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Livres : Jacqueline,Fadela et les autres !

par Belkacem AHCENE DJABALLAH

«Des douars et des prisons» Livre ? témoignage Ouvrage de Jacqueline Guerroudj Edif 2000, Alger 2010 (première édition, Editions Bouchène, Alger 1993) 156 pages (plus une vingtaine de pages de photographies), 300 dinars

Connaissez-vous la moudjahida Guerroudj Jacqueline (fille de la bourgeoisie rouennaise, en France, née Jacqueline Netter, arrivée à Tlemcen en 1947 ? C'est, aussi, la maman de Danièle Minne, la future moudjahida maquisarde (à 17 ans), Djamila Amrane, qui est née d'un premier mariage) ? Connaissez-vous vraiment cette grande dame, communiste, devenue institutrice, d'abord à Négrier (Chetouane), se frottant très tôt à la misère des populations paysannes et à la discrimination coloniale qui prive d'école la plupart des enfants algériens?et, luttant contre l'esclavagiste Dollfuss, propriétaire de l'Ismara, un grand domaine colonial. Un très gros colon, plus gros que Borgeaud et Blachère. «Propriétaire» tant des algériens que des contremaîtres et des ouvriers européens. Devenue gênante, il la fait muter à l'école communale d'Ain Fezza.

Devenue communiste, elle a travaillé avec les groupes de paysans communistes de la région et des montagnes environnantes (et, il y en avait ! et, elle vous expliquera pourquoi). Son époux, Abdelkader Guerroudj (Djilali) était là, accomplissant, de son côté et a ses côtés, un travail politique intense. Connaissez-vous Jacqueline Guerroudj, expulsée d'Algérie, avec toute sa famille, en avril-mai 1955, car tous des «agitateurs communistes notoirement connus». Elle revient au pays début 1956 mais ses activités sont désormais clandestines. Début juillet 1956, le PCA «remet» ses forces armées au FLN? après un accord qui répondait aux vœux des Combattants de la libération, «malgré tous les problèmes qu'il posait». La lutte continue avec la zone autonome d'Alger, dirigée par Yacef Saâdi. Emprisonnée à Barberousse 15 jours après son mari en janvier 1957, condamnée à mort le 7 décembre 1957 (en même temps que Taleb Abderrahmane, que son époux Djilali? alors que Yahia Briki et Jean Farrugia étaient condamnés à perpétuité? Jacques Salort et Georges Marcelli étant condamnés à des peines moins lourdes), graciée le 8 mars 1958 (en même temps que Djamila Bouhired et Djamila Bouazza), elle a connu plusieurs prisons (El Harrach, Petites Baumettes à Marseille, Petite Roquette à Paris, Fontenay le Comte, Toulon, Toulouse, Pau?). A l'indépendance, citoyenne algérienne, elle est bibliothécaire à la faculté de droit d'Alger ; membre du FLN, elle le quitte après le coup d'Etat du 19 juin 1965. Mère de 5 enfants, grand-mère de 12 petits-enfants? elle a pris sa retraite à Alger.

Avis : Son préfacier, feu Abdelhamid Benzine a écrit : «Ce livre-témoignage est un cadeau particulièrement précieux, en un moment où vacillent les certitudes et où sont malmenées les hautes valeurs de tolérance et de solidarité humaine». Ce qui est sûr, c'est que grâce à son écriture, simple et directe, elle échappe aux «faux souvenirs» et bien qu'elle reconnaisse qu'une bonne partie de son passé «a sombré dans l'oubli», elle a merveilleusement «ramassé les restes»?avec, ça et là, de l'humour plein les pages, comme ces conseils «pour tenir le coup en prison». Des noms, des faits, des photos. De très beaux restes. A déguster ! Ah, si j'étais cinéaste.

«Le café de l'Imam» Récit de vie Ouvrage de Fadela M'Rabet Edtions Dalimen , Alger 2011 (première édition, Riveneuve Editions Paris, 2011) 119 pages, 450 dinars

Connaissez-vous Fadila M'Rabet, la bête noire du pouvoir au milieu des années 60 ? Pas féministe pour un sou comme on a voulu le faire croire à l'époque, mais ardente combattante pour le respect et la dignité de la femme dans notre pays ! Son émission ? hebdomadaire, si je me souviens - à la radio (Chaîne III) avec son époux Tarik (Tarik Maschino, un militant engagé très tôt pour la libération du pays) faisait un «tabac»?et ses deux livres (1965 et 1967?édités à l'étranger, assurément? interdits de diffusion et de lecture en Algérie?et à l'époque, ça ne «rigolait» pas avec ces choses -là) fut vite «dénoncée» sous la pression des lobbies conservateurs et pseudo-révolutionnaires? et, vite fait, interdite. Ne restait plus que l'exil, car on le devine, être opposant politique à l'époque, ça pouvait toujours s'arranger quelque part, mais être «opposant sociétal»? dehors ! Aujourd'hui encore. Pour une femme, c'est encore pire. Un exil qui, peut-être, l'a brisé quelque part, car on lui a ôté une partie de ses racines auxquelles elle tenait tant. Elle a déjà écrit un ouvrage sur son enfance et ses vacances à Collo, sa jeunesse à Skikda, sa scolarité au sein d'un milieu hostile et raciste à l'occasion, les horreurs environnantes de la misère, de l'ignorance et de la répression (elle a «vu» les exécutions de mai 1945)? L'ouvrage actuel n'est pas un roman. Ce ne sont pas des mémoires. Ce n'est pas une autobiographie. Ce n'est pas un essai. Un savant mélange. Juste un livre de souvenirs qui plonge dans le passé? à travers des? pauses-café : Skikda (dans le patio de la maison familiale), Samarcande, Vienne, Venise, Sarajevo (offert par l'imam de la mosquée Ali Pacha, son meilleur café) Istambul, Boukhara, Paris, Alger (l'expérience la plus décevante? bien éloignée de celles des années 60), Damas? Le café est un breuvage qu'elle adore, certainement parce qu'il lui rappelle les odeurs de son enfance, les senteurs de la vie de la famille d'antan (c'est-à-dire apaisée) et les saveurs de sa jeunesse, en liberté. Extrait pour la route: «C'est dans les cafés que bat le pouls d'une société, que se montre son visage. C'est pourquoi les intégristes haïssent les cafés, ces temples de la liberté qui vident les mosquées, les synagogues, le temps de retrouver son autonomie?»

Avis : Mesdames, il se déguste? comme un bon café? fait maison. Par petites gorgées. Mais, choisissez seulement le lieu afin de ne pas être dérangé par des importuns... qui sont légion, même en famille. Le mari, le ou les garçons? Et, pour les plus jeunes, ils découvriront l'engagement (en faveur de l'émancipation de la femme) et le style décidé (limpide, allant droit au but) d'un grand auteur (ou essayiste) qui, elle, sait penser, pense encore librement et sait écrire ; un écrivain que l'Algérie a perdu durant près de 40 ans. De plus, Docteur en biologie, maître de conférences et praticien des hôpitaux, ce sont les «autres» qui ont profité de ses compétences. Misère de misère !

«La vaillance des femmes» Les relations entre femmes et hommes berbères de Kabylie... Etude. Ouvrage de Camille Lacoste-Dujardin Editions Barzakh, Alger 2009 (première édition, Editions La Découverte, Paris, 2008) 161 pages, 450 dinars

Voilà une étude, de la part d'une grande spécialiste qui connaît la société kabyle de l'intérieur, qui a vécu des années durant au sein des familles de la région, «adoptée» par l'une d'entre-elles, qui a appris la langue jusqu'à maîtriser les non-dits les plus cachés des contes?et qui «met à mal» les analyses ethnographiques habituelles comme celles de Pierre Bourdieu («qui a abusivement limité sa méthode et son objet») et de bien d'autres qui ont ignoré «la science des femmes» (laâllem tilawin), science «fort redoutée des hommes».

Résumé : l'ouvrage décortique la résistance des femmes à la «domination masculine», résistance qui s'est muée en contre-attaque?Cela ne se voit pas et ne se sent pas. Mais cela se pratique. Cela s'exprime dans les contes que les mères inculquent aux enfants, et où l'adulte effrayant est l'ogresse (teryel), expression extrême de la rébellion féminine face aux contraintes masculines que cette femme sauvage dénonce en chacun de ses actes. Par ce biais, les femmes kabyles, «remarquablement conscientes de leur assujettissement, font preuve d'une réelle pugnacité» et «ont mis et mettent encore en œuvre de réels contre-pouvoirs».Il y a aussi , un joli chapitre sur les héroïnes berbères qui «surpassent les hommes» comme Ti-n Hinan chez les Touaregs du désert, comme Chimsi, «chef» des At Iraten dans les années 1338-1339, comme Lalla Fadhma n'Soumeur des At Isourar,? et plus au Sud, chez les Chaouias de l'Aurès, Dihya la Kahena.

Avis : Difficile à lire, surtout pour les machos, mais ça vaut vraiment la dépense.