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A quel prix l'armée «dégagera-t-elle» les sit-in ? A deux doigts du point de non-retour en Egypte

par Salem Ferdi

Les partisans du président Mohamed Morsi ont à nouveau manifesté, hier, affichant ainsi une détermination intacte malgré l'expiration de l'ultimatum implicite de la fin de l'Aïd. Les déclarations du gouvernement mis en place par les militaires sur l'approche de la levée des sit-in semblent sans effet sur les pro-Morsi. Des centaines ont défilé dans le centre du Caire en brandissant des drapeaux égyptiens et des portraits du président destitué. La veille, sur la tribune de Rabiaa Al-Adawiya, les intervenants étaient unanimes à refuser d'obtempérer aux appels à évacuer les places et se sont dits «prêts au sacrifice» de leur vie plutôt que «céder sur leur liberté». Jusqu'à la fin de l'après-midi, aucun signe d'une intervention imminente des forces armées n'était visible. Si l'option de principe de dégager les places par la force semble avoir été tranchée par les militaires, les aspects opérationnels ne semblent pas évidents. Même si la propagande officielle affirme que des armes se trouvent sur les lieux de rassemblements, le pacifisme des sit-in n'a pas été démenti depuis qu'ils sont organisés depuis plus d'un mois et demi. L'armée qui semble vouloir laisser la police assumer le boulot ne pourra dégager sa responsabilité en cas de carnage. Et les 250 morts des massacres de la caserne de la Garde républicaine (militaire) et du monument du soldat inconnu (police) n'augurent de rien de bon face à des dizaines de milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, très déterminés.

DES SCENARIOS INQUIETANTS

Le coût humain d'une éventuelle intervention armée contre les rassemblements devient l'enjeu primordial d'un bras de fer dont l'intensité n'a jamais baissé. La police égyptienne, qui utilise souvent des baltaguis pour organiser des provocations et des diversions, ne fait pas dans la dentelle en général. Mais dans ce gigantesque bras de fer, le pouvoir installé par l'armée sait qu'il est sous observation internationale. Les Frères musulmans ont réussi, jusqu'à présent, à organiser une diffusion en «live» du rassemblement de Rabiaa Al-Adawiya. Ils ont ainsi montré, en direct, l'afflux des personnes tuées et blessées dans le carnage du monument vers l'hôpital de campagne installé sur les lieux du sit-in. Tirer dans le «tas» que ce soit des gaz lacrymogènes ou des balles en caoutchouc sur un rassemblement dont le caractère pacifique n'a pas été démenti risque de causer des dégâts sans pour autant résoudre l'équation. Tirer à balles réelles dans le tas serait encore pire. La police égyptienne qui, depuis plus d'un mois, annonce des interventions, a laissé entendre que l'opération d'évacuation des sit-in sera menée de manière «graduelle» et qu'elle procèdera à «l'encerclement et à des sommations». L'opération pourrait ainsi, selon la police, durer «deux ou trois jours». Pourtant, les images diffusées en direct de Rabiaa Al-Adawiya montrent des protestataires sereins et déterminés.

MESSAGES A AL-SISSI, DETENTION PROLONGEE POUR MORSI

Les autorités semblent tabler sur un retrait d'une partie des personnes rassemblées, dont les femmes et les enfants, afin de pouvoir «traiter» les plus déterminés. Il n'est pas certain que ce calcul se réalise. La police pourrait probablement empêcher l'afflux des manifestants vers la place, mais l'Alliance pour la défense de la légitimité, a appelé à occuper «toutes les places d'Egypte» pour contester le «coup d'Etat». Un cadre des Frères musulmans, Farid Ismaïl, a ainsi appelé à l'occupation de «toutes les places du pays» afin de «délivrer un message aux chefs du coup d'Etat que le peuple poursuivra sa révolution». Le message en question est que même si le pouvoir décide de déloger par la violence les sit-in de Rabiaa Al-Adawiya et d'Ennahda, la contestation se rallumera partout ailleurs. Le message a été saisi par les manifestants qui ont conspué «Al Sissi le traitre et le tueur». Les jeunes éléments qui font le service d'ordre sur la Place Rabiaa al-Adawiya, étaient, hier, sur le qui-vive au niveau des barricades de briques et de sacs de sable à l'entrée de la place Rabiaa Al-Adawiya. Celle-ci est devenue, au fil des jours, une véritable ville de toile. Des mariages collectifs ont été organisés sur la tribune sous les acclamations de la foule, des tournois de football aussi. Beaucoup de personnes présentes se disent prêts «au martyre» pour défendre la cause. L'appel du cheikh d'Al Azhar, qui avait approuvé la destitution de Mohamed Morsi, est resté sans véritable écho, tant l'homme semble sans crédit aux yeux des Frères musulmans.

Sur Facebook, Essam El Erian, un haut dirigeant des FM affirme que le peuple égyptien «a vaincu la peur et possède une volonté de vivre dignement, il ne sera pas terrorisé par les hordes sécuritaires, ni par les baltaguis, ni par ceux plus puissants qu'eux? Le coup d'Etat va tomber beaucoup plus vite qu'ils n'imaginent dans leur bêtise et stupidité». Dans le camp adverse, la réponse est venue drapée de l'apparence judiciaire. La détention du président Morsi a été prolongée de 15 jours pour «complicité avec Hamas» et «offense à magistrat». La roue macabre continue de tourner. Sans rien pour la freiner !