre siècle. »

Entre temps, Berry avait contacté Zaleski pour lui soumettre sa toute dernière idée. « Voilà : je mets sur pied une nouvelle entreprise. Je constitue un réseau de femmes développeurs et je veux tenter de leur trouver un poste dans des entreprises. » Zaleski avait constaté en personne au Huffington Post à quel point des équipes mondiales à distance pouvaient être efficaces. « Ce procédé était rentable, dit-elle.

Nos principaux directeurs étaient situés en Ukraine et au Maroc. Une grande quantité de travail pouvait être faite pendant que nous dormions : de cette manière, nous étions donc deux fois plus rapides. » En effet, Berry avait travaillé à distance pour Avaaz.org, de chez elle avec ses trois enfants.

Zaleski s’est rendu compte que la start-up que lui proposait Berry était une manière de résoudre son propre problème. Elles se sont ainsi associées pour établir une plate-forme capable de trouver un emploi pour des femmes hautement qualifiées, capables de travailler à distance pour des entreprises américaines. Leur site connaît une croissance de 25% depuis son lancement et se diversifie à présent vers les métiers éditoriaux, le journalisme et vers d’autres secteurs.

Leur objectif consiste à changer la nature du travail pour des femmes à tous les niveaux. « On ne peut pas s’attendre à ce qu’une femme avec dix ans d’expérience et une famille, se déracine et déménage dans votre campus de Silicon Valley, » explique Zaleski, ajoutant que de nombreux campus sont délibérément conçus de telle sorte qu’on ne doive jamais en sortir. C’est génial si vous avez 22 ans, mais c’est affreux si vous avez des petits enfants à aller chercher à la sortie de l’école.

Ces attentes sont celles d’un autre âge. Bien des emplois n’exigent pas que le travail soit effectué à heure fixe. PowerToFly constate que les employées à distance sont si heureuses de cette flexibilité, que leur efficacité dépasse toutes les espérances. Durant mon expérience de mère de petits enfants qui conserve son emploi, j’ai parfois souhaité ne travailler que pour des gens à même de comprendre les contraintes de ma situation. Ainsi, je peux comprendre ce sentiment de motivation.

PowerToFly représente déjà des femmes de 147 pays, qui travaillent pour des entreprises comme Buzzfeed, Hearst, et The Washinton Post. L’agence a trouvé des postes à des femmes basées en Egypte, en Inde, en Jordanie et en Russie, ainsi que dans d’autres pays. Leur page d’accueil montre une jeune directrice souriante basée au Chili. Et l’entreprise motive les femmes habitant dans les territoires palestiniens à s’inscrire, (non pour des raisons idéologiques, mais parce qu’il y a beaucoup de femmes programmeurs douées et disponibles dans cette région.

« Trente pour cent de femmes dans de nombreux pays du Moyen-Orient sont diplômées par des universités, dit Zaleski, mais souvent elles ne peuvent pas décrocher des emplois à la hauteur de leur formation pour des motifs culturels. » Avec la capacité technologique de PowerToFly de dépasser les barrières culturelles, une femme peut contribuer au plus haut niveau d’une entreprise américaine, même si les lois locales lui interdisent de conduire une voiture.

Evidemment, étant donné un tel modèle, beaucoup d’hommes souhaitent aussi y participer. Les fondatrices ne rejettent la possibilité ultérieure de répondre à ce besoin. En attendant, placer un salaire substantiel directement entre les mains des femmes, dans des pays où leur statut juridique est précaire, risque d’entraîner un bouleversement social. Vu les compétences identifiées par les fondatrices chez les femmes de haut niveau, sous-employées et disponibles pour participer aux équipes mondiales, il est clair que le potentiel « perturbateur » de PowerToFly est énorme.

En effet, la plate-forme est susceptible d’intégrer plus de femmes dans le secteur technologique des États-Unis et d’intensifier les échanges culturels. Si davantage de Jordaniennes, de Marocaines, d’Ukrainiennes, de Chiliennes et de femmes d’autres pays discutent avec leurs homologues américaines, cela ne manquera pas d’atténuer «l’altérité» de l’autre. Mais l’effet le plus perturbateur, c’est que PowerToFly pourrait bien renverser notre idée vieillotte et de dénuée d’imagination sur ce que le «travail» doit être, ainsi que sur le lieu et le moment où il doit être effectué.

En bref, l’entreprise de Zaleski et Berry promet de mettre une pression positive sur d’autres lieux de travail. C’est une bonne nouvelle pour tous les hommes et les femmes qui ont des enfants en bas âge, des parents âgés, ou encore tout simplement pour ceux qui recherchent une vie plus équilibrée.

* Une activiste politique et une critique sociale. Son dernier livre s’intitule Vagina : A New Biography.