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Le syndrome zenga-zenga

par Sana Harb

Le temps mène la vie dure à ceux qui veulent le tuer. La fameuse maxime de Jacques Pré-vert est un programme algérien. Qui inquiète même ceux qui ne veulent pas «prendre parti» dans l’élection présidentielle. On a encore le temps «d’importer» pour cinq ans, disait Ahmed Ouyahia, en parlant des réserves de change. On a encore le temps de voir venir au lieu de changer. Mais on aussi «le temps» de laisser s’accumuler les problèmes, les colères, les rancœurs et les risques. Pourtant, même ceux qui ne veulent pas s’impliquer dans la présidentielle, le disent, le temps n’est pas un «allié».  Mais pour l’heure, on cherche à le «tuer».

Avec l’assurance qu’on aura la vie dure une fois qu’on aura compris, trop tard, que nous n’avons fait que le perdre. Car tout bouge et l’immobilité n’est qu’une illusion de stabilité. Les choses bougent en Algérie même si le régime fait vœu de fixité. Les choses bougent aussi à nos frontières.  En Libye voisine, Salah Djaouda, vice-président de la Commission de la sécurité nationale n’attend pas que les occidentaux viennent sauver son pays. Ils ont d’autres chats à fouetter, dit-il, la Libye n’est pas encore «dans le rouge». Il a de l’humour, le député libyen. Qui dit cependant que son pays pourrait avoir recours à des forces des «pays frères et amis».

Et qui dans ce scénario sera chargé de la surveillance des frontières «ouest» ? Les forces armées royales marocaines, les FAR. L’Algérie, au nom de la non-ingérence, est restée en retrait sur le dossier libyen qui a eu le traitement que l’on sait par les occidentaux. Elle se retrouve aujourd’hui aussi en retrait dans la gestion du chaos provoqué par eux. Elle en subit seulement les dommages. Comme à Tiguentourine. Rien n’est certain encore sur la présence des soldats marocains – le responsable libyen prend le soin de dire que cela se fera sous la couverture de la Ligue arabe – et on ne sait pas si Rabat y répondra favorablement. En principe, le Maroc n’a pas intérêt à créer une crispation inutile avec son voisin dont il a besoin au plan économique. Mais le statuquo étant de mise dans les rapports entre les deux pays, rien n’est certain. Si cette option se réalise, les autorités immobiles du Maghreb central pourront à loisir deviser sur un pays pris «en tenaille». Les plus lucides observent, eux, que l’’élan algérien n’existe plus.

Qu’il y a crise de sens. Il n’y a plus qu’une démarche défensive à tous les niveaux. Même les dépenses du pays s’inscrivent sur ce registre et non sur une démarche offensive de développement créatif. On ne bouge pas, on est stable. C’est la devise absurde que le pays, contre sa jeunesse et son avenir, émet en faisant mine que le temps y pourvoira. Et non l’action, la réforme, la reconstruction. On s’aveugle dans une gesticulation à la Kadhafi criant à la chasse «zenga-zenga» pendant que le pays est éclaté de l’extérieur. Le temps n’est pas à perdre. Les appels se multiplient pour une remise en marche de l’Algérie dans «l’entente» et «le consensus». La mise à l’arrêt du pays dont le «mouvement» s’est limité à de la distribution, inégalitaire, de la rente a atteint ses ultimes limites. Même ceux qui se veulent éloigner de la politique le ressentent : on est en train de rater le virage. Et le temps n’est pas un allié.