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Société Générale: L'Afrique du Nord en point de mire

par Houari Saaïdia: Casablanca

Tantôt sous forme d'un signe subliminal, tantôt sous forme d'un message explicite, la question de l'ouverture de la frontière algéro-marocaine revenait tel un leitmotiv lors de la rencontre régionale organisée dernièrement à Casablanca par Société Générale, consacrée au plan de développement 2009-2015 de cette banque internationale, intitulé «Ambition SG 2015». Si tous les hauts cadres de la banque au logo carré mi-rouge mi-noir qui se sont relayés au pupitre ont émis ce vœu sans le dire, évitant ainsi volontairement les propos à connotation politique, Mohamed Berrada, ancien ministre marocain des Finances, lui, est allé au-delà du sous-entendu. Pour le premier argentier du Royaume chérifien au temps du gouvernement Mohamed Karim Lamrani 3, ancien ambassadeur du Maroc en France et professeur d'économie à l'université Hassan II de Casablanca, la réouverture de la frontière avec l'Algérie est «l'un de nos défis majeurs». En fin économiste, l'ancien dirigeant de Royal Air Maroc a donné un aperçu succinct sur les retombées d'une telle mesure sur l'économie de son pays (au minimum un apport de 1% du PIB, a-t-il précisé). Dans l'autre sens, c'est-à-dire «qu'est-ce que gagnerait l'Algérie en rouvrant la frontière ?», l'ancien ministre marocain ne dira mot. On peut supposer que le conférencier marocain, par bienséance diplomatique peut-être, s'est contenté de «défendre» les intérêts économiques de son pays dans ce contexte régional, laissant aux officiels algériens le soin de plaider les leurs. Plus pragmatiques, les banquiers de la SG, quant à eux, ne fondent pas leurs projets sur l'hypothétique. «La stratégie est l'art d'être systématiquement chanceux», dira, tout sourire, Bernardo Sanchez-Incera, directeur général délégué du groupe Société Générale.

 En attendant des jours meilleurs donc, il n'existe pas une chose qui s'appelle UMA ou Pôle régional du Maghreb dans le glossaire de Société Générale. En fait, l'entête «Afrique du Nord» ne désigne qu'une des régions du découpage géographique adopté par la 8e banque mondiale en terme de produit net bancaire pour la conception de sa stratégie à l'international, pas un ensemble mais un ensemble de pays. Cette zone à fort potentiel (non affectée par la crise financière, dette publique faible, forte croissance démographique, investissement étranger en hausse, croissance PIB de +5%, crédits/PIB de 42% en 2009, taux de bancarisation de 42% seulement?) représente néanmoins une bonne part du chiffre d'affaires global de Société Générale. D'où un niveau d'engagement par SG porté sans cesse vers le haut dans cette zone, et qui se traduit par un plan quinquennal 2009-2015 ambitieux, avec l'implantation de 380 nouvelles agences (soit +60%) et un objectif de plus de 1,3 millions de clients particuliers à terme. En clair, Société Générale veut devenir la 1re banque à capitaux privés en Afrique du Nord. Et tout laisse à croire qu'elle a les moyens de sa politique. Pour l'heure, elle occupe, par le biais de sa filiale Société Générale Algérie (SGA), le rang de 2e banque à capitaux privés en Algérie, où elle compte 270.000 clients, dont 90% de particuliers, ainsi qu'un réseau de 63 agences couvrant 19 des 48 wilayas du pays, avec par ailleurs un total bilan supérieur à 150 milliards de DA et des fonds propres dépassant les 20 milliards de DA. Et, surtout, une disposition affichée par le groupe bancaire français à accroître davantage ses capitaux propres en Algérie, à en croire Jean-Louis Mattei, directeur de la banque de détail à l'international. Une visée qui reste cependant dépendante de la bonne volonté du gouvernement algérien. «Nous voulons augmenter notre niveau d'investissement en Algérie si bien sûr le besoin est exprimé par les autorités de ce pays. L'augmentation des capitaux ne se ferait pas forcément par l'apport de la maison mère», a répliqué le même responsable de banque à une question d'un journaliste lors du débat ayant suivi son intervention centrée autour du thème «Réseaux à l'international, un moteur de croissance pour le groupe Société Générale». Dans cinq ans, SG ambitionne de devenir tout simplement le leader des banques à capitaux privés sur la place d'Alger, comme l'a indiqué Jean-Louis Mattei, qui a, dans un autre registre, fait savoir que son groupe bancaire table sur un résultat net part de 6 milliards d'euros en 2012.

 Tout le marché africain (à part l'Afrique du Sud, où il ne reste que 1% des parts du marché) est lorgné par SG, notamment dans le créneau de détail, avec comme objectif d'ouvrir 480 agences dans ce continent d'ici à 2015 pour la conquête de 1,7 millions de nouveaux clients.

 Pour sa part, Gérald Lacaze, président du directoire de Société Générale Algérie, après avoir passé en revue les indicateurs macroéconomiques de l'Algérie, son système financier et ses opportunités d'investissement, a fait zoom sur l'un des produits innovants, à savoir le service baptisé «Ici et Là-bas», dispositif dédié principalement à la communauté algérienne établie en France. Concrètement, un Algérien vivant en France pourrait par exemple se rendre à l'agence double enseigne de Marseille pour constituer un dossier de crédit immobilier en vue d'acquérir un logement en Algérie ou solliciter un crédit auto pour l'achat d'une voiture neuve auprès d'un concessionnaire algérien. Ces deux produits sont commercialisés par Société Générale Algérie. Toutes les démarches pour des produits de la filiale algérienne de Société Générale peuvent être entreprises en France (là-bas) mais la signature des contrats peut se faire en Algérie (ici), auprès d'une des agences de SGA, qui fera office de relais pour la gestion du dossier, a expliqué Gérald Lacaze au cours d'un table ronde. L'idée-force de cette innovation de Société Générale: profiter de l'absence de banques algériennes en France, qui va lui permettre d'avoir un quasi-monopole sur au moins une partie des transactions bancaires entre l'Algérie et l'Hexagone.