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Entretien avec Lynda Nebab, directrice du National Algerian Centre à Londres : «Dans l’Hexagone, l’Algérie, c’est le couscous, le raï, l’islam»

par Lola Gazounaud, de Londres.

Fondé en 2010, le National Algerian Centre est devenu en quelques années un espace incontournable pour la communauté algérienne de Londres et pour tous les curieux qui souhaitent découvrir la culture algérienne. Lynda Nebab, sa directrice, est heureuse de ce succès qui, elle l’espère, dépassera, à terme, les enceintes de la capitale britannique pour aller à la rencontre des communautés algériennes d’autres grandes villes du Royaume-Uni.

Kilburn Park, Nord-Ouest de Londres. C’est là, non loin de l’ancienne résidence de George Orwell, célèbre écrivain britannique, que se trouve The Concord Café, lieu de notre rendez-vous.

The Concord Café est l’un des derniers projets en date du National Algerian Centre (NAC), en partenariat avec le Brent Council, la mairie du quartier. C’est un lieu de détente et de rencontre pour les résidents, Algériens ou non, au sein d’une école publique ou la communauté algérienne est importante.

Ici, l’accueil est chaleureux. Gulan, le chef cuistot du Centre, un Turc Chypriote fort sympathique, y est pour beaucoup. Derrière son comptoir, décoré de plats et de douceurs méditerranéennes, il semble se préparer pour l’affluence de midi. Il est encore tôt, en ce lundi matin mais déjà, la salle s’anime progressivement. C’est dans cette atmosphère conviviale que Lynda Nebab a accepté de nous accorder un entretien.

Quotidien d’Oran: De l’Algérie à l’Angleterre, quel est votre parcours ?

Lynda Nebab : Je suis née et j’ai grandi en France, dans un village du Sud au sein d’une famille algérienne originaire de Sétif. Je suis arrivée à Londres il y a 25 ans. Au début, je souhaitais apprendre l’anglais pour ensuite retourner en France. Et finalement, j’ai poursuivi mes études ici, je me suis mariée. Aujourd’hui j’ai cinq enfants.

Q. O. : Pourquoi être restée à Londres ?

L. N. : Je voulais offrir à mes enfants l’opportunité que j’ai eue, moi, en m’installant ici. J’ai trouvé à Londres un esprit communautaire et l’acceptation d’autrui. J’adore me retrouver dans une pièce avec quelqu’un qui vient de Russie ou de Chine. Il existe ici un mélange de culture et de religion si bien qu’en rentrant le soir à la maison, on se sent moins bête !

En France, je n’ai jamais eu le choix de ce que j’étais. Tout y était défini, carré. Je rentrais dans la catégorie «beur», sans vraiment l’avoir décidé. J’étais algérienne mais je ne savais rien du tout de ce pays et de sa culture. Et quand on sait peu sur son identité, il est difficile d’exister socialement.

Dans l’Hexagone, l’Algérie, c’est le couscous, le raï, l’islam, ce qui est licite, ce qui est illicite et c’est tout. Je me suis ainsi longtemps concentrée sur la culture des autres, celle qui m’était imposée. Et je crois que cela m’a incité à quitter la France. Pour les Algériens de France, il existe, à mon avis, un blocage, une crainte, celle de savoir si l’on représente bien l’Algérie. Aujourd’hui, cette crainte que j’avais a disparu. D’une certaine façon, c’est ici, à Londres, que j’ai pu découvrir et vivre pleinement mon identité algérienne.

Q. O.: Depuis 2010, vous êtes directrice du National Algerian Centre. Quelles étaient vos ambitions en créant ce centre ?

L. N. : Je souhaitais d’abord créer un point de rencontre pour la communauté algérienne à Londres. Mais il était également important pour moi de développer une plateforme aux résidents de Londres afin qu’ils disposent d’un espace de découverte dédié à l’Algérie, encore méconnue des Britanniques. D’ailleurs, nous avons très vite été contactés par de nombreux organismes, facultés, centres culturels, cinémas, théâtres, tous assoiffés de culture algérienne. Le NAC comble ainsi un vide et répond à des besoins réels. Notamment depuis les révolutions arabes qui ont contribué à nourrir un engouement certain des Londoniens pour les cultures du Sud méditerranéen. D’autre part, la communauté algérienne s’est accrue ses dernières années. Ce qui favorise notre visibilité.

Q. O.: Comment le NAC s’est-il implanté au sein de la communauté algérienne ?

L. N. : En tant qu’espace communautaire, nous répondons aux besoins locaux qui exigent une grande flexibilité. Nous assurons un rôle social et culturel par le biais de divers services et activités : traduction, interprétariat, cours de langue, atelier de cuisine, de lecture, atelier pour enfants, distribution de colis alimentaires pour les personnes précaires, etc.

Bien sûr, le NAC est avant tout un lieu de rencontre et de partage. C’est pourquoi nous avons ouvert récemment The Concord Café à Kilburn et un autre café non loin d’ici. Nous sommes également de plus en plus reconnus par les Algériens de France ou d’Algérie. Beaucoup nous contactent pour obtenir des conseils en termes de logement, de sortie culturelle.

Q. O. : Et au-delà de la communauté algérienne ?

Le principal objectif du NAC est de promouvoir la culture algérienne au travers la gastronomie, les arts, les traditions et d’encourager les rencontres dans un esprit convivial. Nous organisons donc de nombreux évènements ouverts à tous.

L’été dernier, nous lancions «Discover Algeria» : une journée dédiée à la culture algérienne. Parmi les nombreuses activités, les visiteurs pouvaient assister à un mariage traditionnel algérien. Ce fut un grand succès. La BBC Arabic, très friande de nos évènements, a même couvert l’évènement.

Le «Big Diner» pendant le mois de Ramadan a également été une réussite. Chaque soir, nous avons accueilli plus d’une centaine de personnes, toutes origines et confessions confondues, pour partager le dîner de rupture du jeûne. Au début du repas, personne ne parlait mais une fois la panse repue, les gens commençaient à discuter. Beaucoup sont revenus les soirs suivants avec des amis. Et de nombreux restaurateurs nous ont offert des denrées pour contribuer au repas.

Et nos succès ont été couronnés par une lettre du maire de Londres, Boris Johnson, qui nous a félicité de notre capacité à attirer, au-delà de la communauté algérienne, une vingtaine de communautés que les institutions ne parviennent pas encore à atteindre.

De plus, nous participons à de nombreux festivals organisés par la mairie de Londres ou par d’autres centres culturels, comme l’institut français, entre autres. L’objectif est d’établir un relais toujours plus dense. Il nous arrive souvent de conseiller des institutions culturelles.

« Khaled et Cheb Mami, c’est bien mais sinon qu’y a-t-il?» nous demandent-ils. Depuis les révolutions arabes, les festivals se sont multipliés, ce qui nous offre l’occasion de promouvoir davantage les artistes algériens. Bien sûr, il faut avoir les moyens de sa politique. Déplacer le Ballet National Algérien par exemple, demande des moyens.

Q. O. : Le NAC est-il engagé dans des projets en Algérie ?

Oui. Une partie importante de notre travail consiste à encourager les échanges entre le Royaume-Uni et l’Algérie, en matière de commerce, de culture ou d’éducation. Là encore, nos engagements sont très diversifiés.

Le NAC est particulièrement attentifs aux jeunes. En février 2013, nous avons participé à l’organisation de la Conférence Virtuelle sur l’Entrepreneuriat Jeunesse avec la Compagnie Internationale de Formation et de Conseil CIZAR CCC, spécialisée dans la promotion de la culture entrepreneuriale en Algérie et l’Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene d’Alger. Nous assurons également le rôle d’intermédiaire entre les étudiants algériens et les grandes compagnies algériennes implantées en Grande-Bretagne. Lorsque des opportunités se présentent, certains étudiants peuvent venir suivre des formations ici. Dans ces cas-là, nous soutenons ces jeunes dans les démarches administratives et nous facilitons leur installation sur place.

D’autre part, nous sommes associés aux efforts du British Council dans la formation des professeurs algériens à la langue anglaise.

Nous promouvons également le travail des femmes Touaregs ; et nous développons nos efforts dans d’autres domaines, tels que le tourisme ou les échanges scolaires…

Q. O. : Le NAC est actuellement en plein essor. Quels sont vos projets pour le futur ?

L. N. : J’aimerais trouver un espace, un immeuble où nous pourrions ouvrir de 7h à 2h du matin avec dans chaque salle, une myriade d’activités, d’ateliers, d’expositions, de cours.

Le NAC souhaite aussi se déployer dans l’ensemble du Royaume-Uni. Pour le moment, tout se passe à Londres. Mais les communautés algériennes de Leicester, Manchester, Glasgow, Belfast …?

Le NAC est en phase de construction et au fur et à mesure des années, il prend de l’ampleur, en réponse aux besoins de la communauté algérienne et à la curiosité des publics.

Q. O. : Quels sont vos sentiments à l’égard de ce franc succès ?

L. N. : On ne peut pas être fier de ce que l’on n’a pas choisi. Je n’ai pas choisi d’être algérienne. En revanche, être une femme algérienne, à Londres et directrice du NAC, c’est pour moi une grande joie. D’autant plus que je suis une femme. Et cette image, je crois, contribue à détruire certains clichés.

Je vois beaucoup de femmes qui viennent au Centre et dans notre café. Etre une femme algérienne à Londres et ne pas oublier ses origines, ses valeurs. Pour moi, il n’y a rien de plus beau que cette corde invisible.






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