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Et le peuple dans tout ça ?

par Kharroubi Habib

Si Mohammed Mechati, l'un des derniers survivants de l'historique «Comité des 22», s'est adressé début juin dernier à l'armée pour lui demander de déposer Bouteflika selon lui n'étant plus en capacité physique de continuer à gouverner. L'ancien patron de la Gendarmerie nationale, le colonel Ahmed Bencherif, a lui opté pour l'interpellation publique de Bouteflika auquel il recommande d'organiser lui-même sa succession en lui suggérant le scénario à suivre qui de son point de vue permettrait «une sortie de crise honorable et digne».

Le colonel Bencherif estime que la meilleure formule, celle qu'il propose, consisterait «à convoquer les deux chambres parlementaires en un seul congrès extraordinaire pour amender la Constitution en matière de succession du pouvoir». Amendement qui doit viser l'abrogation de l'article conférant au président du Sénat la mission d'assurer l'intérim de la présidence durant quarante-cinq jours, introduire un article portant la nomination d'un vice-président de la part de Bouteflika et enfin investir le vice-président de la mission de terminer le mandat en cas de vacance de pouvoir.

Mohammed Mechati qui a appelé les militaires à destituer Bouteflika et Ahmed Bencherif qui conseille à celui-ci d'organiser sa succession de manière «soft» sont apparemment aux antipodes s'agissant de ce qu'il faut faire pour sortir le pays de la crise politique qu'il vit. Paradoxalement, ils se sont rejoints en estimant chacun à sa façon que c'est la succession de Bouteflika qui est au cœur de cette crise politique. L'un en a pourtant tiré la conclusion que pour la résoudre il faut impérativement destituer Bouteflika même au prix du «coup d'Etat» militaire, l'autre d'en appeler «au sens du devoir» de ce même Bouteflika pour qu'il prenne la «décision historique» qu'il lui a recommandée dans son adresse publique.

L'une comme l'autre, les options préconisées par les deux personnalités nationales partent du postulat que l'avis du peuple algérien est quantité négligeable. Dans les deux cas leurs auteurs se sont gardés en effet de mêler ce peuple à la résolution de la question de la succession. Mechati a certes demandé à l'armée de «prendre ses responsabilités» mais pour après cela remettre le pouvoir aux civils qui en seront investis au travers d'un processus démocratique à la définition duquel elle aura associé les «forces vives nationales». Si Mohammed Mechati n'est pourtant pas naïf au point de ne pas savoir à quelle dérive peut donner lieu l'intervention qu'il a sollicitée de l'armée. La «sortie de crise élégante et historique» préconisée par Si Ahmed Bencherif est quant à elle symptomatique des inquiétudes qui assaillent la «famille révolutionnaire» confrontée à une fin de règne dont la mauvaise gestion pourrait sonner celle du système politique qui a été bâti par et pour elle.

Par haine pour Bouteflika qui trouve ses raisons dans leurs divergences politiques et leur inimitié personnelle, Mechati a opté inconsciemment peut-être pour le «tout sauf Bouteflika». Bencherif a lui donné l'impression d'avoir oublié ses rancunes à l'égard de ce même Bouteflika pour lui faire comprendre que l'enjeu de la succession concerne toute la «famille révolutionnaire» à laquelle tous les deux appartiennent par leurs passés et leurs intérêts présents.