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FLN : Genèse d'une crise d'un parti pas comme les autres

par Ghania Oukazi

La réunion du Comité central du FLN confrontera Abdelaziz Belkhadem à deux courants dissidents, le mouvement de l'authenticité et le courant centraliste qui tous deux revendiquent son départ.

La réunion statutairement ordinaire du Comité central du FLN se tiendra les 15 et 16 juin prochains à l'hôtel Ryadh de Sidi Fredj en présence des 351 militants qui en sont membres. S'il est d'ores et déjà avancé que le secrétaire général du parti est poussé vers la porte de sortie sous la forte contestation à laquelle il fait face depuis de longs mois, l'on s'aperçoit que d'un côté ou d'un autre, les esprits cherchent à se calmer et à éviter la confrontation qui risquerait d'être physique et qui, pensent tous « serait un comportement non seulement contre le parti mais aussi contre le pays tout entier». Mohamed Zoubiri, un des membres du CC et mouhafadh d'El Harrach depuis 2006, nous en a parlé avant-hier avec beaucoup de sérénité et de sens de la responsabilité. «J'étais un ami intime à Belkhadem, j'étais son serviteur dans le cadre du parti, on se retrouvait au niveau des idées et des principes que nous défendions ensemble au nom du parti et pour l'Algérie, je suis mouhafadh d'El Harrach depuis 2006, j'occupe une mouhafadha qui a été fermée pendant 15 ans, je l'ai reprise en main, nettoyée, réhabilitée et j'ai même invité Belkhadem pour le constater lors de l'inauguration du siège en 2008, il a donc vu que j'ai travaillé pour le parti avec mes tripes et ce depuis toujours», nous raconte Zoubiri. Mais, soupire-t-il «lors de l'élaboration des listes des candidatures pour les législatives, il nous a ignorés, tous ceux qui ont travaillé comme moi, il a ignoré les moudjahidine et les militants qui ont soutenu ma candidature et a préféré placer une femme qui a à peine deux mois dans le parti». Il estime alors que « Belkhadem n'a pas fait un bon partage des sièges au niveau de la wilaya d'Alger, El Harrach n'a aucun siège alors que la localité a un demi-million d'électeurs, 2.000 moudjahidine, 730 chouhada, il l'a ignoré parce que c'est un quartier populaire, pourtant c'est pour cela qu'on doit avoir des députés, pour défendre les droits des citoyens défavorisés?.». Vous êtes mécontent parce que vous n'êtes pas député ? lui demandons-nous. «C'est mon droit ! Je dois gagner ma vie !» s'est-il exclamé. «Je ne suis ni contre les idées ni contre les principes de Belkhadem mais il sait que la mouhafadha d'El Harrach n'est pas représentée depuis 1997, comme celle de Baraki d'ailleurs. Ces quartiers populaires, des gens qui n'ont rien, n'ont pas de place dans l'APW d'Alger, ce n'est pas normal ! ». A la question comment va se passer la réunion du CC ? Zoubiri répond sans hésiter «le plus normalement du monde, on est pacifique, c'est notre parti, c'est notre pays, on fait tout pour la paix en Algérie, pour que tout le monde puisse vivre dignement, il faut juste que les responsables sachent qu'il y a des gens qui vivent aisément et d'autres qui galèrent». Il espère ainsi que «les membres du CC vont parler entre eux, discuter calmement même en faisant appel à l'urne mais surtout à la raison». Il craint bien sûr que «si la contestation sera gérée par la passion, il y aura des dépassements, ce serait dommage». Il se promet d'ores et déjà de poser «beaucoup de questions à Belkhadem, auxquelles je voudrais qu'il réponde, la première étant comment les vrais militants doivent-ils être récompensés pour leur militantisme, leur dévouement et leur fidélité au parti et à ses idéaux ?».

«HRAOUBIA A LAMINE TOUTES LES ELITES DU PARTI»

Boudjemaa Haïchour, ancien ministre, membre du CC se réclame lui du courant centraliste. C'est d'ailleurs lui qui a pris la peine de nous expliquer «la nuance» qui existe entre les deux mouvements de contestation qui se sont déclarés contre Belkhadem. «Le premier qui s'est déclenché en 2010 au lendemain du 9e congrès et la désignation du Bureau politique (BP), s'appelle le mouvement d'authenticité et de redressement, ceux qui l'ont créé ont dit à Belkhadem que lors du 9e congrès, il y a eu un grand nombre d'indus occupants (un tiers des congressistes n'avaient pas cumulé le nombre d'années de militantisme qu'il faut pour l'être), d'où leur revendication du départ de Belkhadem et du BP». L'ancien ministre des TIC précise qu'avant le congrès, « Abderrezak Bouhara avait distribué un document portant un texte doctrinal pour décrier la gestion du parti. Bouhara et d'autres membres se sont d'ailleurs retirés totalement de la vie statutaire et organique que dirige Belkhadem». Le groupe Bouhara est appelé selon Haïchour «le groupe des sages qui veut que les problèmes se règlent dans la sérénité ».

Quant aux animateurs du courant centraliste dont il fait partie, l'ex-ministre date son émergence «à la suite de la parution des listes des candidatures pour les législatives du 10 mai dernier, confectionnées par des membres du BP sous la houlette de Belkhadem». Des listes qu'il affirme avoir été composées «par des personnes détentrices de la Chkara (argent sale) ou des indus occupants (non militants du parti)». Haïchour fait savoir que «j'ai moi-même dit à Belkhadem que ce sont les mêmes personnes qui ont été à l'origine de la crise au FLN, vous prenez alors la responsabilité devant l'histoire parce qu'il va y avoir un mouvement de protestation à votre égard». Notre interlocuteur ne manquera pas quand même de souligner que «c'est Hraoubia qui a été le maître d'œuvre de la confection de ces listes, il a ainsi laminé toutes les élites militantes et intellectuelles du parti».

Il rappelle que «nous avons demandé à ce qu'il n'y ait sur les listes ni mouhafadhs, ni membres du BP, ni les ministres, mais Belkhadem a retenu quatre candidats du BP et des ministres en poste, nous avons alors compris que les choses étaient ficelées, que Belkhadem se projetait en tant qu'héritier de la présidence de la République, Hraoubia voulait la présidence de l'APN et Nouara Djaafar allait être remplacée à son poste de ministre par une des femmes candidates FLN». Le «Nous» dans la phrase, veut dire selon Haïchour, ceux qui «constituons le courant des centralistes, on fait une extrapolation sur l'histoire, on est contre les zaâmate (leadership ndlr)». Les deux courants «y compris les sages», dit-il, se sont unis et demandent « le départ de Belkhadem». Ils veulent un seul point à l'ordre du jour de la réunion du CC du vendredi prochain à savoir «faire parler l'urne pour voter en faveur d'un retrait de confiance au secrétaire général du parti».

«LE 15 JUIN, BELKHADEM NE SERA PLUS SG DU FLN»

Une telle motion, faut-il le rappeler, a été proposée par Belkhadem lui-même avant qu'il ne se rétracte. «Il a changé d'avis parce qu'il sait qu'il n'aura pas de voix puisque nous avons 210 signatures d'engagement de retrait de confiance des membres du CC sur les 351 qu'il compte» affirme Haïchour. Mais, dit-il, «ne parlons pas statistiques, il refuse d'aller à l'urne, il veut que le CC s'affronte physiquement». Haïchour affirme néanmoins que «nous allons y aller dans la sérénité, nous avons trois possibilités statutaires pour destituer Belkhadem, le vote du retrait de confiance à main levée, par l'urne à bulletin secret ou par consensus, cette dernière est impossible, la première possibilité provoquera une cacophonie et l'urne est refusée par Belkhadem». Alors ?

«Nous allons continuer à nous exprimer dans le strict respect des statuts sauf provocation et dérapage, et là on s'attend à ce qu'il lève la séance pour gagner encore du temps» dit-il. A ceux qui pensent que les contestataires en veulent au président de la République en premier et en dernier lieu, Haïchour répond que « dans son discours du 8 mai, le Président a confirmé sa filiation politique historique (?) ; mais on a un signe révélateur qui fait qu'il n'a rien à voir avec ce qui se passe au FLN, l'échec de Hraoubia d'être président de l'APN». En tout état de cause, l'ex-ministre persiste et signe «le 15 juin marquera la déchéance et la destitution de Belkhadem, j'en suis convaincu, il ne sera plus SG du FLN, ou il partira et les militants se disputeront entre eux, ou il démissionnera, ou on va le faire démissionner».

Aïssa Kassa, responsable de la communication du parti et membre de son CC et de son BP, nous dit que «nous souhaitons que ça soit une réunion qui aura pour objectif la consolidation du parti et la stabilité de ses structures». C'est à ses yeux «une réunion qui devra préparer le grand RDV des élections locales et le projet de la Constitution». Pour lui «il est évident que les responsables organiques doivent être comptables devant les instances qui les ont élus». Il pense alors qu' «en tant que membres du BP, nous devons rendre compte dans cette réunion des programmes exécutés, nous devons donc présenter le bilan moral, financier et organique ainsi que le programme du parti».

«LE SG EST SOUVERAIN»

Cheikh Hafsi, membre du CC et du BP, est compté parmi les pro-Belkhadem. Il nous en parle sans complexe. «Ce qui se passe au FLN n'est ni dans l'intérêt du parti ni du pays, ces gens-là sont mus par des intérêts personnels, même pas de groupe. Preuve en est, ils ont cohabité avec Belkhadem pendant de longues années sans lui trouver quoi que ce soit de mauvais, cela veut dire que leur vecteur et celui du SG allaient dans le même sens, c'est que ça protégeait leurs intérêts». Il pense que les contestataires d'aujourd'hui trouvaient avant «leurs intérêts dans les postes de responsabilité qu'ils ont occupés. A partir du moment où ils ne sont plus ni ministres ni députés, il est clair que la résultante des vecteurs ne va plus dans la même direction. Automatiquement, il y a clash». Cheikh Hafsi estime que «personne ne peut à lui seul représenter le parti et parler en son nom». Il rappelle que «le FLN a renouvelé les têtes des listes des législatives à la demande de la population. Il faut alors savoir quitter la table quand elle est desservie. Il faut avoir le courage d'être militant jusqu'au bout avec ou sans poste de responsabilité». Il appelle «tous les membres du CC à savoir reconnaître le bon grain de l'ivraie». Il pense d'ailleurs que «la base a plus de maturité et de sens de la responsabilité que ces contestataires». Il fait savoir à propos de la réunion du CC qu'en cas de grabuge «soit elle est suspendue et renvoyée à une date ultérieure, c'est-à-dire quand les esprits seront plus calmes, et convoquer plus tard une réunion extraordinaire du CC et pourquoi pas un congrès extraordinaire». Hafsi compte 190 voix sur les 351 membres du CC en faveur du SG. «Il suffit juste de vérifier nom par nom, le CC est souverain, il y a des sages qui pourraient être désignés des deux côtés, qui aideront à le faire dans la sérénité», dit-il. Il souligne aussi que «le SG est souverain, c'est à lui de décider». Le refus du SG du vote de confiance fait interroger Hafsi ainsi «pourquoi prêter le flan à des actions de déstabilisation et de division, ce n'est bon ni pour le parti ni pour le pays. Le FLN n'est pas n'importe quel parti, il n'appartient à personne d'en faire sa propriété comme c'est le cas des contestataires, ce qui est une grave erreur dans le militantisme». Le SG dirige le parti, dit-il, «conformément à la responsabilité que lui confèrent les statuts. Ils peuvent dire et lui reprocher ce qu'ils veulent, ils doivent le prouver au sein du CC lors du point organique inscrit à l'ordre du jour».