Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quand la bureaucratie prive des malades de soins: L'autre souffrance des cancéreux

par Mokhtaria Bensaâd

Un produit entrant dans le protocole de la chimiothérapie, «CISPLATINE», est en rupture de stocks à travers tous les établissements hospitaliers du pays depuis plusieurs semaines. Une situation dramatique pour les cancéreux. Depuis deux mois, les établissements hospitaliers n'ont pas été approvisionnés par la pharmacie centrale. Les stocks ont été épuisés il y a un mois. Les malades ne savent plus à quel saint se vouer. Pour ceux qui souvent sont obligés de faire des dizaines de kilomètres pour une cure, le désespoir est encore plus profond lorsqu'ils rentrent chez eux bredouilles. Un proche d'un malade suivi au service d'oncologie au CHU d'Oran exprime avec peine les souffrances de son beau-père qui, deux mois après avoir commencé la chimiothérapie, a vu sa vie se transformer en enfer à cause de cette pénurie qui s'est installée. «Sa vie est devenue un véritable calvaire. Il ne mange pas, il ne boit pas. Sa santé s'est dégradée en l'absence de traitement. Nous avons été obligés de faire du porte-à-porte dans les hôpitaux des autres wilayas pour nous procurer ce produit. Mais ce n'est qu'une solution provisoire», dira avec amertume notre interlocuteur.

Pour un spécialiste au niveau du service d'oncologie, «la situation est insupportable pour nous, le personnel médical ou paramédical. Nous nous sentons en situation d'impuissance pour soulager la souffrance de tous ces patients qui viennent pour une cure et qui retournent le dos courbé». Pourquoi cette rupture de stocks ? Le spécialiste souligne que la seule explication qu'ils ont pu avoir est l'existence d'un problème de budget au niveau de la pharmacie centrale de l'hôpital, seule habilitée à approvisionner les établissements hospitaliers en médicaments. «Nous avons été obligés à cause de cette pénurie de signer des décharges aux malades pour qu'ils puissent se procurer le produit auprès des hôpitaux des wilayas avoisinantes mais cela ne règle pas le problème».

 Pour le chef de service d'oncologie au CHU d'Oran, voilà deux mois que les malades sont privés de la chimiothérapie à cause d'un problème, dira-t-il, bureaucratique. Explication de ce spécialiste et membre du comité national de cancérologie : «Toutes les wilayas ont été pénalisées à cause d'un retard dans l'élaboration des commandes. Des commandes devant être établies dans un délai bien précis auprès des laboratoires afin que l'approvisionnement soit effectué dans les temps. Chose qui n'a pas été faite», explique notre interlocuteur. Résultat, la pénurie de «CISPLATINE» est enregistrée sur tout le territoire national. Selon ce spécialiste, «nous avons écrit au ministère de la Santé pour lui exposer ce problème, mais sans résultat. Nous avons des produits qui coûtent entre 30 et 35 millions de centimes mais le CISPLATINE, qui ne coûte que 200 DA et rentre dans beaucoup de protocoles, est introuvable !». «La solution, estime ce spécialiste, réside dans la décentralisation des commandes à l'échelle régionale ou de wilaya. La commande ne sera pas ainsi nationale et chaque région sera responsable de son approvisionnement. Dans le cas contraire, le problème va persister».

 Se sentant livrés à eux-mêmes, les cancéreux prennent leur mal en patience en attendant une intervention du ministère. La pénurie de «CISPLATINE» n'est pas le seul problème auquel sont confrontés les cancéreux. En effet, pour bénéficier des soins post-opératoires, c'est aussi la galère. A Oran comme dans la wilaya de Tlemcen, il y a pénurie de pochettes et de cup, un concentré de plaquettes. Les malades qui suivent un traitement en chimiothérapie doivent constamment avoir des transfusions sanguines après la «chimio» afin d'éviter les aplasies. Or, pour ces malades aussi, un problème technique est signalé dans l'appareil qui prépare ces cup. Des contraintes qui obligent des patients à chercher des donneurs et les faire déplacer des autres wilayas, indiquent des familles de malades. Une démarche épuisante car pour trouver les donneurs, c'est un vrai parcours du combattant.

 La représentante de l'association des enfants cancéreux à Oran explique que la rupture de médicaments, la pénurie de pochettes et de cup enregistrées souvent accentuent les effets secondaires pour les malades et rendent tout traitement inefficace. «Il ne faut pas s'étonner, dira-t-elle, si un cancéreux ne se rétablit pas après une opération chirurgicale si les soins post-opératoires ne sont pas accessibles. Et c'est tout le problème qu'endurent nos malades».