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Les moutons de Panurge

par Moncef Wafi

«Même si le ciel pleuvait la liberté, tu verras certains esclaves porter des parapluies», Platon.

Le monde arabe, ou ce qui s'en approche le plus, a ce quelque chose de vraiment pathétique, de bas, lorsque les peuples s'habillent de la toison du mouton de Panurge. Quand la voix du plus fort devient celle du plus juste, lorsque celui qui menace est désormais source de sagesse.

Sans exception, les populations arabes courent derrière le maître du moment, celui qui détient les rênes du pouvoir dans une poigne d'acier, qui fait et défait les bourses, qui emprisonne et distille les bonnes notes du nationalisme. Aussi ces populations n'hésitent pas à revendiquer un statut d'esclave alors que l'opportunité leur offre une autre voie, celle d'un sentier, certes ardu, mais qui finit par mener vers la liberté.

Ainsi, lorsque la voix s'élève, on se dépouille vite fait de sa tunique de citoyen et on remet les vieux habits du colonisé par son propre sang, prêts, à genoux, à idolâtrer une nouvelle photo.

Et ils sont nombreux ces moutons de Panurge à bêler bêtement, méchamment, jusqu'à n'en plus pouvoir, pour couvrir les autres voix, afin que le maître les remarque, les récompense en ne les égorgeant pas les jours de marché. Ce sont ces troupeaux qu'on lâche pour servir d'alibi, de prétexte à une occupation du terrain, de faire-valoir du système en vigueur. Des moutons dont la présence colonise la place, qui se croient investis de la mission de protéger le berger même si ce dernier les conduit droit vers l'abattoir. Leur condition est toujours de servir les intérêts de quelqu'un, d'un clan, d'un cadre, d'une paire de rangers, parce que tels des rémoras ils mangent dans le sillage de la bête, se contentant des miettes de repas et des restes de festins à partager entre le troupeau. Et ces moutons dociles sont les plus dangereux de la ferme, car ils faussent le jeu et trichent pour le seul bien du fermier. Ils deviennent cannibales, capables de mordre à la carotide pour peu qu'on leur intime l'ordre de le faire, puis courent se cacher derrière le chien de garde.

Cette engeance a de tout temps existé dans les fermes totalitaires. Et pour prétendre à une quelconque émancipation du système autogéré, il faut apprendre à les tondre. Si cela ne suffit pas, alors il faut les préparer pour la fête du Sacrifice.