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Novembre, symboles et programme politique: Novembre a fondé l'Algérie moderne.

par Abed Charef

Mais au fait, c'était quoi, Novembre ?Aucun symbole, aucune date, aucun homme politique ne réunit, en Algérie, un consensus aussi puissant que le 1er Novembre. Qu'ils soient de gauche ou de droite, de vrais démocrates ou des apprentis dictateurs, islamistes ou laïcs, tous les hommes politiques s'en réclament, et chacun veut se poser comme le véritable héritier du 1er Novembre. Cette course à l'héritage inclut aussi bien ceux qui sont au sommet du pouvoir, ceux qui aspirent à les remplacer que ceux qui occupent des strapontins et se contentent momentanément de déclarations d'allégeance. A leurs yeux, toutes les ambitions peuvent se justifier par l'affirmation d'une fidélité aux idéaux de Novembre. Il suffit de jurer fidélité aux martyrs de Novembre pour se lancer à l'assaut d'une kasma FLN avec les redresseurs, pour quitter le FLN et rejoindre un autre parti, ou pour créer un nouveau parti, en accusant les anciens compagnons d'avoir trahi l'esprit de Novembre. A contrario, aucun homme politique n'ose critiquer le 1er Novembre. Des personnalités d'envergure, qui avaient des responsabilités importantes dans le mouvement national, et qui avaient hésité ou refusé de participer au 1er Novembre, n'ont jamais pu aller jusqu'à remettre en cause les choix du 1er Novembre. Le comble est atteint lorsqu'on constate que même dans le débat académique, cela semble banni.

Cette frénésie de légitimation à travers les symboles de Novembre crée des situations cocasses. Des hommes qui ont passé des années au sein de l'ALN ou du FLN pendant la guerre de libération se sont retrouvés poussés vers la sortie par des « jeunes loups » qui se sont emparés de la maison FLN, et dont la principale qualité est l'opportunisme politique. D'autres, qui n'ont pas du tout vécu la guerre de libération, se déclarent plus « novembristes » que Ahmed Ben Bella et Hocine Aït-Ahmed, des initiateurs de Novembre.

Il semble pourtant possible de mesurer la fidélité à l'esprit de Novembre. Il faudrait alors quitter le monde des symboles et de la langue de bois, pour revenir aux objectifs fixés par la déclaration du 1er Novembre. Celle-ci résume, sommairement, les objectifs de l'insurrection prônée par Mostéfa Benboulaïd et ses compagnons en trois points : restauration de la souveraineté nationale en rétablissant l'Etat algérien indépendant, établissement d'un système démocratique et social, et construction de l'unité du Maghreb.

Le premier objectif est considéré comme atteint, depuis le 5 juillet 1962, indépendamment de l'opinion qu'on peut avoir du système politique algérien et des hommes qui gouvernent le pays. L'Algérie est un pays souverain, membre des Nations Unies, disposant de tous les attributs de la souveraineté.

Les autres points restent encore à réaliser. Etre dans l'esprit de Novembre signifierait alors que toute action politique engagée doit se situer dans cette logique de construction démocratique et d'édification du Maghreb. Toute personnalité politique qui s'en écarterait serait, de facto, considérée comme en dehors de l'esprit de Novembre. Prôner un système totalitaire, refuser la liberté des autres, situer l'avenir de l'Algérie en dehors du cadre maghrébin seraient ainsi des arguments suffisants pour justifier une «excommunions».

On pourrait également ajouter une autre idée force du 1er Novembre, l'unité nationale. Elle était considérée comme une condition essentielle du succès. Même si une élite avait décidé de déclencher la guerre de libération, la mobilisation de tous les courants et de tout le peuple était considérée comme une tâche prioritaire. Personne ne devait être abandonné au bord du chemin. Prôner l'exclusion d'une partie du peuple dans cette démarche peut donc apparaître clairement comme une entorse à l'esprit de Novembre.

Enfin, un aspect central de l'esprit de Novembre réside dans la cohérence entre différents éléments du projet défini, d'une part, et entre ce projet et les moyens d'y parvenir, d'autre part. L'indépendance ne pouvait être conquise sans unité nationale, laquelle était considérée comme un premier pas vers la démocratie. A son tour, la démocratie favoriserait naturellement l'unité du Maghreb.

Mais depuis quelque temps, les objectifs de Novembre sont perçus de manière séparée. Certains considèrent même que l'Algérie peut se contenter de l'indépendance, et se passer du reste. La démocratie serait un luxe, et l'unité du Maghreb un slogan qui peut attendre quelques décennies, ou quelques siècles. C'est oublier qu'il s'agissait d'un ticket, dont les éléments ne sont pas seulement liés, mais totalement interdépendants.

En ce sens, la liberté pour le pays ne pouvait avoir de sens que si elle débouchait sur la liberté des citoyens. Et cet objectif d'indépendance était forcément une étape vers l'édification du Maghreb. A contrario, renoncer à l'idée de Maghreb ou au projet démocratique constitue aussi bien une déviation par rapport au projet de Novembre qu'une première menace pour la souveraineté de chaque pays du Maghreb.