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Les va-nu-pieds et les pieds-noirs

par Ali Brahimi

A l'occasion des fêtes commémorant la date du 5 juillet, des intellectuels n'hésitaient nullement de fantasmer et, donc, ne pouvaient s'empêcher d'entremêler les objectifs ainsi que les profondes raisons du combat des va-nu-pieds à celui des pieds unoirs particulièrement jusqu'au-boutistes et ségrégationnistes

En revanche, d'autres pieds noirs, des métèques, les juifs d'origine maghrébine, turque, andalouse?, passionnément attachés à l'Algérie, ont effectivement participé à la révolution du peuple algérien dont nous venons de fêter le cinquantième anniversaire de la victoire. Toutefois, après 1962, ces groupes de personnes ont, pour la plupart, dramatiquement quitté l'Algérie alors qu'ils avaient les pleins droits d'y rester malgré les changements intervenus et les incertitudes des lendemains.

Ainsi, une mémoire objectivement assumée, de part et d'autre, devrait contribuer à l'apaisement des nouvelles générations en Algérie indépendante et celles de la France post coloniale, d'autant plus qu'il s'agit du triomphe d'une cause d'un peuple meurtri en face d'un magma de racistes formant de puissants groupes politico économique, liés à des membres du gouvernement de la 4 é République française, s'accaparant 90 % de terres agricoles arables et résidaient dans les meilleurs endroits des villes et villages tandis qu'une grande partie de la population algérienne, y compris des familles de pieds-noirs déclassés, vivotait dans les quartiers délabrés dont la plupart étaient sans eau ni électricité encore moins des sanitaires.

Le terme pied noir découle d'un ensemble de vocabulaires, issus notamment à partir de la prise de la Bastille le 14 juillet 1790, personnifiant les adeptes, de la révolution française, aux sans culottes, cordeliers, jacobins, feuillets, groupes des Girondins, Montagnards, les gens de la Plaine et enfin, en 1871, les communards de la deuxième vague des révolutionnaires de la région parisienne et périphérie particulièrement ceux originaires de la Beauce, une région céréalière, et d'ailleurs, attirés par les terres vierges et fertiles d'Algérie.

A la veille de la colonisation, l'Algérie ottomane exporter les céréales et importer les? animosités d'où les incursions des forbans et, tout de suite après, l'invasion des sans-culottes.

Donc, un pied-noir est un sobriquet par comparaison aux pieds noircis, d'après des historiens, par les marais des plaines de la Mitidja, entre autres zones proches de la mer méditerranée, asséchées en réalité par des centaines de milliers d'Algériens va-nu-pieds, issus notamment des hauts plateaux, décimés à cause des pénibles travaux forcés mettant en valeur les marécages : Merdja en arabe, d'ou le terme Mitidja. A l'époque, quelques cheikhs tribaux et de confréries, se transformant de facto en chefs de zaouïa, prédisposés aux sujétions, du genre celui qui est en selle aujourd'hui serait notre cavalier (farés men rkab alyoum), confondaient la soumission à l'impuissance et la sagesse aux pusillanimités. En d'autres termes, ces personnes ont la tendance de se plier devant la force de n'importe quel envahisseur y compris un gaouri (mécréant). C'est justement ce comportement hypocrite et défaitiste qui a donné, dés le début du 19 é siècle, des idées à la France révolutionnaire, impériale puis royale, ensuite républicaine, d'avoir le beurre (la terre) et l'argent du beurre (les productions céréalières). A partir de 1930, à cause de l'exploitation minière des terres agricoles, la production des céréales se réduisait comme peau de chagrin, tandis que celles vitivinicole et agrumicole s'accroissait d'où une économie marchande orientée en direction de l'exportation au détriment de la production du blé et l'orge (couscous et berk coucous en dialecte algérien) aliments de base d'une grande partie des ménages algériens ainsi désaxés moralement, physiquement, économiquement? Pratiquement, durant un siècle, la population algérienne n'a pas augmenté à cause des famines, la peste, le choléra, typhus?.

En plus, d'après des historiens se référant aux écrits d'officiers français particulièrement les saint-simoniens, l'armée coloniale après avoir brûlé, saccagé, les villages et les tentes des nomades, a ensuite opéré aux déplacements des tribus de leurs lieux d'origine dans d'autres endroits éloignés. En effet, instinctivement, le système colonial perçoit les tribus comme des entités faussant les paysages et, de ce fait, ne constituent qu'un grenier de main d'œuvre à bon marché et, en même temps, de la chair a canon durant les deux guerres mondiales.

Au cours de la guerre de libération nationale, dont le souvenir existera en nous tout le temps, les milices ultras colonialistes étaient le fer de lance des répressions ainsi que des manœuvres diaboliques, à partir de 1956/57, dont la redoutable opération des bleus qui a fait des ravages parmi les groupes de l'ALN dont beaucoup se chausser, pour la première fois de leur vie, de pataugas et des espadrilles en toile?bleue, perçus à l'époque comme un luxe par rapport aux boumentels ( bottes en haillons et d'Alfa) que les montagnards, utilisaient jusqu'à que la plante, de leurs pieds, devienne coriace pareille a une semelle en cuir. Ainsi, les esprits et les corps, des Algériens et Algériennes de l'époque, étaient exaltés et solides à toute épreuve.

Aujourd'hui, ces forces d'âme et d'abnégations, ci-dessus succinctement esquissées, qui ont jadis attiré l'estime du monde, sont devenues rares voire perçues telles des niaiseries, anormales, périmées. En revanche le gaspillage, la corruption interne et externe, la médiocrité de l'âme et de l'esprit, la veulerie, mensonges et faux-semblants etc., sont perçues normaux y compris pendant les périodes festives commémorant le souvenir du sacrifice des martyrs.

Enfin, fêter dignement le 5 juillet, dans le respect et la continuité des nobles et solides principes qui ont fait la force et la renommée reconnue de la révolution algérienne polarisant la sympathie et l'admiration des voisins et les lointains, c'est surtout d'avoir une grande envergure, au plan politique, diplomatique? ainsi que de posséder la volonté tenace et l'aptitude coriace afin de conserver le prestige de son aura d'antan et de continuer inlassablement, sans ambages ni l'ombre d'un doute, d'âtre du côté des causes justes de par le monde.