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A propos du «droit d'être candidat, au nom de la démocratie»

par Kamel Daoud

C'est l'argument choc des partisans de Lui: on est en démocratie et il a le droit de se présenter. En gros, vu de la lune, cela est vrai. L'Algérie est le premier pays dit «arabe» à avoir inventé le pluralisme de façade et la démocratie spécifique. Ici, on peut écrire, lire, insulter, critiquer, bloquer une route ou manifester. En gros. Car dans le détail, la «démocratie algérienne est managée» selon une finesse qui fera dire aux autres que le régime algérien est l'un des plus rusés au monde. Passons et revenons au propos: Bouteflika a le droit de se présenter puisqu'on on est en démocratie, disent les siens. Vrai ? Un peu, dans le malaise et seulement sur papier. C'est qu'en effet la démocratie est un tout. Soit on l'épouse, soit on la rejette. Il n'y a pas de démocratie de jouissance. Si les Bouteflikistes disent qu'il a le droit en démocratie, il fallait accepter la règle démocratique pour lui, les siens et pour le reste des gens. On ne peut pas se prévaloir, aujourd'hui, de la règle démocratique, après avoir, deux semaines avant, matraqué des gens qui disaient «non» à Alger. Le FIS a joué à la même ruse.

On ne peut pas se réclamer de la démocratie alors qu'on refuse les autorisations de manifester pour ceux qui pensent autrement. On ne peut pas se déclarer démocrate et, en même temps, verrouiller le syndicalisme, harceler des militants, surveiller des partis et des personnes et des téléphones, refuser des agréments, arrêter des gens ou refuser des visas pour des journalistes étrangers, puis dire qu'on a des droits en démocratie. La démocratie est une règle de jeu collective et pas seulement un avantage à l'usage de sa propre personne pour grimper en haut puis retirer l'échelle aux autres suivants. Car, si «Lui» a le droit de se présenter, les autres ont le droit de dire non et l'Administration, les caméras de l'ENTV, les daïras, les wilayas, les mairies, doivent rester au milieu, neutres et sans choix autre que le service public. La démocratie n'est pas seulement un argument crieur public mais aussi des institutions que l'on respecte, un parlement réel et libre, un gouvernement comptable de ses actes devant les élus et pas devant le SG de la Présidence ou le conseiller très spécial. La démocratie n'est pas divisible comme un puits de pétrole ou une rente. C'est une culture et un droit et aussi un devoir. Si aujourd'hui, on réclame le respect du droit de chacun à être candidat, il fallait respecter les autres, avant, et leur droit de dire, parler et crier et refuser ou accepter. Réellement et pas en jouant sur la levée de l'état d'urgence. On ne peut pas à la fois crier à la mainmise du DRS sur les médias, les partis et la vie politique et économique, puis le remplacer par le vol des caméras, la fermeture de chaînes TV, le harcèlement des militants et le chantage aux patrons et la corruption des médias ou l'interdiction d'émissions qui ne plaisent pas à la monarchie ou aux hommes d'affaires du néo-Makhzen. On ne peut chasser des «Moukhabarates» et les remplacer par un téléphone et deux hommes et trois milliardaires locaux.

Oui, Bouteflika a le droit démocratique d'être candidat, mais dans un pays où la démocratie est réelle et respectée. Sans cela, si la règle de jeu est brisée dès le début, cela délivre de l'obligation consensuelle de la respecter. On ne peut interdire aux gens de se rassembler dans les salles de meetings puis s'étonner que ces gens vous interdisent de faire des meetings chez eux et crier à la «démocratie bafouée». On n'a que le monde de ses actes. Et cette règle est valable pour «Lui», les siens, mais aussi pour les autres, les opposants, les tièdes et les exilés de l'intérieur. Donc, avant de se réclamer du droit démocratique d'être candidat, il fallait respecter les devoirs de cette même démocratie.