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Comment se fera le retour sur investissement des Occidentaux dans la guerre en Libye

par Said Mekki

Il y aura bien un «partage du butin» en Libye mais pas sous la forme grossière d'une mainmise, très historiquement connotée, sur les ressources pétrolières. La Libye est à reconstruire. Les grandes entreprises françaises et britanniques ont de gros contrats de réalisation, d'équipements et de service à prendre et elles sont naturellement très bien placées. L'armée libyenne est à refonder.

Et à rééquiper. Les Russes sont «out». Le plan de charge des entreprises occidentales pourrait bien rapidement s'étoffer de contrats libyens.

Une part de 35% dans le secteur pétrolier libyen aux compagnies françaises. Le chiffre qui était déjà évoqué dans les médias depuis plusieurs semaines a pris un air de «véracité» avec la publication par le journal Libération d'un fac-similé d'une lettre en ce sens du CNT datée du 3 avril, un peu plus de deux semaines après l'adoption par l'ONU de la résolution 1973. Le courrier évoque une promesse d'accorder une part prépondérante de la production de pétrole aux Français «en échange d'un soutien total et permanent au CNT». L'information a été démentie par le gouvernement français et le CNT. Le président du CNT, Mustapha Abdeljalil, a formellement nié l'existence «d'accords, de contrats ou de promesses» sur l'exploitation du pétrole libyen. Si un média a connaissance de tels accords, il doit nous en faire part car cela tomberait sous le coup des accusations de corruption dont nous avons fait état». M. Abdeljalil avait fait également état d'informations «faisant état de corruption au sein des institutions nationales... Nous allons enquêter et si ces faits sont prouvés, nous annoncerons publiquement les noms des personnes et leurs actes et ils seront punis par un tribunal pénal». Les experts, à l'instar de l'Algérien Hocine Malti (voir l'entretien) ont accueilli avec beaucoup de scepticisme «l'information». Ils considèrent que la production d'hydrocarbures du pays, largement contrôlée par des compagnies occidentales, ne peut être redistribuée de manière significative sans créer d'insurmontables problèmes juridiques. Les contrats de production sont des engagements très formalisés et à long terme en règle générale. D'où les interrogations sur les objectifs de la missive qu'aurait signée Mohamed Chammam, ministre de l'Information du CNT et adressée au gouvernement du Qatar, émirat qui joue un rôle central dans la crise libyenne.

Un pays à reconstruire

Les pays qui ont conduit la guerre contre le régime de Kadhafi ne l'ont pas fait pour la beauté du geste ou pour de nobles considérations morales. C'est une évidence. Pour certains membres de l'OTAN qui ont accueilli avec beaucoup de réserves ? c'est un euphémisme ? les révolutions tunisienne et égyptienne cette intervention a été un excellent moyen de redorer un blason fort terni dans l'opinion arabe et tenter d'effacer les coupables compromissions de certaines élites de pouvoir avec la défunte Jamahiriya. Les récentes révélations du journal en ligne Médiapart sur les relations nouées par des dirigeants français avec le régime Kadhafi sont à cet égard tout à fait accablantes. Mais à l'évidence, les parrains de l'insurrection libyenne attendent un retour sur investissement à la hauteur de leur engagement. La guerre a un coût direct et un prix qui restent à évaluer et à, au moins, compenser. Cette charge sera supportée, c'est aussi une règle d'or, par ceux qui sont redevables de leur victoire. Le partage du butin aura bien lieu. Mais pas nécessairement au moyen d'une grossière mainmise sur les ressources naturelles du pays dans le registre colonial du XIXe siècle. La Libye est un pays très riche. Ses réserves pétrolières sont estimées entre 44 milliards et 60 milliards de barils. Avant la guerre civile, la Libye produisait officiellement 1,6 million de barils de pétrole par jour, ce qui la classait au 17e rang mondial. Les réserves financières du pays, parfois placées de manière hasardeuse par des Fonds souverains connus pour leur incompétence et leur corruption, seraient de l'ordre de 150 milliards de dollars. La Libye est donc un marché parfaitement solvable dont les infrastructures ont énormément souffert de la guerre et dont l'économie est à l'arrêt depuis plusieurs mois. Pour des analystes et des banquiers, c'est plutôt à ce niveau très probablement que vont se distribuer les contrats de réalisation, d'équipements et de service qui viendront récompenser les alliés de l'OTAN. Les grandes entreprises de construction, de fournitures d'équipements françaises et britanniques, qui sont sur les starting-blocks, tireront les marrons d'un brasier très rentable. Selon un banquier londonien, qui évalue les projets de reconstruction et de réhabilitation à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Les dépenses d'infrastructures civiles et de «développement» ne constituent qu'une partie des contrats attendus.

Une armée à rééquiper

L'armée Libyenne pulvérisée par l'aviation occidentale, démontrant cruellement l'inefficacité des matériels russes, devra être elle aussi, elle surtout, rapidement reconstituée sur des bases renouvelées du tout au tout. Le fournisseur traditionnel a déjà fait son deuil du marché libyen ou les pertes de Moscou, en termes d'équipements de défense, se chiffrent déjà à plus de 4 milliards de dollars. Les besoins de la Libye sont très significatifs et très diversifiés dans un pays mal administré et ravagé par une guerre brève mais de haute intensité. Dans un contexte de crise durable et de menace de récession globale, les grandes entreprises misent sur la stabilisation rapide de la situation et finalisent leurs dossiers. Les rivages des Syrtes, titre d'un très beau roman de Julien Gracq, plutôt que d'évoquer un environnement désolé et sans espoir pourraient être, si la situation est favorablement stabilisée, l'eldorado des Bouygues, Alsthom, BT Group, Alcatel, Dassault Aviation, BAE Systems et bien d'autres.