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Irak : Un chef djihadiste appelle les musulmans à lui faire allégeance

par Yazid Alilat

L'Irak est passé vendredi dernier d'un Etat plus ou moins organisé à celui d'un pays dont la chute et le chaos sont de plus en plus envisagés par les experts et diplomates. La proclamation vendredi dernier par le chef de l'Etat islamique (EI, auparavant Etat islamique en Irak et au Levant-EIIL), Abou Bakr Al Baghdaddi, un sunnite, du Califat et l'appel à l'allégeance brouillent encore plus les cartes politiques et la donne sécuritaire dans un Irak écartelé entre divisions ethniques, religieuses et diktat des groupes terroristes. Le nouvel homme fort du pays, Al Baghdadi, a réclamé vendredi lors d'un prêche étonnant à la mosquée de Mossoul, la plus grande d'Irak, l'allégeance de tous les musulmans. Il est apparu samedi dans une vidéo en cours d'authentification par des experts irakiens, dans un prêche du vendredi à la mosquée de Mossoul, conquise par ses hommes tout autant qu'une large partie de l'Irak, le 19 juin dernier. Outre Mossoul, l'EI s'est emparé d'une grande partie de sa province Ninive, ainsi que de régions dans les provinces de Diyala (est), Salaheddine (nord) et Kirkouk (ouest). Il contrôlait depuis janvier des secteurs d'Al-Anbar. En Syrie, l'EI contrôle notamment Alep et sa région, d'où sa première appellation d'EIIL. Lors de ce prêche du vendredi repris par cette vidéo, Al Baghdadi est apparu avec une longue barbe, un kamiss et un turban noirs. Il a été désigné il y a une semaine «calife» par son groupe, soit «chef des musulmans partout» dans le monde. Il a affirmé lors de ce prêche être «le wali désigné pour vous diriger». «Obéissez-moi tant que j'obéis à Dieu», affirme-t-il. En fait, l'EI a proclamé il y a une semaine un califat sur les territoires qu'il contrôle, de la ville syrienne d'Alep (nord) à la province irakienne de Diyala (est). Selon Will McCants, ancien conseiller en matière d'anti-terrorisme au département d'Etat américain, ?'le prêche de Baghdadi n'est pas logique pour ce qui est de la sécurité, mais il l'est tout à fait dans le contexte de sa lutte avec Al-Qaïda pour la direction du jihad au niveau mondial». Créé en 2004, le groupe Al-Qaïda en Mésopotamie, son appellation d'alors, se fait rejeter par la maison-mère (Al Qaïda) en 2007 car trop violent et trop sectaire. Il prend alors le nom d' ?'Etat islamique en Irak'' (EII), puis au Levant lorsqu'il s'immisce en 2013 dans le conflit syrien, certains l'estimant pour le compte des monarchies du Golfe. Après les moments de déclins, Al Baghdadi prend en mai 2010 la direction de l'Etat islamique en Irak (ISI), alors branche d'Al-Qaïda dans le pays. Il a lentement reconstruit sa structure et son encadrement et élargi son aire d'influence et de djihad à la Syrie voisine à la faveur de la rébellion contre le régime de Bachar al-Assad, au point de faire désormais de l'ombre à Al-Qaïda et à son chef, Ayman al-Zawahiri, avec lequel les ponts sont définitivement rompus. Le groupe se distingue par sa brutalité, ses rackets et taxes qu'il impose aux populations des territoires qu'il contrôle. Lorsqu'il a pris Mossoul, le groupe d'Al Baghdadi s'est aussi emparé de l'argent de la banque centrale de la ville, quelque 425 millions de dollars devenant le groupe terroriste le plus riche du monde avec une fortune estimée entre 1,5 et 2,3 milliards de dollars. «En toute chose, le groupe (...) a fait preuve d'audace, cela semble donc logique que Baghdadi sorte de l'ombre pour se mettre en pleine lumière», estime encore Will McCants.

L'ETAT IRAKIEN ABSENT

Pour autant, l'émergence au grand jour de l'EI et sa proclamation du Califat, a suscité plus d'indignation que de ralliement parmi les groupes islamistes qui aspirent pourtant à l'édification d'un Etat fondé sur la charia. Plus encore, l'Etat irakien semble absent et laisse le pays amorcer une rapide descente vers le chaos. Les divisions ethniques et religieuses n'arrangent également guère les choses. Le 1er juillet dernier, la séance inaugurale du Parlement issu du scrutin du 30 avril s'est terminée en queue de poisson, les députés s'étant insultés et, d'autres ayant préféré quitter la salle. L'assemblée doit se réunir de nouveau mardi pour tenter de se choisir un président, puis élire un président de la République chargé de désigner le prochain Premier ministre. Bref, avec un Nouri Al Maliki qui tient plus que jamais au pouvoir, un éclatement de plus en plus accéléré du pays en régions contrôlées soit par des groupes terrorises, soit par des minorités ethniques, et une préoccupante impasse politique, l'Irak est bien parti pour disparaître dans le chaos. C'est un peu l'avis de l'émissaire de l'ONU à Bagdad, Nickolay Mladenov, qui a prévenu que l'Irak risquait de sombrer dans «un chaos similaire à celui de la Syrie» si la classe politique ne parvenait pas à se rassembler et à «chercher un moyen de sauver le pays».