Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Faut-il vraiment abolir la peine de mort ?

par Mahrez Chennouf

Une sentimentalité suspecte conduit parfois certains de nos intellectuels à réclamer l'abolition de la peine de mort. Cette revendication est fondée implicitement sur une idéologie humaniste encore tributaire du mythe du «bon sauvage» relativisant la responsabilité de l'homme et considérant ses actes comme le résultat d'un conditionnement social et de circonstances fortuites.

 Ainsi par la grâce d'une banale vue de l'esprit le criminel le plus endurci pourrait se retrouver blanchi. Et il arrive même parfois que ses délires et ses angoisses dans le couloir de la mort ne nous soient guère épargnés. Quant aux victimes innocentes trop vite reléguées dans l'ombre de l'oubli, c'est tout juste si on se soucie du malheureux sort qu'elles ont dû subir, sans doute parce que leur présence quasi fantomatique est beaucoup moins fascinante que la cogitation et les agitations d'un condamné à mort.

 Cette complaisance à l'égard du crime et de la délinquance est d'ailleurs une caractéristique très particulière de la mentalité moderne. Ainsi s'il peut vous arriver de surprendre un intrus dans votre domicile, vous n'avez surtout pas intérêt à réagir trop brusquement. Vous risquez de vous retrouver principal accusé et apprendrez alors à vos dépens que les droits des délinquants sont les mieux protégés du monde même s'ils sont baptisés improprement «droits de l'homme». Dans ce contexte, le citoyen honnête se retrouvera pris en otage et très souvent piégé lorsqu'il se trouvera aux prises avec une race de délinquants pervers, manipulateurs et procéduriers.

 S'autoriser à qualifier la peine de mort d'inhumaine ou de barbare n'est-ce pas là encore une manière de couvrir et d'escamoter la barbarie du crime qui la justifie ? Selon les abolitionnistes de la peine de mort, aucun homme n'aurait droit de vie ou de mort sur un autre homme. Ce qui est tout à fait exact mais à une nuance près. C'est que le juge qui prononce une sentence d'exécution ne le fait pas en son nom propre mais au nom de la collectivité, au nom de l'Etat. Or, ou un Etat est totalement souverain, ou il n'est plus tout à fait souverain. Car si l'Etat se défile devant la responsabilité d'exécuter des monstres sociaux, comment pourrait-il se prévaloir demain du droit d'envoyer de jeunes conscrits innocents se faire massacrer sur le front pour des raisons pas toujours évidentes et même parfois futiles ?

 Les abolitionnistes prétendent également que la justice ne saurait être un instrument de vengeance. Très certainement mais la vengeance par contre peut servir parfois à rétablir la justice. En effet, il s'agit avant tout d'une justice humaine et le sentiment de vengeance est beaucoup trop ancré dans la nature humaine pour être gommé aussi légèrement.

 La loi du talion peut paraître par trop rigoureuse et désuète. Elle n'en est pas moins, au-delà du fait qu'elle est en conformité avec la véritable nature humaine, un excellent outil pédagogique car elle permet de responsabiliser l'homme et de l'imprégner de la gravité de ses actes. D'une part, parce que l'homme ne peut appréhender correctement le préjudice qu'il peut faire subir à autrui qu'en le transposant à sa propre personne et d'autre part parce qu'il n'y a rien de plus dévastateur que le sentiment d'impunité relative ou absolue. Les dérapages et les dérèglements des comportements humains que l'on peut facilement observer en cas de troubles sociaux, de catastrophes naturelles ou de vacance du pouvoir en sont d'ailleurs la preuve la plus éloquente et la plus flagrante. Diaboliser la peine de mort en alléguant le prétexte des erreurs judiciaires est une inconséquence. Car ce serait sacrifier la règle pour justifier l'exception. Devrait-on également interdire les interventions chirurgicales pour éviter les erreurs médicales ?

 Si la peine de mort est un mal en soi, elle n'en demeure pas moins parfois une thérapie nécessaire car il s'agit avant tout d'une mesure de prévention et de protection de la société. Et la protection d'une collectivité se négocie toujours au prix fort et ne tolère aucun risque même si c'est au détriment des inclinations et des intérêts individuels.

 Le pardon islamique que l'on évoque parfois n'a strictement rien de commun avec le pardon abolitionniste. Car le pardon islamique est sacrifice et don de soi alors que le pardon abolitionniste n'est qu'une générosité formelle et abstraite au service d'une fantaisie intellectuelle. Le pardon abolitionniste est même une prétention à supplanter la providence car abolir la peine de mort c'est absoudre en masse et indistinctement, indépendamment du temps, du lieu et des circonstances, une multitude de crimes... qui n'ont même pas encore été commis !

 Ainsi consacré par la grâce du pardon abolitionniste, il vous sera loisible de tuer, violer, piller et massacrer à volonté avec la certitude que votre vie ne court aucun danger. Et même dans le pire des cas, s'il y a arrestation, vous garderez toujours l'espoir que l'anonymat et le temps affaibliront les mesures de sanction à votre égard.

 Enfin, d'aucuns prétendent qu'abolir la peine de mort serait nous réconcilier avec la civilité. Il n'y a sans doute pas de plus piètre illusion car la civilité véritable serait d'abord de nous réconcilier avec nous-mêmes en étant capables d'assumer nos propres valeurs. Ce qui n'est ni simple, ni évident ballottés que nous sommes entre ceux qui, sous couvert d'authenticité, s'accrochent au superflu au détriment de l'essentiel et ceux qui, sous couvert d'universalisme, tentent de nous imposer des modèles qui ne s'accordent ni avec notre personnalité, ni avec notre mentalité.



Télécharger le journal