Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Algérie-FMI  : La leçon de Christine Lagarde

par Ghania Oukazi

Le Fonds monétaire international (FMI) a été sollicité par la Banque d'Algérie pour lui élaborer une étude sur le système financier et bancaire national.

« Le FMI propose une assistance technique à ses 188 pays membres lorsqu'ils le sollicitent mais établit annuellement un audit (de surveillance) de leurs situations macro-économiques respectives, et c'est dans ce cadre que le gouverneur de la Banque d'Algérie nous a demandé de lui faire une étude sur le système bancaire et financier algérien, c'est ce que nous ferons dans les mois qui viennent,» a fait savoir la directrice générale de l'institution de Breton Wood. Christine Lagarde a fait cette annonce jeudi dernier à la résidence d'Etat Djenane El Mithak où elle avait donné une conférence sur le développement économique et les défis mondiaux en Algérie devant un parterre de responsables d'entreprises et de banques publiques et privées et d'universitaires.

Elle fera d'importantes recommandations au gouvernement aux fins de régler les problèmes qui empêchent l'économie nationale de créer de la croissance et de la richesse. C'est en tant qu'«argentière du monde» qu'elle tracera quasiment une feuille de route aux gestionnaires du pays à cet effet. Lagarde pense que «l'Algérie peut mieux faire» puisqu'elle a réussi à mettre en œuvre des politiques macro-économiques «avisées» qui lui assurent des équilibres satisfaisants de ses ressources financières, de ses réserves de changes (équivalant 4 mois d'importation) et de sa dette extérieure. Elle estime ainsi que l'économie nationale est «robuste.» Mais une croissance de 3% en fin de ce parcours, «c'est insuffisant,» affirme-t-elle. Au regard du potentiel économique existant dans le pays, et l'étroite dépendance de l'économie nationale des hydrocarbures, il y a bien des actions à entreprendre et des méthodes de gestion à revoir. Pour résoudre cette équation, elle mettra sur la table les bons et les mauvais points que l'Algérie compte.

«TENSIONS INFLATIONNISTES LOURDES»

«Il est clair que les tensions existent, elles ont en premier un caractère international en raison de la crise financière mondiale, le canal de contagion est essentiellement financier mais l'Algérie a été préservée d'une certaine manière en raison des prix des hydrocarbures mais aussi de sa gestion prudente des réserves publiques,» explique-t-elle.

Une situation qui risque cependant d'être perturbée puisque, rappelle-t-elle,«la croissance mondiale sera en 2013 de 3,5%, celle des pays émergents de 5,5% et des pays avancés de 1,5%, c'est donc une reprise fragile de l'économie mondiale qui ne garantit pas une reprise accrue des exportations et une stabilité des prix du pétrole.» Les tensions inflationnistes sont, en outre, à ses yeux, assez importantes quand on se rappelle que le taux d'inflation était de 8,9% en 2010. «Et même s'il y a eu un indicateur de baisse l'année dernière avec 7,8%, ces tensions pèsent lourdement sur l'économie nationale,» dit-elle. Elle suggère aussi de «s'interroger sur la pertinence statistique et sur le chiffre brut nominal du taux de chômage (des jeunes) qui est donné par le gouvernement à 10%., un chiffre élevé au regard du potentiel économique du pays.» Elle inscrira aussi dans le tableau de «ce qui ne va pas», le manque d'attractivité du cadre des affaires pour affirmer que «ces éléments risquent de faire baisser la croissance.» Inflation, chômage et manque d'attractivité du cadre des affaires, empêchent, selon elle, l'économie nationale d'enregistrer un bon taux de ce qu'elle appelle une croissance inclusive.

«JE NE DIS PAS QU'IL FAUT BLOQUER LES SALAIRES»

Ses recommandations sont nombreuses et claires : «il faut utiliser les ressources publiques pour réaliser une croissance créatrice d'emplois et de richesse et qui protège les couches les plus vulnérables des effets inflationnistes.» Bien qu'elle assure que le FMI s'attend à une réduction significative de l'inflation à 5% (le gouvernement algérien la prévoit à 4%), elle demande au gouvernement de «faire attention aux dépenses de l'Etat, d'élaborer une politiques salariale efficiente et des politiques budgétaires plus viables et plus saines.»Elle recommande à cet effet «au secteur public et privé de rester extrêmement attentif à cette corrélation entre les augmentations de salaires et la productivité.» A une femme d'affaires qui lui dit si elle demande ainsi de bloquer les salaires «ce qui arrangerait bien les chefs d'entreprises», dit-elle, Lagarde lui rétorque de suite «je ne dis pas qu'il faut bloquer les salaires mais de lier étroitement leur augmentation à la productivité qui, si elle n'est pas assurée, empêche la réalisation de la croissance et entraine des effets inflationnistes aux conséquences néfastes sur l'économie et sur la consommation des ménages (hausses évidentes des prix.»

La DG du FMI rappelle que le fonctionnement de l'économie nationale se fait à hauteur de «4% du PIB et dépend à 98% des hydrocarbures», ce qui est pour elle «l'expression évidente et chiffrée d'un déséquilibre qui n'aide pas à la création d'emplois et de croissance pour une bonne gestion du risque.» Aussi, la diversification de l'économie est-elle, selon Lagarde «une préoccupation partagée au plus haut niveau de l'Etat, c'est un projet qui mobilise(?), il peut être réalisé autour de l'exploitation des énergies non fossiles, de l'agroalimentaire, de la pétrochimie, l'industrie pharmaceutique?, des secteurs qui ont vocation à développer la compétitivité.»

Et c'est en arabe qu'elle lancera qu'«une seule main n'applaudit pas», pour souligner que «les vraies réussites sont l'expression d'un partenariat entre un secteur public responsable et un secteur privé innovant puisque le cadre macro-économique et des politiques monétaires, est solide.» Elle conçoit que ce qu'elle propose est «un chemin générationnel (mais) qu'il convient d'engager hardiment.»

Elle pense en même temps que «l'action publique doit améliorer le climat des affaires parce que le classement de l'Algérie n'est pas satisfaisant.» Pour elle, faire des affaires en Algérie, «prend trop de temps, trop de formalités, trop de délais, trop de bureaucratie, il y a moyen de faire mieux !» Pour créer une entreprise, il faut accomplir 18 formalités et pour exporter, 18 autres, «c'est donc trop !» s'exclame-t-elle. Elle reste cependant optimiste parce que «le 1er ministre m'a dit qu'il demande l'instauration du guichet unique pour l'exportation.»

MODE D'EMPLOI POUR UNE CROISSANCE INCLUSIVE

Pour réussir toutes ces actions, il faut, dit-elle, «un système financier moderne pour une plus grande ouverture du marché national et une plus grande intégration dans les marchés mondiaux.» Elle va droit au but et recommande «il faut atténuer les restrictions qui pèsent sur l'investissement étranger.» La règle 51/49 est «la restriction» la plus visée, puisque Lagarde a déclaré dés son arrivée que le gouvernement ne devrait l'appliquer qu'aux secteurs stratégiques. Elle restera ainsi «Française» jusqu'aux bouts des doigts puisque c'est l'annulation de cette règle qui est, en premier, une demande de Paris. «Il faut que les autorités au plus haut niveau puissent témoigner de l'intérêt qu'elles manifestent aux IDE,» a-t-elle dit. Elle avait aussi suggéré le retour au crédit à la consommation, qui, elle doit le savoir, n'a profité qu'aux concessionnaires de voitures. «Je crois personnellement que toutes les formes de crédits sont acceptables et peuvent être recommandées dès lors qu'elles sont bien encadrées,» a-t-elle expliqué. C'est, pense-t-elle, une catégorie de crédits qui doit être utilisée avec mesure et avec égards pour la qualité des débiteurs (faire attention au surendettement des ménages).

Elle récapitule : «une action publique dynamique et transparente et des institutions modernes et transparentes qui nourrissent la bonne gouvernance et une croissance inclusive.» C'est le mode d'emploi de la DG du FMI au gouvernement algérien non sans lui rappeler que «l'économie est à caractère informel, avec un taux d'emploibilité et d'emploi difficile à déterminer, 50% de population active dont un ¼ seulement de femmes sur le marché du travail, des programmes de placement de jeunes en entreprises et des soutiens financiers aux jeunes vulnérables sans qu'on ne soit sûr que ces soutiens leur profitent véritablement, des subventions récurrentes à plusieurs produits?» Lagarde affirme que «12% du PIB sont transformés en subventions pour l'utilisation des produits hydrocarbures, ça profite à ceux qui n'ont pas vraiment besoin, c'est-à-dire les riches?» Elle recommande de «redessiner, recalibrer et de réorienter les subventions et les filets de sauvetage (sociaux ndlr).» La juriste, spécialiste du droit de la concurrence synthétise son cours : «je crois profondément à la flexibilité et la sécurité (emploi), à la corrélation (maîtrise des salaires et de la productivité), mais aussi au dialogue social.» Et déclare à propos de l'économie informelle que «je crois aux vertus des taux bas et des assiettes larges.» Il faut, selon elle, «réduire les taxes et les taux à condition d'avoir des assiettes larges.»

Volonté politique, volonté collective de cibler l'argent public au profit des couches vulnérables, transparence, communication, concertation plus large dans le cadre d'un contrat sont pour la DG du FMI, les éléments qu'il faut «pour pouvoir examiner toutes les voies de la simplification, de la corrélation, de la flexibilité et de la sécurité en vue d'une croissance inclusive et une économie performante».